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L'indépendance du Kosovo "menace les fondations de l'ordre mondial"

Par Gary Leupp

CounterPunch, 19 février 2008
article original : "The Independence of Kosovo/Threatening the Foundations of a World Order"

La Russie a bien fait savoir, à plusieurs reprises, qu'elle ne reconnaîtra pas, ni n'acceptera un Kosovo indépendant, mais qu'elle soutiendra plutôt la revendication historique de la Serbie sur cette province.

Souvenez-vous comment la Première Guerre Mondiale a éclaté après qu'un nationaliste serbe a assassiné l'archiduc austro-hongrois en 1914 à Sarajevo, en Bosnie. Lorsque l'Empire Austro-Hongrois déclara la guerre à la Serbie, la Russie est venue défendre son alliée. Le système d'alliance s'est mis en marche : l'Allemagne et l'Empire Ottoman ont rejoint les Austro-Hongrois, tandis que la France et la Grande-Bretagne rejoignirent la Russie. Il y a bien que ce système n'existe plus, mais les relations entre la Russie et la Serbie, profondément enracinées dans des liens ethniques et religieux, ne devraient pas être prises à la légère.

Souvenez-vous comment la grande guerre de Bill Clinton se nommait "Opération Force Alliée", livrée en 1999, sur l'insistance des Etats-Unis, par une Otan quelque peu réticente. S'intensifiant avec "Opération Force Délibérée", ciblant quatre ans plus tard les combattants serbes en Bosnie, le résultat a été le bombardement d'une capitale européenne (Belgrade) pour la première fois depuis 1945. Human Rights Watch a conclu en 2000 qu'entre 488 et 527 civils yougoslaves ont été tués à la suite des bombardements, qui ont forcé Belgrade à obéir à Washington et à retirer ses troupes du cœur de la patrie serbe. Les Serbes l'ont partagée cela avec d'autres, notamment les Albanais, et le patrimoine génétique serbe lui-même complexe a changé au fil du temps. Mais l'identité serbe a été façonnée par la Bataille de Kosovo Poljé (Le Champ des Merles) contre les Turcs ottomans en 1389, dans laquelle Roi serbe Lazar et le Sultan ottoman Mourad trouvèrent tous les deux la mort. Les historiens modernes divergent pour dire si ce fut un match nul ou une défaite héroïque des Serbes. La mythologie nationaliste [serbe] la dépeint par la seconde définition.

Pendant plus de quatre siècles de pouvoir musulman turc, les Serbes ont préservé leur identité religieuse orthodoxe, en maintenant le monastère de Gracanica et au moins une douzaine de centres religieux, qui ont survécu depuis le quatorzième siècle jusqu'à nos jours - toutefois menacés ces dernières années de profanation, de vandalisme et de destruction.

Le 12 septembre 1999, l'église de Saint Côme et Saint Damien, construite en 1327, a été rayée de la carte dans l'explosion d'une bombe. Les initiales de l'Armée de Libération du Kosovo (ALK) ont été peintes sur le site. Quelques 20 sites religieux serbes avaient déjà été détruits aux explosifs, dont l'église paroissiale de la Dormition de la Mère de Dieu, construite en 1315. Quarante autres églises ont été attaquées ou pillées.

Tout ceci s'est déroulé après la capitulation de la Serbie devant Washington en juin 1999 et après l'arrivée de la "force de maintien de la paix" conduite par l'Otan (La Force au Kosovo - KFOR) présidant sur le nouveau protectorat de l'Otan. La KFOR, actuellement forte de 16.000 hommes dans une province de deux millions, a apporté un peu de protection aux sites sacrés serbes ; en juin 1999, les troupes françaises ont empêché le viol et le meurtre de nonnes et de prêtres au monastère de Devic, après la profanation et le pillage de sa structure du 15ème siècle, par les partisans de la force armée de l'ALK. Mais l'Otan a, tout compte fait, donné le droit et légitimé les forces qui ont procédé à la destruction de plus de 70 églises ou monastères jusqu'en octobre 1999 (21 dans la zone de responsabilité étasunienne). Pendant ce temps, plus de 200.000 Serbes ont fuit de la province. Durant l'été 1999, 40.000 Serbes avaient fui Pristina. [NdT : Faut-il rappeler que Bernard Kouchner était le "vice-roi" du Kosovo durant cette période ?]

