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La carotte et le bâton

La véritable conspiration d’AIG

Par Michael Hudson
CounterPunch, le 19 mars 2009

article original : "The Real AIG Conspiracy"


Ça peut sembler étrange, mais l’indignation publique contre les primes de 135 millions de dollars versées par AIG est une aubaine pour Wall Street, y compris pour les gredins d’AIG. Comment les médias peuvent-ils être aussi préoccupés par la découverte d’une avidité intéressée dans le secteur financier ? Ces deux derniers jours, les primes versées par AIG ont fait la une de toutes les chaînes de télévision et de tous les journaux américains, de droite comme de gauche.

Qu’est-ce qui cloche ? N’y a-t-il pas quelque chose d’exagéré à propos de l’indignation menée avec autant de véhémence par le Sénateur Charles Schumer et le Représentant Barney Frank, les deux principaux complices qui ont fait monter les enchères sur les subventions bancaires, au cours de l’année dernière ? Et le Président Obama a-t-il peut-être trouvé pratique, après toute cette frustration, d’avoir pu finalement critiquer quelque chose dont, selon lui, Wall Street serait coupable ? Même le Wall Street Journal est entré dans la danse. La prise de contrôle d’AIG par le gouvernement [américain], a-t-il fait remarquer, « utilise cette entreprise comme canal pour subventionner d’autres institutions. » Il y a tellement plus d’avidité impliquée dans cette affaire que seulement celle des employés d’AIG ! Cette société devait beaucoup plus d’argent à d’autres acteurs – à l’étranger comme à Wall Street – que la valeur de ses actifs. C’est cela qui l’a menée à l’insolvabilité. Et une opposition populaire s’est soulevée sur la manière dont Obama et McCain aurait pu se réunir pour soutenir ce plan de sauvetage qui, rétrospectivement, s’élève à des trillions et des trillions de dollars jetés par la fenêtre. Bien sûr, pas jetés vraiment par la fenêtre – mais donnés aux spéculateurs financiers situés du côté « malin » et gagnant des mauvais paris financiers d’AIG.

« La bande de Washington veut se concentrer sur les bonis parce que cela braque la colère publique contre les acteurs privés », a accusé le Journal dans son édito du 17 mars. Mais au lieu d’expliquer que le transfert vers les accapareurs de Wall Street est mille fois plus important que le total des bonis contestés, il accuse sa bête-noire habituelle : le Congrès, où la seule divergence entre la droite et la gauche est vers qui la colère publique devrait se tourner !

Voici le problème avec tout ce brouhaha autour des 135 millions de dollars de primes versées par AIG : Cette somme représente moins de 0,1% - un millième – des 183 MILLIARDS de dollars que le Trésor des Etats-Unis a donnés à AIG comme « péage » à ses cocontractants. Cette somme, plus de mille fois l’ampleur des bonis sur lesquels les promoteurs de Wall Street ont opportunément focalisé l’attention du public, n’est pas restée dans AIG. Pendant plus de six mois, les médias publics et les parlementaires ont essayé de découvrir où cette somme était exactement passée. Bloomberg a intenté un procès pour le découvrir, mais ne s’est heurté qu’à un mur de silence.

Jusqu’à ce que, finalement, dimanche soir, le 15 mars, le gouvernement publie enfin les détails. Ils étaient effectivement embarrassants. Le plus gros bénéficiaire s’est avéré être exactement ce que les reportages financiers soupçonnaient : la propre société de Paulson, Goldman Sachs, était en tête de liste. Il lui était dû 13 milliards de dollars au titre de ses indemnisations en tant que cocontractant. Voici le tableau qui se dégage. En septembre dernier, le Secrétaire au Trésor Paulson, de Goldman Sachs, a établi un mémo laconique de trois pages exposant brièvement sa proposition de plan de sauvetage. Ce plan spécifiait que quoi que lui-même et les autres fonctionnaires du Trésor eussent fait (incluant donc ses subordonnés, également de Goldman Sachs), ils ne pouvaient être contestés légalement ou déconsidérés, et encore moins traduits en justice. Cette condition rendit le Congrès fou de rage, lequel rejeta le plan de sauvetage dans sa première mouture.

Il semble désormais que Paulson avait une bonne raison d’introduire une clause légale bloquant tout reversement des fonds donnés par le Trésor aux cocontractants d’AIG. C’est là-dessus que l’indignation publique devrait se focaliser.

