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Promesses rompues

Le désordre d’Obama au Moyen-Orient

Par Franklin Lamb
CounterPunch, 8 novembre 2009

article original : "Obama's Mid-East Mess"

Le 4 novembre 2009, le 30ème anniversaire de la prise par des étudiants [iraniens] de l’Ambassade Américaine à Téhéran, le Dirigeant Suprême, l’Ayatollah Ali Khamenei, a prononcé un discours qui a fait couler beaucoup de salive à Washington.

Selon des sources parlementaires [américaines], l’origine d’une partie de l’angoisse à la Maison Blanche et au Département d’Etat était que « ce discours laisse entendre que le gouvernement iranien pourrait faire ce qu’il a fait de nombreuses fois au cours des sept dernières années. C’est-à-dire, que l’Iran pourrait sembler accepter, puis esquiver, puis ne plus être d’accord, puis sembler être à nouveau plus ou moins d’accord, puis faire à nouveau marche-arrière, puis demander plus de temps pour étudier les détails de la proposition, puis finalement présenter une contre-proposition, puis dire qu’il veut coopérer mais qu’il a de sérieux doute quant à la sincérité de l’autre camp et ensuite dire qu’il ne renoncera jamais à ses droits, etc., etc. »

Tout en omettant la prise de position de l’Iran sur les derniers événements, certains au Capitole se demandaient si le Wali al Fique (dirigeant suprême) iranien s’adressait à sa base ou s’il se servait de son discours pour communiquer directement et sérieusement avec l’administration Obama. Sans doute faisait-il les deux.

Les mots de l’Ayatollah Khamenei étaient tranchants et clairs. Il a déclaré que Téhéran pourrait rejeter tout pourparler soutenu par Washington, parce qu’on ne peut pas leur faire confiance. Il a admis que les Etats-Unis voulaient négocier avec Téhéran, « mais leurs propos sont pleins de menaces […] A chaque fois qu’ils arborent un sourire, ils cachent une dague dans leur dos. […] L’Iran ne se laissera pas berner par le ton conciliatoire superficiel des Etats-Unis […] Ce nouveau président américain nous a envoyés à plusieurs reprises des messages oraux et écrits nous incitant à venir tourner la page – à venir coopérer pour résoudre les problèmes du monde. Nous avons dit que nous ne préjugerions pas. Nous verrons comment ils agissent et ce qu’ils font pour changer […] Mais au cours des huit derniers mois, ce que nous avons vu contredit ce qu’ils ont dit. Ils nous disent de négocier mais, parallèlement à la négociation, il y a une menace que si la négociation n’aboutit pas aux résultats désirés, alors ils feront ceci et ils feront cela [..] Nous ne voulons pas de négociations dont le résultat est déterminé à l’avance par les Etats-Unis », a-t-il dit, ajoutant que Téhéran ferait toujours valoir ses « droits scientifiques et technologiques et sa liberté », et qu’il ne veut pas d’une « relation d’agneau à loup » avec ceux qui ont des « mauvaises intentions » contre l’Iran.

« Pourquoi les Iraniens ne nous font-ils pas confiance sur la question nucléaire ? » a demandé un membre de la commission des Affaires Etrangères, lequel a concédé qu’il n’avait pas lu le discours [de Khamenei] largement couvert [par la presse]. Mais il a ajouté que « la Secrétaire d’Etat Hillary Rodham Clinton avait annoncé le 2/11/09 à Marrakech que l’accord nucléaire onusien ne pouvait pas être altéré et on ne voit donc pas très bien ce qu’il reste à négocier. »

Certains analystes américains ont soutenu que l’Iran a plutôt raison d’avoir des soupçons sur les intentions étasuniennes et ils ont identifié une trame d’événements récents qui sapent la crédibilité de l’administration Obama depuis le discours « main ouverte/poing serré » que le président à prononcé en juin au Caire. Une trame que la direction iranienne analyse sans aucun doute selon ses souvenirs et qui est résolue à ne pas faire perdurer la crédulité arabo-musulmane des cinquante dernières années, lorsqu’il s’agit des promesses et des récompenses américaines et occidentales.

