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La reddition contre le droit d'exister

"Les Palestiniens Doivent Payer le Prix de leur Choix"

Par Kathleen Christison,
ancienne analyse de la CIA

CounterPunch, 27-28 mai 2006

Dans son discours qu'il a prononcé le 24 mai devant le Congrès [américain], lors d'une séance exceptionnelle, Ehud Olmert, faisant remarquer qu'il a été élevé dans la conviction profonde que le peuple juif n'aurait jamais à rendre quoi que ce soit de la "terre de leurs ancêtres", a déclaré : "Je crois - et à ce jour je crois toujours - dans le droit éternel et historique de notre peuple sur l'ensemble de cette terre". Il a ensuite concédé que les rêves seuls ne peuvent apporter la paix et ne préserveront pas Israël en tant qu' "Etat juif, démocratique et sûr". Mais ce qui ressort de cette déclaration peu remarquée de l'attachement juif à cette terre est son affirmation d'un droit suprême juif sur l'ensemble de la Palestine, sans se préoccuper de qui d'autre peut bien y vivre. S'il devait y avoir encore l'espoir d'un accord de paix juste et équitable entre Israël et les Palestiniens, cette déclaration rompt toute possibilité d'y parvenir. À la lumière de ce point de vue israélien officiel, selon lequel le peuple juif a "un droit éternel et historique sur l'ensemble de cette terre", on est effrayé par l'hypocrisie de l'exigence - exposée universellement par Israël, les Etats-Unis, l'UE et la grande majorité des autres nations - que les Palestiniens doivent d'abord reconnaître à Israël le "droit d'exister" avant que quiconque ne leur adresse la parole, avant qu'ils puissent être admis dans la compagnie civilisée du monde. Cela signifie-t-il qu'ils doivent reconnaître à Israël le droit d'exister "sur l'ensemble de cette terre", tel que l'a défini Olmert ? Et si c'est le cas, comment les Palestiniens pourraient-ils possiblement avoir l'assurance, même si Israël leur accordait magnanimement un "Etat" ou un "Bantoustan" sur une partie de "l'ensemble de cette terre", qu'Israël ne leur reprendrait pas à quelque date future, puisque les Juifs ont "un droit éternel et historique" sur elle ? Pourquoi devrait-on croire que toute concession territoriale israélienne serait définitive ?

La déclaration d'Olmert de ce "droit" juif englobant cet ensemble n'est assurément pas une nouvelle caractéristique du dogme israélien et sioniste. Depuis toujours, cette notion, cachée parfois derrière un vernis gauchisant (mais jamais très loin de la surface) d'accommodation avec la réalité de la présence palestinienne dans cette terre juive sacrée, est sous-entendue dans le sionisme. En fait, la croyance sioniste en la suprématie juive n'a jamais été vraiment cachée. En voici la forme crue sur laquelle je suis tombée il y a quelques années : Peu de temps après le début de l'Intifada palestinienne de 2000, une de mes connaissances - pas un ami, mais un bigot irritant qui prétend toujours que les intérêts des Juifs sont supérieurs aux intérêts palestiniens - m'a envoyé un courriel. Dans celui-ci il conclut que, parce qu'il "n'y a tout simplement pas assez de place en Palestine à la fois pour les Juifs et les Palestiniens", les Palestiniens devraient "retourner en Jordanie, d'où ils viennent" et laisser la Palestine aux Juifs, qui la possèdent et qui ont si désespérément besoin d'une patrie. (Cette notion erronée, selon laquelle les Palestiniens sont venus de Jordanie, est un artefact permettant de donner bonne conscience à l'imagination sioniste. Cela est destiné à "prouver" que les Palestiniens ne sont pas originaires de Palestine, qu'ils sont simplement des intrus en terre juive et, par conséquent, qu'en "retournant" d'où ils viennent, ils ne subiront, ni dommages, ni dérangement.) Je lui ai dit qu'il avait fondamentalement tort et que ses propos étaient totalement immoraux - ce que, je suis sûre, n'a rien fait pour accabler sa conscience, mais qui a permis, dieu merci, de mettre fin à notre correspondance. L'argument de cet homme exprime plutôt le racisme brut que la plupart des supporters d'Israël admettraient ressentir. Mais, en fait, sa position reflète le point de vue officiel du gouvernement israélien et celui du gouvernement étasunien qui le soutient. En fin de compte, cette position, qui est évidemment celle d'Olmert, capture l'essence même du sionisme et définit ce qui a été la base de la politique étasunienne vis-à-vis d'Israël et du sionisme depuis bien avant que l'Etat d'Israël ne soit établi il y a 58 ans. C'est-à-dire, les intérêts d'Israël en tant qu'Etat juif et les "droits" d'Israël sont toujours au-dessus, quels que soient les intérêts et les droits des Palestiniens. Et les besoins des Palestiniens ne peuvent être remplis que lorsqu'ils n'interfèrent pas avec ceux d'Israël ou lorsque les Palestiniens acceptent les exigences d'Israël. Dans le fond, c'est une politique basée sur la supposition qu'il n'y a "tout simplement pas de place en Palestine à la fois pour les Juifs et les Palestiniens", et que la seule solution possible sur le long terme est que les Palestiniens disparaissent d'une manière ou d'une autre. En tant qu'ambassadeur de l'OLP auprès des Etats-Unis, Alif Safieh aime à dire qu'Israël veut la géographie palestinienne mais pas sa démographie - la terre mais sans le peuple.

