La solution au formol ?
Le Plan de Condi Rice et des Néocons
pour les PalestiniensPar Kurt Nimmo
CounterPunch - 29/30 janvier 2005
Condoleezza Rice est si spéciale, si essentielle au Département d'Etat de Bush, désormais "dépowellisé" et "dénéoconisé" qu'elle a dû prêter deux fois serment après la tornade de sa confirmation au Sénat. C'est ce que rapporte Associated Press. Voici ce que Rice à dit à Bush : "Vous nous avez attribué notre mission et nous sommes prêts à servir notre grand pays et la cause pour la liberté qu'il défend". Bush, lui, a fait remarquer : "La nomination de Condi et sa confirmation comme Secrétaire d'Etat marque une transition remarquable dans ce qui est déjà une carrière et une réussite exceptionnelles".
Accolades à profusion mises à part, Condi Rice a toutes les chances d'être la moins qualifiée de toute l'histoire contemporaine pour la fonction de Secrétaire d'Etat. Surtout si l'on considère que son champ d'expertise est l'Union Soviétique, une non-entité politique. Toutefois, puisque Washington tourne autour de qui vous savez - ou de son cirage de pompes -, Rice est la candidate appropriée pour les Bushistes. Surtout si l'on considère qu'elle était professeur titulaire en sciences politiques à Stanford, endroit favori de la Hoover Institution, un "centre public de recherche politique" des néocons, parfois désigné comme le "comité d'experts" de Bush. Entre 1985 et 1986, Condi était une universitaire nationale de la Hoover Institution.
Bush n'a pas été long à envoyer Rice - il dit d'elle qu'elle chaussera les "bottes de sept lieues" de Colin Powell - dans l'Est, surtout au Moyen-Orient, où elle a l'intention de résoudre le conflit israélo-palestinien, comme elle l'a promis à la Commission des Affaires Etrangères du Sénat, lors de ses auditions. Cette déclaration est absurde lorsque l'on connaît sa préférence évidente pour Ariel Sharon et les Likoudniks israéliens.
On devrait se souvenir que Rice, en tant que Chrétienne sioniste, a révélé "son attachement profond à Israël" en 2003. Voici la déclaration que Rice avait faite à la presse juive le 13 mai 2003 : "J'ai visité Israël pour la première fois en 2000. À l'époque, j'avais l'impression de retourner chez moi malgré le fait que je n'y étais jamais venue. J'ai toujours admiré l'histoire de l'Etat d'Israël ainsi que la rudesse et la détermination des gens qui l'ont fondé" (elle entendait apparemment par "rudesse" celle du mouvement de colonisation israélien, l'étoile au firmament des Likoudniks). "Je pense que nous, Israël et les Etats-Unis, partageons les mêmes valeurs. Israël est la seule démocratie de la région" (démocratie qui a enfermé 2.896.000 Palestiniens - chiffre de 1997 - dans la plus grande prison de plein air du monde, et qui s'est battue sans entrave pour réduire leur espace en bantoustans.
En ce qui concerne les "valeurs communes", ce qu'Israël et les Etats-Unis partagent vraiment c'est leur détermination à tuer les Arabes. Encore que les Etats-Unis font passer Israël pour un amateur lorsque l'on pense à la "busherie" que représente les 100.000 morts irakiens, directs et indirects, depuis l'invasion de Bush ! De son côté, selon B'Tselem (le Centre d'Information Israélien pour les Droits de l'Homme dans les Territoires Occupés), Israël a tué 3.399 Palestiniens de la première Intifada (fin 1997) à fin-mai 2003. B'Tselem fait remarquer : "Au moins 181 des Palestiniens qui ont été tués furent exécutés par Israël de façon extrajudiciaire : 120 d'entre eux dans des assassinats conduits par l'armée de l'air israélienne et 61 dans des assassinats conduits par les forces terrestres. Au cours de ces assassinats, 106 autres Palestiniens ont été tués, dont 29 mineurs". Evidemment, il reste une très grande marge pour qu'Israël rattrape le score de Bush en Irak, mais si les actions récentes d'Israël à Gaza donnent une indication, les Israéliens font des heures sup' pour y parvenir.
