ECONOMIE
Ces dernières années, l'euro s'est continuellement apprécié face au dollar. Et comme le yuan chinois et les autres devises d'Asie orientale sont indexées sur le dollar, l'euro s'est aussi apprécié sans interruption face à elles toutes. Cela est annonciateur de problèmes pour l'Euroland et suggère que les décideurs politiques se joignent aux Etats-Unis pour s'attaquer au problème mondial des devises sous-évaluées.
Depuis son plus bas historique face au dollar, le 26 octobre 2000, l'euro s'est apprécié d'environ 70%. Cette appréciation était économiquement justifiée étant donné l'excédent commercial important de l'Europe vis-à-vis des Etats-Unis. Cet excédent a connu son apogée en 2005 et commence à se résorber progressivement alors que l'euro s'apprécie, ce qui est exactement la façon dont une économie de marché mondialisée est censée corriger les déséquilibres financiers internationaux.
Quelques-uns en Europe son enclins à tirer la sonnette d'alarme, mais, en réalité, cette appréciation dans les limites du raisonnable. Bien que l'euro se soit apprécié de 70% depuis son plus bas historique, il ne s'est apprécié que de 20% depuis sa parité de lancement, en janvier 1999.
Ceci dit, les inquiétudes européennes sur les taux de change sont justifiées. Mais c'est vers les devises d'Asie orientale qu'elles devraient être dirigées, pas vers le dollar. L'acteur clé est la Chine. C'est elle qui a les plus gros excédents. En outre, les pays d'Asie orientale sont peu disposés, avec raison, à ajuster leurs devises en l'absence d'une réévaluation chinoise, craignant de perdre leur compétitivité. Le refus de la Chine de réévaluer de façon significative sa devise par rapport au dollar provoque donc un processus de réajustement disproportionné, qui fait porter le fardeau du rééquilibrage du déficit commercial des Etats-Unis exclusivement à l'Europe. En conséquence, l'Europe subit une pression déflationniste qui pourrait facilement compromettre son économie.
En effet, l'Europe se retrouve désormais face à un double problème du fait que son excédent avec les Etats-Unis commence à se résorber, tandis que son déficit avec la Chine est important et qu'il se creuse. Entre 2002 et 2006, le déficit de l'Union Européenne avec la Chine est passé de 54 milliards d'euros à 128 milliards d'euros (aux taux de change actuels, le déficit de 2006 correspond à 179 milliards de dollars) et la Chambre de Commerce Européenne prévoit un déficit de 260 milliards de dollars en 2007.
Dans un sens, l'Europe se retrouve désormais involontairement sur la même voie que celle dans laquelle les Etats-Unis se sont volontairement enfermés à la fin des années 90. Elle se caractérise par des déficits commerciaux, un affaiblissement des investissements industriels et la perte d'emplois industriels.
La sous-évaluation du yuan risque d'affaiblir les exportations européennes et d'accroître les importations en provenance de la Chine, alors que les dépenses sont redirigées vers les produits chinois meilleur marché. Le déficit commercial accru qui en résultera coûtera directement des emplois et une contraction de la demande et de la profitabilité des entreprises industrielles européennes fera baisser les dépenses d'investissement. A ceci, il faut ajouter que les industriels européens seront incités à fermer des usines et à déplacer la production et les nouveaux investissements vers la Chine, exactement comme cela s'est passé aux Etats-Unis.
Ces réactions en chaîne seront particulièrement perturbatrices pour la région. Alors que les exportateurs allemands essentiels de biens manufacturés à haute valeur ajoutée pourraient encore parvenir à prospérer, les économies de l'Italie, de l'Espagne et des autres pays méditerranéens risquent d'être vilainement impactées. Et, pour couronner le tout, le secteur industriel des nouveaux membres d'Europe Centrale risque d'être sévèrement affecté, rendant leur intégration dans l'économie européenne plus difficile.
La vérité est que, selon tous les critères, la devise chinoise est sous-évaluée à la fois par rapport au dollar et à l'euro. La Chine enregistre des excédents commerciaux énormes et croissants tant avec l'Europe que les Etats-Unis ; et, par-dessus le marché, sa balance des paiements est encore plus excédentaire, puisque à son excédent commercial il faut ajouter un afflux massif d'investissements étrangers directs.
Ces conditions suggèrent que l'Europe et les Etats-Unis aient un intérêt commun à coopérer étroitement pour faire pression sur la Chine afin qu'elle ajuste sa devise. Pourtant, jusqu'à présent, ceci ne s'est pas produit. Il y a plusieurs raisons à cela. D'abord, jusqu'à récemment, l'euro était sous-évalué et l'Europe n'avait donc ni motifs ni intérêt à faire pression sur la Chine pour qu'elle réévalue. Ensuite, l'Europe et les Etats-Unis se font concurrence sur le marché chinois et l'une comme l'autre craint de contrarier le gouvernement chinois.
Cela a triangulé l'Europe et les Etats-Unis avec la Chine, au désavantage des premiers et au bénéfice de cette dernière. Cela implique que régler le problème structurel de cette triangulation et remédier à l'échec de la coopération sur la question de la devise chinoise devraient êtres les priorités politiques urgentes pour les deux camps du partenariat nord-atlantique.
(Copyright 2007, Copyright Thomas I Palley / traduction : JFG-QuestionsCritiques)