Des exemples récents viennent à l’esprit :

· La volte-face de Clinton sur les exigences américaines d’un gel de la colonisation israélienne et le fait qu’elle ait jeté l’éponge vis-à-vis de la déclaration de l’administration Obama que la construction des colonies sionistes doit cesser. Sa déclaration « Israël a fait des concessions sans précédent » a été ressentie comme une obscénité par les oreilles palestiniennes et celles d’une grande partie du monde, y compris l’Iran. Et cela a conduit à l’annonce du 5/11/09 de Mahmoud Abbas qu’il ne se présenterait pas à un deuxième mandat à la Présidence de l’Autorité Palestinienne. Tout ce que la Maison Blanche pouvait faire était d’envoyer dans les salles de presse son porte-parole, Robert Gibbs, pour faire l’éloge d’Abbas en tant que « véritable partenaire pour les Etats-Unis et Israël ».

· Le lancement, le 21 octobre 2009, de « Juniper Cobra 10 », la plus grande manœuvre militaire conjointe américano-israélienne de tous les temps, qui a mobilisé plus de 1000 soldats et 17 navires de guerre américains, clairement destinée à menacer l’Iran, qui serait visé par des missiles Arrow, Patriot et Aegis en cas de conflit. Ceci a été couplé avec le commentaire obtus d’un commandant naval américain, selon lequel l’US Navy défendra Haïfa occupé par Israël comme s’il s’agissait de San Diego.

· L’administration Obama a refusé de façon voyante de placer le « Jundallah » (les soldats de dieu) sur la liste du Département d’Etat des organisations terroristes étrangères, tout en maintenant les sociétés de constructions libanaises Waad et Jihad al Binna sur la liste terroriste, en compagnie de l’ecclésiastique libanais de premier plan, Mohammed Hussein Fadlallah.

· En mai 2009, « Jundallah » a revendiqué la responsabilité du massacre de civils dans une mosquée de Zahédan, la capitale provinciale du Sistan-Baloutchistan iranien. Le mois dernier, un poseur de bombe suicide s’est fait sauter à un rassemblement soutenu par l’Iran, qui était destiné à promouvoir des relations communautaires plus étroites entre les Sunnites et les Chiites de la région. Quelle confiance les dirigeants iraniens peuvent-ils avoir dans une administration Obama qui continue la guerre sans fin contre la terreur de Bush-Cheney, avec sa logique butée selon laquelle « l’ennemi de mon ennemi est mon ami » ?

· Quel message la Résolution Parlementaire des Représentants, cette semaine, sur le Rapport Goldstone a-t-elle envoyé à Téhéran et au monde ?

Par une majorité de 344 voix contre 36, la Chambre des Représentants a rapidement voté la résolution 867, une résolution du lobby israélien, élaborée par l’AIPAC et les attachés parlementaires de la Représentante Républicaine Ileana Ros-Lehtinen, qui a condamné le rapport onusien Goldstone, lequel a été approuvé par l’Assemblée Générale de l’ONU, par 114 voix contre 18.[1] Le Rapport Goldstone est maintenant renvoyé devant le Conseil de Sécurité de l’ONU et peut-être devant la Cour Criminelle Internationale de La Haye.

Mais, selon la Chambre des Représentants US et l’attaque vicieuse par le groupe haineux de l’Anti-Defamation League [la Ligue contre l’Antisémitisme et la Défense d’Israël et des Juifs dans le monde entier], ainsi que son directeur, Abe Foxman, ce Rapport sur les crimes de guerre commis par Israël et le Hamas est « irrémédiablement biaisé et sans valeur pour une considération ou une légitimité supplémentaires ». Nombreux sont ceux au Congrès [US] qui sont d’âpres défenseurs d’une politique étrangère américaine centrée sur Israël et qui rivalisent les uns contre autres pour démontrer leur obéissance à Israël, pas à l’Amérique. Ils ont vivement conseillé au Président Obama et à la Secrétaire d’Etat Clinton « de s’opposer fermement et sans équivoque à tout débat sur ce rapport ou à toute action sur ses conclusions dans tout cadre international », malgré le fait que le Juge Goldstone a exposé de nombreuses erreurs dans les critiques des parlementaires US sur le Rapport de l’ONU.