Ainsi que Associated Press voudrait nous le faire croire, la petite incursion de Condi est destinée à "mesurer la possibilité de créer un élan qui conduirait Israël et les Palestiniens à la table de négociation", un rêve impossible tant qu'Israël occupe la terre palestinienne, assassine ses dirigeants politiques et continue de déclarer avec insistance que tout processus politique entre eux et les Palestiniens est plongé dans le "formol". C'est ce qu'a dit Dov Weissglas, le chef de cabinet de Sharon, à Haaretz en octobre dernier. Le formol, bien sûr, est utilisé comme liquide d'embaumement.
Liquide d'embaumement mis à part, Ahmed Qoreï, le Premier ministre palestinien - il reste toujours inexpliqué comment les Palestiniens peuvent avoir un premier ministre sans avoir d'Etat, mais n'y pensons plus ! - a émis un décret "de loi et d'ordre" interdisant aux civils de porter des armes dans les Territoires Occupés. De même, la "direction" palestinienne a indiqué qu'elle "nommerait un nouveau ministre de l'intérieur, Nasser Youssef, connu pour son discours abrupt contre les militants". Youssef veut depuis longtemps "sévir" contre les nationalistes palestiniens et va peut-être avoir l'occasion de le faire, maintenant qu'Arafat est mort et enterré. De même, le ministre de l'intérieur attendu croit depuis longtemps que "la résolution du conflit passera par une solution à un seul Etat, avec les Juifs, les Chrétiens et les Musulmans vivant dans un Etat Arabe". C'est ce qu'explique Larry Yudelson - un scénario improbable qui doit faire que Sharon et les Likoudniks se tordent de rire sur le plancher de la Knesset.
Pendant ce temps, le gouvernement israélien se servira de Mahmoud Abbas, d'Ahmed Qoreï, de Nasser Youssef et de l'Autorité Palestinienne remodelée pour désarmer les nationalistes palestiniens. Et cela, bien que Abbas ait parlé de son intention de désarmer seulement les "criminels", tandis que les "militants seraient bien avisés de garder leurs armes hors de vue". Ne se laissant apparemment pas démonter, les "militants" de Gaza et de Cisjordanie "brandissent souvent leurs armes automatiques au grand jour, mettant en lumière l'absence de loi et d'ordre et de contrôle de la part des forces de sécurité palestiniennes". C'est ainsi que CBS news en parle. En d'autres termes, après des dizaines d'années de duplicité israélienne - exploitant souvent les soi-disant accords de cesser le feu pour assassiner des nationalistes palestiniens - les "militants" n'ont rien à faire d'Abbas et des dernières magouilles israéliennes. Comme les sondages de sortie des urnes l'ont révélé dans 10 villes de Gaza, un grand nombre de Palestiniens font plutôt confiance au Hamas et au Djihad Islamique qu'au Fatah relooké par Abbas.
Condi Rice ne fera rien pour remédier à cette situation, surtout si l'on considère l'intransigeance de la part de nombreux israéliens qui s'opposent fermement au retrait de la Bande de Gaza - retrait promis par Sharon. "Détruire la terre et donner Gaza aux terroristes est contre la Bible", a déclaré le rabbin Dor Lior à CBS. Lior est le chef rabbin du conseil des colons, le "Yesha". "Il a donné son aval à un nouveau slogan des colons selon lequel la mort vaut mieux que le désengagement. Cette déclaration souligne les mises en garde par les officiels israéliens selon lesquelles des colons radicaux pourraient prendre les armes pour résister au retrait de Gaza". On devrait se souvenir que c'est un ultra-nationaliste d'idéologie similaire qui assassina le premier ministre Yitzhak Rabin en 1995 pour protester contre les accords de paix intérimaires avec les Palestiniens.
