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41% des Israéliens juifs veulent des centres
de loisirs construits sur le modèle de l'Apartheid ;
68% ne veulent pas vivre à proximité d'un Arabe

Le consensus juif qui émerge en Israël

Par Jonathan Cook

CounterPunch, mercredi 23 mars 2006


Si vous voulez comprendre ce qui inquiète les Israéliens ordinaires, au moment où ils s'apprêtent à se rendre aux urnes la semaine prochaine, voici le sondage le plus révélateur. C'est aussi celui qui a le moins retenu l'attention.

Quelques semaines après qu'Ariel Sharon a brisé son parti — le Likoud — pour former un nouveau groupe "centriste" — Kadima — ses conseillers ont commandé un sondage pour savoir comment ses électeurs potentiels réagiraient si sa liste de candidats incluait un Arabe.

Les résultats étaient sans équivoque : Kadima perdrait les voix, équivalant à 5 à 7 sièges dans la prochaine Knesset de 120 membres juifs israéliens, de tous ceux qui ne voudraient pas contribuer à faire élire un Arabe.

Même si cela permettait une augmentation potentielle du soutien à Kadima de la part de la minorité arabe (un cinquième de la population), le parti a décidé que le jeu n'en valait pas la chandelle. Ahmad Dabah, un maire arabe, était en 51ème position sur la liste, et n'avait aucune chance d'être élu.

À la fin de l'année dernière, dans une échappatoire à la chute du Likoud, avant que sa radicalisation à droite ne devienne définitive, Sharon créa son nouveau parti. Kadima promettait à la place d'occuper le centre de la politique, qui représente le consensus "israélien". Mais ce consensus ressemble de plus en plus à un consensus juif qu'à un consensus israélien. Le million d'Arabes du pays n'est pas invité à rejoindre le parti — dans tous les sens possibles.

Le principe de la séparation ethnique a toujours été au cœur du projet de construction d'une nation juive. Des centaines de communautés rurales — dont les communes de Kibboutzim, établies après la naissance de l'Etat en 1948 — sont strictement hors de portée du million de citoyens arabes que compte le pays. Même dans la poignée de villes "mixtes", les Arabes habitent dans leurs propres quartiers isolés.

Les divisions sont aussi imposées par le système éducatif, avec des écoles arabes et juives séparées ; et la philosophie du "travail hébreu", héritée des pionniers sionistes, signifie qu'un grand nombre de lieux de travail appliquent aussi la ségrégation.

Des décennies de passivité de la part de la minorité arabe n'ont rien fait pour inverser l'antipathie qu'éprouve la majorité juive à son encontre. Un autre sondage de cette semaine, publié par le quotidien de gauche Haaretz, indique que 68% des Israéliens juifs rejettent l'idée de vivre à côté d'un Arabe — et 41% d'entre eux veulent des installations de loisirs séparées, à la façon de l'apartheid. Des enquêtes montrent régulièrement que près de la moitié des Israéliens est favorable à l'émigration forcée des Arabes d'Israël.

Mais la décision de Kadima d'exclure toute représentation arabe de sa liste montre que ce parti en est à un stade encore plus inquiétant de cette idéologie de séparation.

Le succès attendu de Kadima — selon les projections, il pourrait obtenir 40 sièges — est lié à l'association étroite que fait le public entre ce parti et la politique unilatérale de séparation. En se désengageant de Gaza, l'année dernière, et avec la création d'un mur-barrière à travers la Cisjordanie, Sharon a prouvé son propre engagement au principe de la séparation.

Le successeur de Sharon en tant que chef du Kadima, Ehud Olmert, étendra ce programme en promettant d'autres petits désengagements de Cisjordanie dans une tentative — selon ses propres mots — de dessiner les "frontières définitives" d'un Etat juif étendu. Nous assistons au triomphe de la philosophie du "nous sommes ici et ils sont là", articulée par deux premiers ministres travaillistes récents, Yitzhak Rabin et Ehud Barak.

Mais quelle sorte d'Etat juif dans ses frontières définitives Olmert propose-t-il ? Et bien, pour commencer, ce sera un Etat où le consensus aura été élaboré dans le but de réduire au silence un cinquième de la population. Si, comme l'on s'y attend, Kadima remporte l'élection dans un fauteuil, le pire pourrait être à venir.

Selon les médias israéliens, Olmert a flirté avec un petit parti d'extrême droite qui est de plus en plus populaire et dont il pourrait avoir besoin des sièges pour soutenir le gouvernement de coalition qu'il devra former. Avigdor Lieberman, du parti Yisrael Beitenu [constitué d'immigrés russes et qui milite pour l'annexion des territoires occupés et la création du Grand Israël] est salué comme le faiseur de roi le plus probable après les élections.

Il pourrait aussi dessiner les contours d'un futur très déplaisant.

Lieberman, le directeur général du Likoud au temps où Benyamin Netanyahou était premier ministre, est l'enfant chéri de la droite. Mais en vérité, il est bien plus proche de Kadima que du Likoud.

Là où le Likoud de Netanyahou rejette tout pourparler de séparation et de désengagement des Palestiniens comme solution au conflit, Lieberman est le véritable architecte de la séparation "réciproque" — en opposition à la séparation unilatérale. En bref, il croit que si Israël fait des sacrifices avec Gaza et la Cisjordanie en "expulsant" des colons de leurs habitations, alors la minorité arabe qui vit actuellement en Israël devrait s'attendre à payer un prix identique.

Il veut que les maisons de centaines de citoyens arabes vivant dans une petite zone d'Israël adjacente à la pointe nord de la Cisjordanie soient transférées hors de l'Etat juif et incorporées à ce qui restera d'un état-ghetto palestinien derrière la barrière de séparation d'Israël.

Il veut aussi que tous les Arabes qui resteront soient dépouillés de leur citoyenneté à moins de jurer loyauté à un "Etat juif et démocratique". En acceptant, ils renonceront au droit de voter pour des partis arabes, qui exigent la transformation d'Israël, d'un Etat juif à un "Etat pour tous ses citoyens".

On dit que Lieberman croit que la citoyenneté de jusqu'à 90% de la population arabe peut être annulée de cette manière. Et les propos qu'il tient en public ont toutes les chances d'être repris en privé par Kadima.

Depuis quelques temps, les médias hébreux rapportent l'intérêt que Sharon portait aux échanges de territoires avec les Palestiniens, comme moyen — d'un seul coup — d'annexer les blocs d'implantation et de dépouiller la minorité arabe d'Israël de sa citoyenneté à l'intérieur d'un Etat juif. Olmert est supposé être sur la même longueur d'onde.

Kadima apparaît être sur une lancée victorieuse. Une séparation, de la plus brutale et de la plus impitoyable sorte, est désormais, ainsi que les sondages le montrent clairement, ce que le consensus israélien exige précisément.

Jonathan Cook est un journaliste britannique qui vit à Nazareth. Il sortira le mois prochain un ouvrage intitulé : "Blood and Religion: The Unmasking of the Jewish and Democratic State" [Sang et Religion: l'Etat Juif et Démocratique Démasqué]

Note :
Voir, Sommet historique à Jérusalem pour sceller l’Alliance des guerriers de Dieu

Traduit de l'anglais (États-Unis) par [JFG-QuestionsCritiques]