Ignorant les réfutations de Goldstone aux attaques du lobby israélien sur le Rapport de l’ONU, le chef du groupe parlementaire démocrate, Steny Hoyer, a proclamé : « Je pense que le rapport onusien Goldstone est déséquilibré, injuste et inexact », pourtant, il a refusé d’apporter tout fait pour étayer son attaque en règle, tout en ajoutant que « l’ONU manque totalement d’objectivité vis-à-vis d’Israël, dont le gouvernement est aussi méticuleux que possible en ce qui concerne la poursuite de ses propres fonctionnaires de la défense ». Hoyer et ses collègues ne donnent apparemment pas crédit au travail de B’tselem, lequel, la veille du vote au pas de charge de la résolution 867, a documenté qu’au 4 novembre 2009, pas une seule enquête du gouvernement israélien n’avait été ouverte concernant la politique d’Israël durant « Plomb Fondu », en ce qui concerne la sélection des cibles, les ordres d’ouverture du feu donnés aux soldats, la légalité des armes utilisées et l’équilibre entre les pertes occasionnés aux civils et l’avantage militaire. De plus, plus de la moitié des 23 cas où des Palestiniens ont été tués alors qu’ils arboraient un drapeau blanc et tous les cas où des Gazaouis ont été utilisés comme boucliers humains ont été exposés par B’tselem, pas par l’armée israélienne, dont la position, à l’instar de Hoyer et de Ros-Lehtinen, est que ces crimes ne se sont pas produits, malgré la preuve implacable du contraire.

Hoyer et Ros-Lehtinen sont des piliers du groupe parlementaire bidon sur les droits de l’homme [le CHRC], fondé en 1983 et qui, au cours de son quart de siècle d’investigations pleines d’autosatisfaction sur les violations des droits de l’homme, n’a pas encore trouvé la moindre violation des droits de l’homme de la part d’Israël, malgré tous les meurtres, les massacres d’innocents, les démolitions de maisons, les incarcérations politiques, la bigoterie religieuse, l’usage illégal d’armes américaines, le siège illégal de Gaza, ainsi que les invasions en série du Liban et le vol continuel du Plateau du Golan à la Syrie. Au cours des dernières années, le CHRC est devenu un forum de dénigrement de l’Iran pour toutes sortes de zélotes et de dingues sionistes qui répandent des mensonges et des diffamations contre l’Islam et la République Islamique.

Selon Ros-Lehtinen, « Le Rapport Goldstone illustre le biais anti-liberté et anti-israélien qui imprègne profondément le système onusien et il ne mérite aucune considération ou légitimité de la part des nations responsables. Israël a pris toutes les mesures raisonnables pour minimiser le risque de pertes civiles. Il est clair qu’Israël avait tous les droits et le devoir de défendre ses citoyens du massacre des attaques à la roquette et au mortier de la part du Hamas et autres partisans à Gaza. »

Mais Hoyer et Ros-Lehtinen auraient pu être dissuadés par la Maison Blanche de créer cette dernière résolution anti-arabe et anti-islamique. Pourtant, ils ont reçu le feu vert de l’administration Obama pour présenter leur longue prose. Obama est entré en scène pour condamner le Rapport Goldstone et il semble qu’il ne reste pas grand chose de sa promesse de rompre avec le passé et d’ouvrir un nouveau chapitre de civilité avec l’Iran.

Human Rights Watch, qui avait vivement conseillé aux parlementaires de ne pas soutenir cette résolution, a déclaré : « Au lieu de dénoncer le rapport Goldstone, le Congrès [des Etats-Unis] aurait dû conseiller à Israël et au Hamas de rompre avec ce cycle d’abus et d’impunité qui alimente depuis trop longtemps la haine et qui entrave les efforts de paix. »

On peut difficilement s’attendre à ce que l’Iran croie que ces décideurs politiques américains devraient être pris au sérieux ou qu’ils aient le moindre intérêt à faire avancer les intérêts de leur pays plutôt que ceux d’Israël. Les questions de crédibilité restent plus à la porte de la Maison Blanche d’Obama que sur le seuil de la Choura et du Majlis iraniens.

La politique des Etats-Unis au Moyen-Orient est en pleine confusion, de l’Iran à la Palestine. Le temps s’épuise pour la vision revendiquée par Obama d’un dialogue sur la base du respect mutuel et de l’égalité, laquelle risque de sombrer dans une totale dérision et la caricature.

Franklin Lamb est le directeur de la Fondation Sabra Shatila, basée à Washington et à Beyrouth.

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Traduction : [JFG-QuestionsCritiques]


Notes :
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a id="1n">[1] 114 voix pour, 18 voix contre et 44 abstentions. Parmi les « pour » : les pays en développement et les pays arabes, la Chine, l’Irlande, le Portugal, Malte, la Slovénie et Chypre. Parmi les « contre » : les Etats-Unis, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Pologne, la Hongrie, la République Tchèque et la Slovaquie. Parmi les abstentions : la Russie, la France et le Royaume-Uni.