[Mais] la destruction s'est poursuivie : 35 sites ont été attaqués en 2004. En mars dernier, le monastère de Decani (fondé en 1327) a été détruit par une attaque au mortier. De tels incidents sont vus par les Serbes comme non seulement des assauts contre leur culture et leur histoire, mais comme des efforts pour gommer cette histoire.

Quelques Albanais prétendent qu'ils étaient les habitants originels du Kosovo, une terre grande comme [le département de la Gironde - c'est à dire 10.000 km2]. Ils soutiennent qu'ils descendent des Illyriens anciens qui habitaient cette zone depuis le 14ème siècle avant JC. Il apparaît aussi qu'ils ont probablement migré au cours de la période ottomane, venant de ce qui est à présent l'Albanie pour submerger les Serbes. Il y a une centaine d'années, l'émigration vers cette région a toutefois amené la population serbe au niveau du groupe ethnique albanais : 50/50. Par la suite, le plus fort taux de natalité des Albanais a réduit la population serbe à quelques 10% du total. A la suite du nettoyage ethnique de la dernière décennie, ce chiffre s'est réduit peut-être à 4%.

Le Kosovo était la région la plus pauvre de la Yougoslavie de Tito, mais elle bénéficiait du statut de province autonome et était traitée comme une république de fait, en accord avec la philosophie de Tito selon laquelle "Une Serbie faible équivalait à une Yougoslavie forte". A la suite de la mort de Tito en 1980, il y a eu de grandes manifestations exigeant le statut de république à part entière. Lorsque le groupe ethnique serbe fut pris pour cible, Slobodan Milosevic, politicien peu connu, se positionna comme le défenseur des Serbes du Kosovo. En tant que président de la Serbie, il a (stupidement) retiré l'autonomie au Kosovo en 1989, provoquant la protestation des Albanais et la formation de l'ALK en 1995. L'ALK a pris pour cible la police, l'armée et les fonctionnaires, prenant le contrôle d'environ un-quart de la province.

Belgrade a hésité pendant plusieurs années avant de prendre des mesures énergiques contre l'ALK. Après l'échec des rebelles dans leur tentative de prendre la ville d'Orahovac en été 1998, Belgrade a lancé une offensive et a regagné le contrôle de presque toute la province. A ce stade, Washington a commencé à être activement impliquée. Le Président Clinton avait dépêché dans la région, en février 1998, un envoyé spécial, Robert Gelbard. A cette époque, il avait déclaré que l'ALK, du point de vue de Washington, était "sans aucun doute possible un groupe terroriste". Le Département d'Etat avait vraiment conclu qu'il s'agissait d'un groupe terroriste financé par l'héroïne, avec des liens avec al-Qaïda (Washington Times, 4 mai 1999). Cependant, quelques mois plus tard, Gelbard rencontra les dirigeants de l'ALK ; l'organisation fut bientôt retirée de la liste des groupes terroristes à Washington. Plus tard cette année-là, un autre envoyé spécial au Kosovo, Richard Holbrooke, fut photographié avec les dirigeants de l'ALK, encourageant un peu plus leur mouvement sécessionniste violent.


