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L'étrange mission de Vicente Fox

Le 3ème plan de campagne du Mexique
en faveur du Libre Échange

Par Laura Carlsen

CounterPunch, 8 décembre 2005


Du sommet de l'Amérique Latine à Mar del Plata, en Argentine, au forum des pays de la Zone Pacifique à Busan, en Corée du Sud, le Président Vicente Fox est un homme investi d'une mission : Faire la promotion du modèle de libre-échange états-unien, tel qu'il s'incarne dans l'ALENA et la zone de libre-échange des Amériques [ZLEA].

À Mar del Plata, l'insistance de Fox à inclure un engagement à la Zone de Libre Echange des Amériques (Free Trade Area of the Americas — FTAA) dans la déclaration finale du Quatrième Sommet des Amériques a conduit à des frictions diplomatiques avec les présidents argentin (Nestor Kirchner) et vénézuélien (Hugo Chavez). Même après sa tentative infructueuse d'arracher le consensus, Fox a critiqué amèrement ceux dont il dit qu'ils "croient avec myopie que la solution est de se refermer sur eux-mêmes et de ne pas entrer dans la concurrence commerciale". Il faisait allusion aux pays du Mercosur et au Venezuela, qui s'opposent à la ZLEA.

Lors de la rencontre de l'APEC en Corée du Sud, Fox a rejoint le Canada, les Etats-Unis et le Pérou dans un engagement conjoint à défendre la ZLEA. Le président mexicain a réaffirmé ce qui est devenu un critère de foi au sein de son gouvernement : "Nous avons l'absolue conviction que nous bénéficierons tous de l'ouverture de nos économies et du commerce entre nous tous".

Imperturbable, la mission pour le libre-échange de l'administration Fox est allée récemment jusqu'à Genève, où des négociations de dernière minute de l'OMC cherchent à accoucher de textes dans la dernière ligne droite de la réunion ministérielle de Hong Kong qui se tiendra le 13 décembre [2005]. L'ambassadeur mexicain auprès de l'OMC, Fernando de Mateo, président de la Commission à la Négociation sur les Services, a obtenu la censure des gouvernements des pays en développement et des ONG. En effet, le projet qu'il a livré fut lourdement critiqué parce qu'il ne représentait pas la plupart des points de vue des pays en développement. Cinq pays asiatiques, le groupe Africain, le Brésil et plusieurs nations caribéennes ont protesté contre le manque de consensus sur des points clés du projet.

Une lettre au président de l'OMC Pascal Lamy, signée par quantité d'organisations de la société civile du monde entier, a qualifié le processus du projet dirigé par De Mateo de "très peu démocratique" et de "décevant". Selon cette lettre, le Président De Mateo a inclus des éléments dans le débat sans indiquer où il y avait une absence de consensus ; la procédure standard consiste à mettre de tels points entre parenthèses. La lettre exige que le texte du projet délivré aux Ministres à Hong Kong reflète les intérêts et les positions consensuelles des membres de l'OMC et en particulier des pays en développement. Cette lettre conclut : "Echouer à le faire ne serait qu'une moquerie du système commercial 'multilatéral' basé sur la réglementation.

La manœuvre de De Mateo pour pousser un ordre du jour essentiellement européen et américain fait penser à une manœuvre similaire du Secrétaire aux Affaires Etrangères du Mexique, Luis Ernesto Derbez, lors de la Cinquième Rencontre Ministérielle de l'OMC à Cancun en septembre 2003. En tant qu'hôte de cette Cinquième Rencontre, le ministre Derbez a produit un texte de projet final qui comprenait presque toutes les exigences des pays développés tout en ignorant d'importantes exigences des pays pauvres. Les pourparlers ont échoué et la Cinquième Rencontre Ministérielle s'est écroulée.

En général, les pays en développement ont peu d'avantages concurrentiels et beaucoup en jeu dans les provisions relatives aux services. L'accès aux services pour les citadins pauvres est au mieux précaire et les familles sont vulnérables à des hausses des taux, même faibles, qui peuvent les couper des services de première nécessité. Les ruraux pauvres dépendent de l'extension des systèmes de distribution dans des zones où les taux de retour sur investissement ont toutes les chances d'être faibles. Alors que les compagnies privées engrangent les fruits des nouveaux marchés de services, les gouvernements des pays en développement paient les coûts politiques lorsque les privatisations font souffrir les populations marginales. En Bolivie, deux présidents en ont payé de leur carrière présidentielle.

Il y a une certaine ironie dans le zèle que le Mexique déploie vis-à-vis du libre échange. Le Libre échange dans ce pays a eu des résultats mitigés. Les évaluations réalisées lors du 10ème anniversaire de l'ALENA ont mis en valeur une augmentation du commerce avec l'étranger — comme n'importe qui peut s'y attendre dans un modèle qui fomente exactement cela — mais des résultats médiocres en matière de réduction de la pauvreté, de distribution des richesses et de croissance économique. Une étude récente montre que deux millions de petits paysans ont été déplacés du secteur rural et que le chômage monte malgré une croissance énorme du secteur privé et de l'émigration.

Lorsque l'ALENA fut signé en 1992, le Mexique n'est pas entré de plein pied dans le monde industriel, contrairement à ce qu'avait annoncé le président d'alors, Carlos Salinas. Une décennie plus tard, au Mexique, le revenu par habitant est juste au-dessus de 6.000 dollars, comparé à 40.000 dollars aux Etats-Unis. Ce chiffre est le plus élevé d'Amérique Latine mais il est accaparé en grande partie par un tout petit groupe de super riches dans une société de plus en plus inégale. Au moins la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, et beaucoup avec moins de deux dollars par jour.

Dans ces conditions, la confiance aveugle dans le libre échange qui oppose le Mexique aux questions de développement des pays pauvres est franchement discutable. Avec son énorme dette sociale, ses ouvriers et ses paysans, et le développement équitable qui constitue un véritable défi en cours, ce pays a plus de choses en commun — économiquement, politiquement et socialement — avec les pays en développement à travers le monde qu'avec son partenaire commercial géant du Nord.

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Laure Carlsen dirige le Programme des Amériques du Centre aux Relations Internationales (Americas Program of the International Relations Center).


Traduit de l'anglais (États-Unis) par Jean-François Goulon