La disparition des Palestiniens peut être accomplie par le calcul israélien d'une façon ou d'une autre. D'abord, Israël pourrait se persuader de se défaire complètement des Palestiniens ; depuis sa création, Israël travaille à quelque version de cette option - une expulsion pure et simple, comme cela s'est produit en 1948, ou la provocation d'un départ "volontaire" en rendant la vie insupportable, comme c'est le cas aujourd'hui - comme le meilleur moyen de se débarrasser du "problème" palestinien. Ensuite, en seconde option, les Palestiniens pourraient être soumis de force ; ceci a été le sort de 20% de la population israélienne - les Palestiniens - et ce fut le sort des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie pendant les 20 premières années de l'occupation, lorsqu'ils restèrent passifs face au contrôle israélien. D'un point de vue israélien, cette option n'est plus réalisable, puisque que, tôt ou tard, il y aura plus de Palestiniens que de Juifs en Palestine, et tenter de les forcer à la soumission sera par trop improbable pour un Etat prétendant être démocratique. Enfin, en troisième option, les Palestiniens pourraient être endormis dans une docilité politique qui les conduirait, par désespoir, à accéder à toutes les conditions israéliennes ; c'est ce que fit Yasser Arafat en signant les accords d'Oslo et en reconnaissant à Israël le "droit" d'exister, laissant ainsi échapper les derniers atouts palestiniens dans le jeu des négociations, sans assurer en retour l'accord d'Israël de faire plus que de conduire des négociations.

Etant donné que cette troisième option s'est effondrée à Camp David en 2000, Israël est revenu à la première option. Le processus d'Oslo a essentiellement échoué parce que Arafat s'est réveillé au dernier moment, après qu'Israël avait essayé de passer en force un accord final absolument insatisfaisant et qu'il avait refusé de se laisser endormir dans une capitulation totale. Depuis le réveil d'Arafat, l'agenda israélien, soutenu de tout leur cœur par les Etats-Unis et, dans une moindre mesure, par le reste de l'Occident, a consisté à poursuivre l'option numéro un, provoquant d'une manière ou d'une autre les Palestiniens à quitter complètement la Palestine - en d'autres termes, tentant de forcer de manière abjecte la reddition des Palestiniens, selon des termes assumant la suprématie totale des Juifs.

Les Etats-Unis et l'Ouest travaillent dur pour aider Israël à faire appliquer cette reddition. Tandis que les Palestiniens se retrouvent affamés après le retrait des aides de la communauté internationale, des dirigeants des médias, comme le Washington Post, donnent le ton en blâmant les victimes palestiniennes. "Les dirigeants palestiniens", a déclamé le Post dans un éditorial récent décrivant la crise de l'aide, "ont une longue tradition consistant à exploiter à des fins politiques la souffrance de leur propre peuple ; le Hamas s'est contenté de promouvoir la crise humanitaire en Cisjordanie et dans la bande de Gaza". Si la logique de cette accusation, selon laquelle les Palestiniens ont causé leur propre catastrophe parce qu'ils ont échoué à voter de la façon qu'Israël et le Post l'auraient voulu et parce que le Hamas refuse d'accepter les ordres d'Israël, ne saute pas aux yeux, cela aide à comprendre que la supposition de base d'Israël et de ses supporters aux Etats-Unis est que les exigences et les droits d'Israël sont toujours prioritaires et que les Palestiniens ne sont acceptables que s'ils le reconnaissent toujours.

Peu de temps après l'élection du Hamas en janvier, Robert Satloff, le directeur du Washington Institute for Near East Policy [l'Institut pour la politique au Proche-Orient à Washington] - le groupe de réflexion affilié au lobby israélien AIPAC - a posé les exigences essentielles sur les Palestiniens. Apparaissant dans l'émission Lehrer News Hour, Satloff a déclaré que le peuple palestinien doit payer le prix de son choix et que cela devrait être un "objectif stratégique" de la communauté mondiale de faire tomber le gouvernement du Hamas. Il y a vingt ans, observait Satloff avec une arrogance stupéfiante, l'OLP a accédé à ce qu'il appelait les "exigences minimales de départ" en reconnaissant Israël - point de départ consistant, pour le monde d'Israël et de l'AIPAC, à ce que les Juifs aient des droits supérieurs en Palestine et à ce qu'ils tiennent les rennes ; et où les Palestiniens ne comptent que lorsqu'ils se soumettent à cette suprématie juive.