Richard Holbrooke avec un dirigeant terroriste de l'ALK

La Yougoslavie ("La terre des Slaves du sud") avait été une nation non-alignée et pacifique, entretenant pendant des décennies des relations cordiales tant avec le bloc soviétique qu'avec l'Ouest. Mais à partir de 1991, la fédération a commencé à se désagréger. D'abord, la Slovénie a déclaré son indépendance. Le Secrétaire d'Etat américain, James Baker, était mécontent de cette manœuvre, pensant (correctement) que cela conduirait à une déstabilisation régionale. Mais la puissante Allemagne réunifiée encouragea cet éclatement. La Croatie et la Macédoine ont suivi, puis, la Bosnie-Herzégovine est entrée en guerre civile. Washington a reconnu l'indépendance bosniaque en 1994. Accusant les forces serbes d'atrocités, l'Otan a bombardé la Bosnie en août et en septembre 1995, pavant la route pour l'Accord de Dayton en novembre et le déploiement des forces de l'Otan en Bosnie. C'est alors que Bill Clinton et Madeleine Albright, sa Secrétaire d'Etat, habitués à formuler des exigences et à être obéis, exigèrent de Milosevic qu'il cesse son offensive contre l'ALK. Ce qu'il fit.

A la suite d'un cessez-le-feu en octobre 1998, avec l'accord de Milosevic, les inspecteurs de la paix de l'OSCE (l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe) sont arrivés au Kosovo. Mais le cessez-le-feu fut interrompu au bout de quelques mois. Washington exigea alors que Milosevic retire ses troupes du Kosovo. Cela revenait à exiger qu'un Etat souverain retire ses troupes de l'une de ses provinces où un groupe, que les Etats-Unis avaient auparavant défini comme "terroriste", livrait une guerre pour la sécession.

Washington a convoqué le "Groupe de contact" (comprenant la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne, l'Italie et la Russie), ainsi que Belgrade et les représentants sécessionnistes albanais, à Rambouillet, en France, en février et en mars 1999. Les "Accords de Rambouillet" furent signés par toutes les parties, à l'exception de la Yougoslavie et de la Russie. Cet accord spécifiait que le Kosovo obtiendrait l'autonomie mais resterait une partie de la Serbie. Ce fut la seule concession de Belgrade et la raison initiale du ronchonnement des représentants de l'ALK. Mais les séparatistes, réalisant sans aucun doute qu'ils gagneraient l'indépendance avec le temps, furent convaincus. (Ils viennent juste de la déclarer, le 17 février [de cette année], avec l'approbation de Washington.) Ces accords stipulaient que Belgrade acceptait une force de l'Otan avec toute liberté d'agir sur l'ensemble du territoire yougoslave.

C'était une exigence qu'aucun Etat souverain ne pouvait accepter. Un haut responsable français [NdT : Hubert Védrine] a accusé les Etats-Unis de se comporter comme une "hyper-puissance"[1] ; l'Otan était elle-même divisée et embarrassée par cette exigence. (Les Espagnols, les Italiens et les Grecs étaient gênés en particulier par le bombardement de Belgrade par l'Otan.) Washington appelait une organisation, fondée pour défendre l'Europe occidentale contre une [éventuelle] attaque soviétique, d'intervenir dans un pays ami et non-menaçant pour le forcer à accepter un démembrement plus important. Du 24 mars au 10 juin [1999], les forces aériennes de l'Otan, y compris la Luftwaffe allemande, se sont déployées pour la première fois depuis 1945 et ont bombardé la Yougoslavie.

Je ne pensais pas à l'époque que les actions de Clinton étaient la conséquence de quelques desseins géostratégiques concernant le Kosovo. (Il n'y a pas grand chose, là-bas, à part une grande quantité de charbon.) Mais s'il n'avait rien fait, et que la violence avait continué, il aurait été critiqué pour n'avoir pas utilisé la puissance américaine ("pour empêcher un génocide") et laissé la porte ouverte pour que d'autres parties intéressées (l'Allemagne) entreprennent une action unilatérale. Il devait rassembler l'Otan pour envoyer un message au monde, selon lequel les Etats-Unis restaient le chef et le gendarme du camp occidental.