A la place, les principaux superviseurs parlementaires de la législation sur les subventions – en compagnie d’Obama qui s’est manifesté, lors du dernier débat présidentiel du vendredi soir avec McCain, fermement en faveur du plan de sauvetage dans la version épouvantablement « courte » de Paulson – ont mis l’accent sur les cadres d’AIG qui ont reçu ces bonis, pas sur les cocontractants de cette société.

Il y a deux questions que l’on doit toujours se poser lorsqu’une opération politique est lancée. D’abord, qui bono - qui en bénéficie ? Ensuite, pourquoi maintenant ? Selon mon expérience, le timing est presque toujours la clé pour comprendre les dynamiques au travail.

En ce qui concerne qui bono, que gagnent dans ce tollé public le Sénateur Schumer, le Réprésentant Frank, le Président Obama et les autres sponsors de Wall Street ? Pour commencer, ils donnent l’impression d’exiger beaucoup de l’industrie bancaire et financière, pas d’être des lobbyistes qui se précipitent pour exécuter les cadeaux les uns après les autres. Donc, tout le cirque autour d’AIG a brouillé les pistes sur leur véritable loyauté politique. Cela leur permet d’adopter une pose trompeuse – et, par conséquent, passer pour des « négociateurs honnêtes » la prochaine fois qu’ils feront malhonnêtement cadeau des prochains trillions de dollars à leurs principaux sponsors et contributeurs de campagne.

Quant au timing, je pense y avoir répondu plus haut. L’indignation sur les bonis d’AIG a efficacement détourné l’attention des cocontractants d’AIG qui ont reçu les 183 milliards de dollars de cadeaux du Trésor. On dit que la somme « finale » qui doit être donnée à ces cocontractants serait de 250 milliards de dollars ; le Sénateur Schumer, le Représentant Frank et le Président Obama ont donc encore beaucoup de travail à faire en faveur de Wall Street dans les années à venir.

Pour y parvenir – tout en minimisant l’indignation publique qui monte déjà contre les mauvaises subventions – ils doivent précisément adopter la pose qu’ils ont prise maintenant. C’est un exercice d’escroquerie.

La morale devrait être celle-ci : Plus les larmes de crocodiles coulent à flot sur les bonis versés à des personnes d’AIG (qui semblent être largement dans la division en bonne santé des véritables assurances de l’entreprise AIG, pas dans le racket pyramidal de son fonds d’investissement), plus elles détourneront l’attention du public sur le cadeau de 183 milliards de dollars et mieux ils pourront se positionner pour faire cadeau d’encore plus d’argent du gouvernement (bons du Trésor et dépôts de la Réserve Fédérale) à leurs œuvres de bienfaisance financière préférées.

Occupons-nous de l’argent REEL qui a été donné à AIG – les 183 milliards de dollars ! Je réalise que cet argent a déjà été déboursé et que nous ne pouvons pas le récupérer des cocontractants qui savaient qu’Alan Greenspan, George Bush et Hank Paulson entraînaient l’économie américaine tout droit vers l’abîme, un abîme de produits dérivés et de balance des paiements, emballé en un seul produit pariant contre les CDO (collateralized debt obligations) [obligations adossées à des actifs] et offrant une assurance sur les paris de ces casinos avec AIG. Cet argent a été purement et simplement siphonné du Trésor, en plaçant leurs propres complices aux postes clés du gouvernement, pour mieux les servir.

Alors, poursuivons-les les uns après les autres. Le Sénateur Schumer a déclaré aux bénéficiaires des bonis d’AIG que les services fiscaux peuvent les poursuivre et récupérer l’argent d’une façon ou d’une autre. Et ils peuvent en effet poursuivre les bénéficiaires de la subvention de 183 milliards de dollars. Tous ce qu’ils ont à faire est de rétablir les droits de succession et augmenter les taux d’impositions marginaux et l’impôt sur la fortune aux niveaux (déjà réduits) de l’ère Clinton.

L’argent peut être récupéré. Et c’est exactement ce dont MM. Schumer, Frank et consorts ne veulent pas que le public discute. Voilà pourquoi ils ont détourné l’attention vers ces futilités. C’est le moyen consacré par l’usage de faire en sorte que les gens ne parlent pas des vraies sommes en jeu et de ce qui est réellement important.

Michael Hudson est un ancien économiste deWall Street. Il est professeur de recherche émérite à l’Université du Missouri, à Kansas City (UMKC). Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dontSuper Imperialism: The Economic Strategy of American Empire (nouvelle édition, Pluto Press, 2002).


Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]