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L'horrible vérité

L’économie américaine ne se rétablira jamais comme elle était avant

Par Dave Lindorff
CounterPunch, le 5 février 2009

article original : "The Ugly Truth : The American Economy is Not Coming Back"

Le Président Barack Obama et son équipe économique font bien attention à la manière dont ils formulent tout ce qu’ils disent à propos des programmes de stimulation de l’économie et des subventions bancaires, en prévenant que le déclin de l’économie est grave et qu’il faudra beaucoup de temps pour qu’elle rebondisse.

Je me suis souvenu d’une expérience que j’ai eue avec la médecine chinoise lorsque je vivais à Shanghai en 1992. J’étais cloué par une vilaine grippe, alors que j’enseignais le journalisme à l’Université Fudan dans un programme scolaire « Fulbright » [programme qui offrait des bourses pour mener des recherches ou enseigner dans les pays post-socialistes]. Un collègue chinois m’a suggéré de me rendre à la clinique de l’université. Lorsque je lui ai dit que je n’y voyais pas beaucoup de raisons, puisque la médecine ne pouvait pas grand chose contre la grippe, en dehors de recommander de boire beaucoup et de rester au lit, il m’a répondu : « Ça, ce sont les médecins occidentaux. Tu pourrais consulter les docteurs qui pratiquent la médecine chinoise à la clinique. Ils peuvent t’aider. » Je me suis dit que je n’avais rien à perdre et nous y sommes allés. Le médecin m’a demandé des détails épouvantables sur ma maladie – à quoi ressemblaient les mouvements de mes intestins, la couleur du mucus sortant de mon nez, etc. Il ne m’a pas vraiment examiné physiquement. Ensuite, il m’a prescrit un nombre incroyable de pilules et d’infusions et m’a renvoyé chez moi avec un énorme sac de produits et des instructions pour les prendre à différents moments de la journée. J’ai suivi les instructions à la lettre et mon collègue est venu chaque jour me voir pour vérifier mon état. Au cinquième jour, alors que j’avais toujours de la fièvre et que je me sentais très mal, je lui ai dit que je ne pensais pas que la médecine chinoise marchait. Il m’a répondu avec assurance, « La médecine chinoise prend du temps pour agir. »

Cela m’a fait sourire. « Bien sûr », lui ai-je dit, « mais la grippe ne dure qu’une semaine environ et lorsque j’irai mieux, tu diras que c’est grâce à la médecine chinoise, non ? »

Il a souri et l’a reconnu : « Oui, tu as raison. »

Il est évident que l’administration d’Obama reconnaît qu’elle a besoin de maintenir son doigt accusateur pour l’effondrement économique actuel pointé en direction de l’administration Bush, ce qui est en grande partie justifié (bien que les dérégulations bancaires de l’administration Clinton aient joué une part majeure dans la crise financière et que son encouragement enthousiaste à la mondialisation ait commencé à déplacer massivement les emplois à l’étranger, creusant la capacité productive de la nation). Mais elle semble également reconnaître qu’elle ne peut pas dire l’effroyable vérité, c’est-à-dire que notre économie nationale ne « rebondira » jamais au niveau où elle se trouvait en 2007.

L’Amérique – et les Américains individuellement – ont vécu avec prodigalité pendant des années dans une économie irréelle, poussée par le crédit facile qui a gonflé la valeur des biens immobiliers à des niveaux incroyables et qui a conduit les gens à dépenser bien au-delà de leurs moyens. Les travailleurs de la classe-moyenne ont été encouragés à acheter des maisons surdimensionnées de façon obscène, avec une mise de départ de 5% - voire rien du tout. Ils ont été leurrés à acheter des voitures de la taille de camions, une pour chaque membre de la famille en âge de conduire (dans notre ville, tant de lycéens conduisent pour aller à l’école que les établissements scolaires sont à court de places de parking et que les bus jaunes, en grande partie vides sur leurs trajets, sont considérés par les étudiants comme le « train de la honte », embarrassant lorsque l’on est vu dedans). Ils ont installé des piscines individuelles dans leur jardin, refusant de partager l’eau avec leurs voisins dans les piscines communales. Des restaurants franchisés de toutes sortes – et ennuyeux – ont souillé le paysage et étaient remplis de familles trop stressées pour cuisiner, acceptant d’endurer soir après soir la cuisine trop salée, trop chère et sans goût, dans un décor criard en plastique.