Un chaos continu dans les Balkans aurait suggéré que les Etats-Unis se déchargeaient des responsabilités du pouvoir. Une action forte signalerait aux alliés, de même qu'à la Fédération Russe, que les Etats-Unis, face à une Europe de plus en plus compétitive et unie, pouvait continuer à déployer l'Otan à la poursuite de ses propres objectifs. (De la même manière, l'utilisation de l'Otan en Afghanistan après le 11/9 a servi à lier l'alliance autour de l'agenda dicté par les Etats-Unis, tandis que le public dans les Etats membres mettent de plus en plus en doute la valeur et la logique de cette mission.)

Nous associons l'administration Bush et ses néocons à la propagation systématique de la désinformation, destinée à justifier la guerre. Mais l'administration Clinton a utilisé la même tactique, alors qu'elle s'apprêtait à bombarder la Yougoslavie. Il y avait les histoires d'horreur relatives au "nettoyage ethnique" et les attaques des forces gouvernementales yougoslaves contre les Bosniaques innocents. Le Ministre de la Défense américain William Cohen, en écho au Sénateur Joseph Biden (Démocrate -Delaware), au Sénateur Chuck Hagel (Républicain - Nebraska) et à l'ancien Sénateur Bob Dole, a accusé Belgrade de "génocide". "Nous voyons maintenant que 100.000 hommes environ, en âge de partir à l'armée, manquent à l'appel … Il se peut qu'ils aient été assassinés", avait prévenu Cohen. "Il y a des indications qu'un génocide se déroule au Kosovo", a déclaré la porte-parole du Département d'Etat, Jamie Rubin.

Mais des rapports allemands livraient une tout autre histoire. Quatre opinions judiciaires allemandes, entre octobre 1998 et mars 1999, deux rapports des renseignements du ministère des affaires étrangères, en janvier 1999, et un rapport du ministère des affaires étrangères transmis à la Cour administrative de Mainz en mars 1999 mettaient tous en doute ces accusations. Selon "l'Opinion de la Haute Cour Administrative de Münster" (11 mars 1999)[2] "Le groupe ethnique albanais au Kosovo n'a ni été sujet ni exposé à une persécution, tant au plan régional que national, dans la République Fédérale de Yougoslavie".

Après la glorieuse victoire de l'Otan sur la Yougoslavie, on a aussi découvert que pas plus de 2.108 personnes avaient été réellement tuées dans cette province durant les années 1998-1999, avant que le bombardement ne commence. Il est assez probable que, depuis 1998, plus de Serbes ont été tués par les Albanais que vice-versa. L'accusation de "génocide" (rappelant la rhétorique de ceux qui préconisent l'intervention au Darfour) a été exagérée, voire manigancée ; la description de Milosevic comme le "nouvel Hitler" (rappelant la qualification hystérique de Saddam Hussein) était également ampoulée.

Washington a pratiquement obtenu ce qu'il voulait. Les Etats-Unis ont détruit l'Etat yougoslave, traduit Milosevic devant un tribunal irrégulier à La Haye (où, après avoir mis en valeur sa réputation auprès des Serbes par une défense fougueuse, il est mort d'une crise cardiaque) et installé l'Otan dans un pays qui était autrefois un territoire européen fièrement non-aligné. Mais dans les derniers jours de la guerre de l'Otan contre la Yougoslavie, en juin 1999, la Russie a envoyé des troupes basées en Bosnie vers la capitale du Kosovo, Pristina, où elles prirent le contrôle de l'aéroport. C'était une déclaration claire que la Russie ne concèderait pas le contrôle total de la Yougoslavie à l'Otan. Cela choqua Madeleine Albright et dérangea suffisamment le Général Wesley Clark pour qu'il ordonne une attaque aéroportée contre les Russes. Mais le général britannique qui commandait à l'époque la force de l'Otan, Michael Jackson, a dit à Clark : "Monsieur, je ne commencerai pas la Troisième Guerre Mondiale pour vous".

Donc, après les bombardements, les Russes ont été inclus dans la mission de "maintien de la paix" au Kosovo et ont été depuis considérés comme les protecteurs des Serbes qui été restés dans cette province serbe. Leur opposition à l'indépendance du Kosovo pourrait être perçue à Washington, parmi ceux qui sont avides d'établir un nouvel Etat client et de l'attirer dans l'Otan, comme une légère irritation. Mais cette manœuvre talonne l'ingérence des Etats-Unis en Géorgie, en Biélorussie et en Ukraine : expansion sans relâche vers l'Est de l'Otan et manœuvre pour installer le bouclier antimissile en Pologne et en République Tchèque. Le gouvernement russe dit en fait : "Voyez ! Vous êtes intervenus en Amérique Latine, où vous avez formé ou destitué des gouvernements, selon votre volonté, prétendant que cela était nécessaire pour votre sécurité nationale". Nous, qui avons été envahis de nombreuses fois par l'Ouest, avons des raisons légitimes de soutenir nos amis dans les Balkans, y compris les Serbes, que vous avez scandaleusement calomniés et maltraités. Pensez-vous vraiment que vous pouvez tout simplement arracher par la force militaire brutale une province d'un pays slave qui est notre ami et espérer que nous le prenions en disant "amen" ?"

J'ai le sentiment que Washington a commis une bourde - et qu'il y aura quelque retour de bâton. Il est tout à fait plaisant qu'un peuple, constituant 90% des habitants d'une région, forme son propre Etat, après des décennies d'aspiration et (sous Milosevic) une oppression nationale indéniable. Mais regardez cette vidéo sur youtube[3] : Voyez comment un jeune Albanais essaye d'arracher la croix d'une église serbe en flammes en mars 2004. Et que dire du saccage de l'intérieur du Monastère Devic, construit en 1434, et incendié en mars 2004[3]. Ou de ce cimetière antique serbe profané en avril 2005.

On peut trouver sans aucun doute des images tout aussi horribles d'actions commises par les Serbes et, le nationalisme kosovar-albanais, comme le nationalisme serbe, gardent en eux le potentiel pour accomplir plus de destructions. Mais les dirigeants [actuels] à Pristina, placés au pouvoir par l'action des Etats-Unis, semblent particulièrement répugnants et aptes à produire le désastre. Les dirigeants de la nation du Kosovo nouvellement déclarée sont enracinés dans l'ALK ; Hashim Thaçi, le nouveau Premier ministre, était un membre de ce petit groupe. Le gouvernement de la Serbie affirme que ce dernier a rencontré Oussama ben Laden à Tirana, en 1995.

Il a été accusé d'entretenir des liens avec les mafias albanaise, tchèque et macédonienne et d'être membre du Groupe Drenica, contrôlant 10 à 15% des activités criminelles au Kosovo, dont le trafic d'armes, le vol de véhicules, la prostitution et le trafic illégal de pétrole et de cigarettes.

Les tribunaux yougoslaves, en 1997 et en 1998, l'avaient déclaré coupable de terrorisme, dont des attaques contre des policiers serbes, mais il avait été un représentant kosovar-albanais lors des pourparlers de Rambouillet. Avec la débandade de l'ALK en 1999, il est devenu le chef du plus grand parti du Kosovo, le Parti Démocrate. Pendant ce temps, les anciens membres de l'ALK sont devenus impliqués dans les insurrections ethniques albanaises, ailleurs, dans la vallée de Presevo, en Serbie et en Macédoine. (La population albanaise en Macédoine représente aujourd'hui 25% de la population totale.) Une "Armée Albanaise de Libération Nationale de la Macédoine" a livré la guerre contre les forces de sécurité macédoniennes, jusqu'à ce que les accords d'Ohrid soient signés en août 2001, donnant satisfaction à certaines de ses exigences. Un autre groupe armé dirigé par Avdil Jakupi ("le Commandant Cakalla") a été formé en 2003, tandis qu'un autre, conduit par Agim Krasniqi, a pris un village à l'extérieur de Skopje, pendant six mois en 2004.

