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Une Coalition Rouge-Verte

La Véritable Histoire des Elections Allemandes

Par DAVE LINDORFF

CounterPunch — 21 septembre 2005


La véritable histoire des élections allemandes — qui n'a pas été correctement rapportée dans les grands médias américains — est que la gauche a gagné.

La force combinée entre le parti dirigeant du Chancelier Gerhard Schröder (le SDP), son partenaire de coalition, le Parti Vert, et le nouveau parti de gauche, le Linkspartei, composé de l'ancien parti communiste de l'ancienne RDA et de transfuges du SPD, s'élève à près de 52% des voix et représente une majorité au Bundestag, le parlement allemand.

Mais Schröder et le SDP, à l'instar de Tony Blair et du Parti Travailliste britannique, ont résolument pris leurs distances avec leurs traditions et leurs racines socialistes. Ils ont juré de ne pas passer d'accord avec le Linkspartei, qui pourrait, bien entendu, exiger du SDP, en échange de sa participation au gouvernement, des concessions significatives (ainsi que des postes au gouvernement) sur certaines choses, telles que la poursuite du financement des programmes sociaux ou la protection des syndicats et des emplois syndicaux.

En l'absence d'un tel accord avec le Linkspartei, il faudrait que Schröder passe un accord avec le parti des libéraux-démocrates (FDP). Mais cela entraînerait cette coalition bien plus vers la droite que même les membres principaux du SDP ne le voudraient. Et il y a aussi le risque que les Verts refusent de rejoindre une telle coalition, laissant ainsi le SPD sans majorité pour gouverner.

Enfin, s'il ne vend pas l'âme de son parti au FDP (ce qui conduirait probablement le SDP à encore plus de défections vers le Linkspartei), les seuls véritables choix de Schröder consistent, soit à accepter une coalition comprenant le Linkspartei, soit à accepter un rôle secondaire dans la soi-disant "grande coalition" avec la CDU de son opposante, Angela Merkel. Cette dernière, décrite comme une Margaret Thatcher allemande, est décidée à éloigner l'Allemagne et les Allemands de l'état providence pour les conduire vers une société à l'américaine où les riches gardent leur argent et les perdants sont laissés sur le côté du chemin à se débrouiller tout seuls.

La vérité sur ces résultats électoraux est qu'une majorité d'Allemands ne veut pas assister à un tel désastre imposé. Mais ce n'est pas en suivant la presse américaine que vous risquez de le comprendre. En effet, les grands médias américains avaient pris position pour Angela Merkel en multipliant les reportages préélectoraux annonçant la victoire en faveur de la "réforme".

Schröder lui-même, et son SDP, ont clairement reçu une raclée méritée, mais pas parce qu'ils ont poursuivi un modèle politique socialiste. Ce sont les défections vers la gauche, sous la forme du Linkspartei, laissant le chancelier sans majorité pour rester au pouvoir, qui l'ont forcé à appeler à de nouvelles élections.

Les Allemands, malgré un taux de chômage de 11%, ne réclament pas le thatchérisme. En fait, la CDU de Merkel, avec 35,2% des suffrages, a encaissé l'un de ses pires scores, ne gagnant que 0,9% de voix de plus que Schröder et 3 sièges de plus au Bundestag, alors que le SDP est discrédité et fracturé.

Le Linkspartei, nouvellement formé, a gagné 8,7% des suffrages pour sa première incursion dans une élection nationale, dépassant le Parti Vert. Ce n'est pas un mauvais résultat si l'on considère que beaucoup ont dû se boucher le nez et voter quand même pour Schröder et le SDP, de crainte que les sondages prédisant la victoire de Merkel ne se confirment.

Les médias américains semblent refuser d'admettre qu'un pays aussi aisé économiquement, et aussi socialement et politiquement conservateur que l'Allemagne, puisse avoir une majorité favorable aux solutions socialistes ou progressistes pour résoudre les problèmes économiques et sociaux, et que ce pays puisse rejeter un candidat aussi compréhensif avec le point de vue des Américains et de la politique étrangère américaine que Merkel et la CDU. Mais c'est pourtant le véritable message qui est sorti des urnes allemandes.

Quel que soit le résultat des tractations entre les partis pour former un nouveau gouvernement, il est clair qu'une majorité d'Allemands veut toujours d'un gouvernement qui protège les travailleurs, qui protège les personnes âgées, qui contrôle le pouvoir des grandes entreprises et qui maintienne une politique étrangère indépendante des Etats-Unis.

David Lindorff


Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon