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     Un Radical à la Maison Blanche
    Par Bob Herbert
Publié le 18 avril 2005 dans The New York Times

La semaine dernière — le 12 avril, pour être précis — avait lieu le 60ème anniversaire de la mort de Franklin Delano Roosevelt. "J'ai un mal de tête terrible," avait-il dit, avant de s'effondrer dans la Petite Maison Blanche de Warm Springs, en Géorgie. Il mourut d'une hémorragie cérébrale massive le 83ème jour de son quatrième mandat présidentiel. Son emprise sur la nation était tel, que la plupart des Américains, stupéfaits par l'annonce de sa mort en cet après-midi de printemps, réagirent comme s'ils venaient de perdre un parent proche.

Que l'on en n'ait pas fait plus pour cet anniversaire n'est pas seulement une question de timing ; cela montre la distance prise par les Etats-Unis depuis les idéaux d'égalité dont F.D.R. s'était fait le champion. Son objectif était "de construire un pays dans lequel personne n'est laissé au bord de la route." Cette manière de raisonner a été jetée depuis longtemps dans les poubelles de l'histoire. Nous sommes à présent dans l'ère de Bush, Cheney et DeLay, des petits hommes voués à l'accumulation de la richesse entre les mains de quelques privilégiés.

Pour essayer de ressentir à quel point Roosevelt était radical (en comparaison aux politiques menées aujourd'hui) , il faut prendre en compte le discours sur l'état de l'Union qu'il a prononcé le 11 janvier 1944. Sa santé était déjà déclinante et, alors qu'il souffrait d'un refroidissement, il fit son discours à la radio sous la forme d'une discussion autour de la cheminée.

Après avoir parlé de la guerre, qui était toujours menée sur deux fronts, le président a proposé ce qui aurait dû être reconnu immédiatement pour ce que c'était, c'est à dire rien de plus qu'un projet pour l'avenir des Etats-Unis. Ce fut la déclaration la plus limpide que j'ai entendue sur le genre de nation que les Etats-Unis auraient pu devenir dans les années comprises entre la fin de deuxième guerre mondiale et aujourd'hui. Roosevelt compara les propositions contenues dans son discours à "une deuxième constitution pour établir une nouvelle base pour la sécurité et la prospérité de tous quelle que soient leur condition, leur race ou leur croyance."

Parmi ces droits, il nomma :

"Le droit à un travail utile et rémunérateur dans les industries, les magasins, les fermes ou les mines de la nation.

"Le droit de gagner assez pour assurer alimentation, habillement et loisirs satisfaisants.

"Le droit pour tout agriculteur d'élever, de faire pousser et de vendre sa production avec une marge lui assurant ainsi qu'à sa famille une vie décente.

"Le droit pour tout entrepreneur, grand ou petit, de commercer dans une atmosphère libre de toute concurrence déloyale et de domination de la part de monopoles, tant sur le territoire national qu'à l'étranger.

"Le droit pour toute famille de disposer d'un logement décent.

"Le droit à niveau correct de soins médicaux et la possibilité d'atteindre et de profiter d'une bonne santé.

"Le droit à une protection suffisante contre la crainte de manquer de ressources pendant la vieillesse, la maladie, l'accident et le chômage.

"Le droit à une bonne éducation."

J'en ai parlé il y a quelques jours à une de mes connaissances, qui est âgée de 30 ans. Elle m'a dit, "Hou la ! Je ne peux pas croire qu'un président a dit cela."

En 1944, la vision de Roosevelt fit enrager les conservateurs des deux partis et elle continuera de les rendre fous encore aujourd'hui. Mais la vérité est que pendant les années 50 et 60, la nation [américaine] fit des progrès substantiels vers ses objectifs merveilleusement admirables, jusqu'à ce que l'élan de ces politiques généreuses ne se ralentisse avec la guerre du Vietnam et que Richard Nixon soit élu en 1968.

Il ne se passera pas longtemps pour que Ronald Reagan n'attaque Medicare [l'aide médicale aux personnes âgées] comme étant (ainsi que le dit l'historien Robert Dallek) "le signe annonciateur du socialisme" et que Dick Cheney, de son siège au Congrès, ne pointe son pouce vers le bas contre Head Start[1]. M. Cheney dit qu'il a vu depuis l'intérêt de Head Start. Mais sa véritable idée de longueur d'avance est de balancer des fonds du gouvernement vers des gens qui ont déjà plus d'argent dont ils ne savent que faire. Il est l'un des chefs du gang du G.O.P. [le parti Républicain] (ses membres devraient tous porter des masques) qui a effectué un transfert massif de richesse des travailleurs vers les très riches, par l'intermédiaire de réductions d'impôt.

Roosevelt était loin d'être un président parfait, mais il a donné de l'espoir et une notion de ce qui est possible à une nation dans un besoin extrême. Ses mises en garde de ne pas céder à la peur sont restées fameuses.

La nation [américaine] est à présent entre les mains de dirigeants qui sont experts en exploitation de la peur et indifférents aux besoins et aux attentes — et même les souffrances — des gens ordinaires.

"Nous mesurerons notre progrès," a dit Roosevelt, "non pas par ce qu'on aura ajouté à l'abondance de ceux qui ont beaucoup, mais par ce qu'on aura apporté à ceux qui ont peu."

Soixante ans après sa mort, nous devrions porter un toast à F.D.R. et à ses idées progressistes. Et nous devrions saisir l'occasion pour demander : Comment diable avons-nous pu nous permettre de partir de là pour arriver où nous en sommes aujourd'hui ?

[1] Head Start, ou "longueur d'avance", est un programme préscolaire destiné à répondre aux besoins des jeunes enfants dans les milieux défavorisés.

E-mail: bobherb@nytimes.com

Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean-François Goulon