Ceux qui rêvent d'une "Grande Albanie" (incluant de façon optimale l'Albanie, le Kosovo et d'autres parties de la Serbie, des parties de la Macédoine, du Monténégro et de la Grèce), se réjouissent de l'indépendance Kosovare et pourraient redoubler d'efforts dans toute la région. Il y a des dimensions religieuses potentielles avec le nationalisme albanais : alors que les Albanais (comme les Bosniaques) sont très majoritairement des Musulmans laïcs, le produit de générations d'éducation athée en Albanie et en Yougoslavie, ils sont vraiment musulmans. A présent, mis à part la Turquie, il y a donc deux pays musulmans en Europe : l'Albanie et le Kosovo. (La population musulmane en Bosnie-Herzégovine représente moins de 50%). Les Saoudiens, les Koweïtiens et d'autres ont déversé de grosses sommes d'argent dans la construction de mosquées en Albanie et au Kosovo, encourageant les formes fondamentalistes de l'Islam. Le Comité Mixte Saoudien pour l'Aide au Kosovo a restauré 190 mosquées endommagées au Kosovo et les Saoudiens y ont construit des mosquées. (Pendant un temps, l'une d'entre elles s'appelait la Mosquée Ben Laden).

Qu'elles soient intentionnelles ou non, ces initiatives de répandre un Islam de style salafiste cadrent avec les efforts d'al-Qaïda d'exploiter l'instabilité des Balkans. Au début des années 90, cette organisation a été active en Bosnie durant la guerre et soutient sûrement l'idée d'une "Grande Albanie" et d'un Djihad pour la réaliser. Quel meilleur véhicule pour la propagation de son idéologie qu'un réseau d'insurrections basé sur une ethnie et coordonnée à partir du Kosovo ?

Voici un retour de bâton possible, remontant à la guerre de l'Otan de 1999 et aux événements au Kosovo dans son sillage. Un autre est un régime albanais enhardi à Tirana. La Serbie a indiqué qu'elle étofferait désormais la sécurité dans les zones à majorité serbe dans ce qu'elle continue de considérer comme sa province. Certains pourraient voir cela comme un effort pour diviser le Kosovo. Le Ministre des Affaires Etrangères albanais Besnik Mustafaj a déclaré en mars 2006 : "Si le Kosovo est divisé, nous ne pourrons plus garantir ses frontières avec l'Albanie ou la frontière de la partie albanaise de la Macédoine". Autrement dit, l'Albanie pourrait entreprendre une action militaire pour accomplir elle-même quelques re-divisions régionales, soutenues, peut-être, par la Turquie.

Pendant ce temps, Vladimir Poutine, astucieux et prudent, réfléchit à la manière d'utiliser ce coup porté à la fierté pan-slave pour restaurer l'influence russe dans les Balkans. Son Ministère des Affaires Etrangères a déclaré que la revendication d'indépendance du Kosovo menace "les fondations d'un ordre mondial qui s'est développé sur des décennies". C'est, bien sûr, vrai. Même avant que Bush et ses néocons n'arrivent au pouvoir, Washington jouait avec ces fondations, les sapant avec jubilation, rayonnant de son triomphalisme de l'après-Guerre Froide. Encore et toujours, il y a eu des retours de bâton.

L'Otan, ainsi que l'historien militaire Andrew J. Bacevich l'a récemment écrit, est à son crépuscule. Le Ministre de la Défense [Robert] Gates se plaint du manque de zèle européen à poursuivre les ennemis en Afghanistan. Ceci, bien sûr, reflète l'opinion publique européenne qui voit à présent l'Afghanistan comme une mission vaine de contre-insurrection imposée à l'Europe par Washington talonnant d'autres missions douteuses résultant de la politique des Etats-Unis.

Les Etats-Unis, enlisés profondément en Asie du Sud-Ouest, ont laissé les Européens tenir le manche en Bosnie : l'Allemagne a contribué à hauteur de 800 soldats sur les 3.000 que comptait la Force de l'Union Européenne (EUFOR) de maintien de la paix. Les 16.000 soldats de la KFOR au Kosovo incluent 2.567 Italiens, 2.374 Allemands et 2.269 Français (mais seulement 1.456 soldats américains). Ayant envahi l'Irak, les Etats-Unis ont exhorté les pays de l'Otan à envoyer des troupes et la Grande-Bretagne continue de "rendre service" [en Irak] avec 4.500 soldats. D'autres avec des engagements similaires (l'Espagne, avec 1.300 soldats, les Pays-bas, 1.345, et l'Italie, 3.300) se sont tous retirés d'Irak.

En Afghanistan, la Force Internationale d'Assistance à la Sécurité (FIAS) consiste en 28.000 soldats essayant de stabiliser un pays grand comme [deux fois et demie la France], avec une population de 30 millions d'habitants. Les Etats-Unis fournissent 15.000 soldats, la Grande-Bretagne 7.800, l'Allemagne 3.210, l'Italie, 2.880, le Canada 2.500, les Pays-Bas 1.650, la France 1515, la Pologne 1.100. Les pertes militaires de la FIAS ont augmenté chaque année depuis 2003 (57) à 2007 (232) alors que les Taliban ont repris des couleurs.

L'opinion publique en Allemagne et au Canada s'est tournée radicalement contre les déploiements en Afghanistan. L'année dernière, un sondage conduit par le magazine allemand Focus a trouvé que 63% des Allemands pensent que le déploiement actuel au nord de l'Afghanistan ne sert pas les intérêts de l'Allemagne et 84% des Allemands s'opposent à l'envoi de troupes au sud comme le réclament les Etats-Unis. Dans un sondage canadien en mai dernier, 55% de ceux qui ont répondu sont favorables à un retrait d'Afghanistan, tandis que 67% étaient d'accord sur le fait que la présence des troupes canadiennes là-bas rendait le Canada plus vulnérable à une attaque terroriste.

Les alliés des Etats-Unis sont fatigués des efforts pour les entraîner dans les guerres étasuniennes. L'Impérialisme des Etats-Unis est confronté à quelque chose qui ressemble à une crise, au fur et à mesure que leurs partenaires ont une nouvelle réflexion pour savoir où reposent leurs véritables intérêts. Le PIB de l'UE excède désormais celui des Etats-Unis. L'euro est beaucoup plus fort que le dollar. Les gens, partout, haïssent le gouvernement américain, qu'ils associent aux mensonges qui ont encouragé la guerre et à la sauvagerie générale. Bush n'a plus de capital politique, tant dans son pays que sur la scène internationale, alors que le Kosovo annonce son indépendance, rendue possible par les mensonges des Etats-Unis et l'intervention sanglante, "menaçant", comme le disent les Russes, "les fondations de l'ordre mondial".

Tout finit par mourir. Le "Nouvel Ordre de l'Europe" d'Hitler, le "Nouvel Ordre d'Asie Orientale" du Japon, le "Nouvel Ordre Mondial" de George H. W. Bush, proclamé alors qu'il lançait la première Guerre du Golfe en 1990. L'ordre mondial actuel est profondément injuste et mérite d'être menacé, par les bonnes personnes, avec une meilleure initiative. Mais l'assaut contre la Yougoslavie en 1999 n'a amené rien de positif, mais plutôt, plus d'intolérance et de souffrance, plus de nettoyage ethnique. Un nouveau régime émerge, applaudi par ses sponsors américains et la plupart des Européens (mais rejeté par la Grèce, Chypre, la Slovaquie, l'Espagne et la Bulgarie). Il est enveloppé de la fumée de l'héritage encore incandescent des églises. Il a l'odeur de la crémation d'un ordre mondial.

Gary Leupp est professeur d'histoire à la Tufts University et Professeur-adjoint de Religion Comparée

Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par [JFG/QuestionsCritiques]

Notes __________________

<[1] Lire dans le Monde diplomatique : Errements de la diplomatie française au Kosovo

[2] Extraits de ce rapport (en anglais).

[3] Voir cette vidéo sur youtube

[4] Voir cette autre vidéo