A présent, tout cela s’effondre. La valeur des propriétés est en chute-libre. Les ventes de voitures se sont complètement ramassées. Le chômage augmente à vitesse grand V (il approche à présent du taux officiel de 8%, mais si la méthodologie utilisée en 1980, avant que l’administration Reagan ne change les règles de calcul afin de masquer la profondeur de la récession d’alors, était appliquée, le taux serait de 17% aujourd’hui – soit un travailleur sur sept).

Le dégringolade économique finira par toucher le fond et l’économie entamera une lente remontée, comme dans toutes les récessions, mais il n’y aura pas de retour aux jours des lotissements McMansion à 500.000 dollars, des garages pour trois voitures et une nouvelle voiture tous les deux ou trois ans pour chacun des parents, plus une voiture pour chaque lycéen. Non seulement les banques ne seront plus capables d’offrir autant de prêts à leurs clients, mais les gens qui s’y seront frottés, ne seront pas enclins à emprunter autant. Les assurances médicales, les programmes de retraite ou autres programmes 401(k) proposés par les entreprises, qui ont été réduit en miettes durant ce retournement, ne seront pas restaurés lorsque l’économie repartira.

Au cours des vingt dernières années, l’Amérique a dégénéré en une nation de consommateurs, avec 72% de son PIB consacré à la consommation des ménages – essentiellement pour acheter des biens produits à l’étranger et importés aux Etats-Unis.

Ce n’est pas un modèle économique supportable et c’est un modèle qui vient juste d’encaisser ce qui est certainement un coup mortel.

Ce à quoi nous assistons est le début d’un ajustement inévitable vers le bas du niveau de vie des Américains pour se conformer à leur place réelle dans le monde. En tant que nation de consommateurs – et non pas de producteurs -, avec peu à offrir au reste du monde à part des matières premières, des récoltes agricoles, des équipements militaires et des mauvais films (aucune de ces industries n’emploient beaucoup de personnes), nous nous dirigeons vers un rétablissement qui ne ressemblera pas du tout à un rétablissement. La capacité de production finira par être restaurée, puisque des salaires plus bas aux Etats-Unis rendront à nouveau profitable de fabriquer un certain nombre de choses ici, mais, à l’instar des gens des années 30 qui regardaient avec nostalgie les années folles d’antan [les années 1920], nous allons regarder les deux dernières décennies comme une sorte de rêve.

Ce serait mieux si la nouvelle administration était honnête sur ce point, parce qu’avec de l’honnêteté, nous pourrions avoir un programme de redressement qui s’occuperait vraiment des questions réellement critiques auxquelles le pays est confronté – le déclin de notre système éducatif, l’irrationalité de l’encouragement officiel à devenir propriétaire coûte que coûte de son logement, qui a conduit à la prolifération, non seulement des banlieues, mais des banlieues résidentielles, à la sur-dépendance de l’automobile comme moyen de transport, au gaspillage sans précédent des ressources naturelles, au pillage de l’environnement, sans parler de la décimation du système de retraite et de la création d’un vaste complexe médico-industriel qui suce le sang des familles aussi bien que celui des entreprises.

A dire vrai, nous pourrions également voir en face les autres gros obstacles au redressement national – l’obsession de l’Amérique pour le militarisme et les guerres à l’étranger. La vraie vérité est que les Etats-Unis sont techniquement en faillite et dans un état de déclin chronique et, pourtant, la nation américaine persiste à dépenser des trillons de dollars chaque année en guerre et en préparation à la guerre, comme si l’Amérique était en danger mortel face à des ennemis étrangers.

La vérité est que nous ne sommes menacés sérieusement ni par le communisme, ni par les seigneurs de la drogue, ni par les Djihadistes musulmans. Nous sommes plutôt devenus nous-mêmes notre pire ennemi.

Cette administration pourrait commencer par nous dire tout cela directement, mais le problème est que la plupart d’entre nous ne veulent probablement pas l’entendre, ce qui explique pourquoi nous ne l’entendons pas. Cela explique également pourquoi nous sommes sur le point de flamber un autre trillion de dollars pour soutenir des banques en faillite, financer des autoroutes et des ponts sans intérêt et massacrer des paysans illettrés dans des endroits éloignés comme l’Afghanistan et le Pakistan.

Traduction : [JFG-QuestionsCritiques]