Cette approche "fait-comme-je-le-dis-ou-sinon…" caractérise désormais toutes les attitudes israéliennes et occidentales vis-à-vis des Palestiniens et dénonce l'exigence que le Hamas reconnaisse à Israël le droit d'exister. Dans la conférence de presse qu'il a donnée avec Olmert le 23 mai, Bush a réprimandé les Palestiniens, déclarant qu'aucun pays (voulant dire Israël) "ne pouvait espérer la paix avec ceux qui nient son droit d'exister". Pourtant, on attend des Palestiniens eux-mêmes qu'ils fassent la paix avec ceux qui nient leur droit d'exister en tant que nation. Bush ne voit aucune contradiction ici parce qu'il ne peut pas voir au-delà de la suprématie présupposée des droits d'Israël sur la Palestine.

En fait, l'élection du Hamas et les réactions israélienne et occidentale ont montré le problème de base de toutes négociations de paix, telles qu'elles ont été encadrées par Israël et les Etats-Unis pendant ces dernières décennies : les Palestiniens ont été autorisés à participer - n'ont pu se voir attribuer un rôle dans les efforts de négociation - que lorsqu'ils furent d'accord pour accepter les exigences d'Israël. Mais cette exigence principale sur les Palestiniens est un obstacle fondamental à toute résolution réelle de ce conflit. L'insistance selon laquelle les Palestiniens doivent "reconnaître à Israël le droit d'exister" ne signifie pas, pour Israël et les Etats-Unis, simplement que les Palestiniens doivent promettre de ne pas jeter les Juifs à la mer. S'abstenir de cette mesure radicale est assez facile, même pour les islamistes les plus radicaux. Cela signifie plutôt reconnaître la légitimité morale d'Israël. Pour un Palestinien, cela équivaut à reconnaître - embrasser vraiment en tant qu'impératif moral - le droit d'Israël d'avoir chassé les Palestiniens et pris leurs maisons et leur terre.

Cette exigence ignore la réalité qu'Israël a été établi comme une entité spécifiquement juive sur une terre peuplée à une écrasante majorité de non-Juifs et qu'y maintenir une majorité juive nécessite d'expulser une grande partie de cette population non-juive. Pour paraphraser George Bush, aucun peuple ne peut espérer faire la paix - ou qu'on lui reconnaisse la légitimité morale - avec ceux qui ont essayé et qui essayent toujours de les détruire. L'exigence que les Palestiniens reconnaissent la légitimité morale d'Israël présuppose une priorité des intérêts israéliens sur ceux des Palestiniens, dans des négociations de paix qui sapent totalement tout processus de négociation destiné à apporter la justice aux deux parties. Cette reconnaissance palestinienne ne peut pas être la condition sine qua non et centrale de tout processus de paix - devant être acceptée obligatoirement avant tout début de processus de paix - lorsque Israël refuse de reconnaître un droit moral similaire pour les Palestiniens.

En 1988, l'OLP a vraiment reconnu à Israël le droit d'exister, comme condition de sa participation aux négociations de paix, mais la poursuite de cette obligation palestinienne, consistant à adhérer au principe de cette reconnaissance, a été écartée par le refus d'Israël d'offrir une reconnaissance réciproque à l'existence des Palestiniens. La grave injustice infligée aux Palestiniens en 1948 et dans les décennies ont suivi n'a jamais été corrigée et ceci doit être la pièce centrale de tout processus de négociation. Pour cette raison même, qu'il n'y a pas d'Etat palestinien établi, la question centrale de toute négociation devrait être non pas la reconnaissance de la légitimité d'Israël, mais la reconnaissance aux Palestiniens du droit d'exister en tant qu'Etat indépendant, viable et souverain. Israël existe et n'est pas en danger de cesser à exister ; l'inquiétude concernant son existence et les exigences continuelles que les Palestiniens le reconnaissent comme Etat juif, sans l'exigence de la réciprocité de la part d'Israël, est l'affirmation que les droits des Juifs sont supérieurs. Cette supposition, dans les relations internationales, est fondamentalement injuste et immorale. Cela est vrai aussi pour les relations humaines. Ni Israël, ni les Etats-Unis, n'auront la paix tant qu'Israël ne sera forcé de reconnaître le peuple qu'il a déplacé en Palestine comme un peuple égal sur cette terre.


Traduit de l'anglais (États-Unis) par [JFG-QuestionsCritiques]