Malgré tout, on dit que la plupart des Israéliens sont en faveur du "désengagement" (c'est à dire, qui ne vole plus la terre palestinienne) dans la Bande de Gaza. Cependant, d'autres sondages indiquent que près de la moitié des Israéliens veulent se débarrasser de tous les Palestiniens. Par exemple, en 2002, selon une étude menée par le Centre Jaffee aux Etudes Stratégiques, "46% des citoyens juifs d'Israël sont en faveur du transfert [donc, du nettoyage ethnique] des Palestiniens en dehors des Territoires, tandis que 31% sont en faveur du transfert des Arabes israéliens hors du pays", c'est ce que rapportait Haaretz il y a quelques temps. "Les Arabes israéliens menacent la sécurité d'Israël, selon 61% de la population juive. Et 80% sont opposés à ce que des Arabes israéliens soient impliqués dans des décisions importantes, telles que délimiter les frontières du pays - ils étaient 75% à penser ainsi l'année dernière et 67% en 2000". Imaginez que les Américains de race blanche avaient cette opinion concernant les Afro-américains ou, d'une façon plus pertinente, vis-à-vis des Américains arabes. Apparemment, Condi Rice, une Afro-américaine, n'a pas vu la signification de ce sondage particulier, puisqu'elle pense "qu'Israël est la seule démocratie de la région".
Bien entendu, en tant que complice des néocons, Condi Rice n'est pas intéressée par la paix au Moyen-Orient, du moins entre les Palestiniens et les Israéliens, et encore moins que son prédécesseur qui était souvent en conflit avec les bushistes "fous", comme il les appelait. L'Institution Hoover de Rice est étroitement alignée sur les autres fondations des néocons, dont le Project for a New American Century et l'Institut Juif aux Affaires de Sécurité Nationale (le JINSA). Ce dernier est particulièrement fanatique dans son opposition à toute résolution sensée du conflit - c'est à dire, du vol et de l'occupation par Israël de la terre palestinienne - et produit une propagande continuelle destinée à diaboliser non seulement les Palestiniens, mais les Arabes et les Musulmans en général. Ainsi qu'il devrait être évident à tous ceux qui font un peu attention, l'Administration Bush, en ce qui concerne le Moyen-Orient, reflète point par point les Likoudniks en Israël, qui s'opposent de façon fanatique à l'établissement d'un Etat palestinien et qui "adopteront des mesures rigoureuses immédiates dans l'éventualité d'une telle déclaration". C'est ce qui est dit dans leur plate-forme politique. De même, la colonisation de Gaza et de la Cisjordanie "est la réalisation des valeurs sionistes" et le vol de la terre palestinienne "est l'expression claire du droit inattaquable du peuple juif sur la terre d'Israël et constitue un atout important dans la défense des intérêts vitaux de l'Etat d'Israël. Le Likoud continuera de renforcer et de développer ces communautés [les implantations illégales] et empêchera leur démantèlement".
En d'autres termes, le "formaldéhyde" de Dov Weissglas, asphyxiant le peuple palestinien, n'est pas un sujet de discussion.
Condi insistera probablement, sur l'ordre des bushistes, pour que les Palestiniens fassent plus de concessions. Cela revient à dire : travailler avec encore plus de ferveur pour éradiquer le nationalisme palestinien, comme le Fatah relooké après le départ d'Arafat tente de le faire, dans l'espoir peu convaincant que les Israéliens arrivent à une forme d'adaptation dans un futur lointain. Malheureusement, le revirement du Fatah et la frustration grandissante du peuple palestinien, mis en évidence par la réaction du Hamas et du Djihad Islamique, se poursuivra et intensifiera le cycle de violence et de désespoir, ce qui est, après tout, l'objectif du plan des Bushistes et des Likoudniks. Et pas seulement en Palestine mais dans tout le monde arabe et musulman.
Kurt Nimmo est photographe et développeur multimédia à Las Cruces, au Nouveau-Mexique.
Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon