accueil > archives > économie


Bear Stearns

Un géant de l'investissement précipité vers les urgences
par un patron de la Fed en panique

Par Mike Whitney
CounterPunch, le 15 mars 2008

article original"Bearly Alive : Investment Giant Rushed to ICU by Panicky Fed Chief"

Vendredi, Bear Stearns a explosé. Ce fut la plus mauvaise nouvelle possible, au pire moment. La veille, le fonds spéculatif lié à la politique, Carlyle Capital, s'est retrouvé en défaut de paiement sur le remboursement de sa dette de 16,6 Mds de dollars [10,7 Mds d'€].

Carlyle s'enorgueillissait de posséder un portefeuille noté AAA de titres garantis par des crédits hypothécaires, mais ce fonds a été incapable de répondre à un appel de marge de seulement 400 millions de dollars [256 m€]. (Où sont passés ses 21,7 Mds de dollars?) La nouvelle concernant Bear Stearns a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Immédiatement, la bourse a commencé à vaciller, perdant 300 points en moins d'une heure. Et puis la marée a miraculeusement changé de sens et le marché a commencé à rebondir.

S'il y a jamais eu un moment approprié pour que l'Equipe "Anti-Plongeon" de Paulson [le secrétaire au trésor] se porte à la rescousse, ce fut bien celui-là. Pendant des semaines, les marchés ont été secoués par les mauvaises nouvelles. Les ventes de détail sont en baisse, le chômage en hausse, la confiance des consommateurs au plus bas, l'inflation monte, le dollar est dans les cordes et la crise du crédit s'est même étendue aux niches les plus sûres du marché. Confrontés à ces vents contraires violents, les mandarins de Washington et les poids lourds de la finance devaient décider s'il fallait attendre et laisser une petite banque d'investissement emporter tout le marché des actions en un après-midi ou acheter furtivement quelques contrats à terme et survivre pour se battre un autre jour ? Choix difficile, hein ?

Nous ne saurons jamais avec certitude, mais c'est probablement ce qui s'est passé.

Nous ne saurons jamais non plus si l'objectif réel de Bernanke, en mettant en place cette nouvelle facilité de crédit de 200 Mds de dollars, était de fournir aux banques à court de liquidités un endroit où elles pouvaient décharger le bric-à-brac garanti par les crédits hypothécaires, que Carlyle avait balancé sur le marché lorsqu'elle s'est retrouvée les quatre fers en l'air. Cela a bien marché, n'est-ce pas ? A présent, les banques peuvent échanger avec la Fed, pratiquement à leur valeur faciale, ces obligations hypothécaires qui ne valent pas un clou contre des bonds du trésor. Quelle affaire ! Ce doit avoir été le plan depuis le début.

La subvention accordée à Bear Stearns a déclenché une tempête enflammée de controverse, à la fois sur le risque moral et sur le fait de savoir s'il était dans les attributions de la Fed de répandre ses largesses pour renflouer les banques d'investissement. Mais la Fed n'avait pas le choix. Il ne s'agit pas d'une simple banque qui s'effondre à la suite de mauvais paris. C'est le système financier tout entier qui vacille et la faillite de Bear Stearns aurait placé un boulet de démolition sur la bourse et envoyé les actions dans le monde entier dans une spirale mortelle violente. Le New York Times l'a résumé ainsi dans son édition de samedi:

"Si la Fed n'avait pas agi ce matin et si Bear Stearns avait failli à ses obligations, alors cela aurait pu déclencher une panique généralisée et, potentiellement, un effondrement du système financier".

Bingo !

Alors, qu'est-ce qui rend Bear Stearns si spéciale ? Comment se fait-il que l'une des plus petites banques d'investissement puisse poser une telle menace sur tout le système ?

C'est toute la question que l'on abordera ces prochains jours et les gens ne vont pas aimer la réponse. Pendant ces dix dernières années, les marchés ont été reconfigurés selon le nouveau modèle de la "finance structurée", qui a transformé les interactions entre les institutions et les investisseurs. On s'est concentré sur la maximisation des profits en créant une vaste galaxie d'instruments exotiques de gestion de la dette qui a augmenté le risque général et la volatilité dans des conditions de marché baissières.

Les échanges de produits dérivés qui, selon la Banque des Règlements Internationaux, excèdent désormais les 500 trillons de dollars [320.000 milliards d'€] ont rendu les diverses institutions de crédit et d'investissement dépendantes les unes des autres, de telle façon qu'une seule faillite peut déclencher une chute en domino et faire s'effondrer tout l'échafaudage financier. C'est pourquoi la Fed s'est impliquée et qu'elle a (je crois) approché le Congrès dans une session à huis-clos (censée avoir lieu au sujet de la législation sur la FISA - Foreign Intelligence Surveillance Act/La loi sur la surveillance de l'espionnage étranger) pour informer les députés sur la possibilité grandissante d'un effondrement économique majeur si les conditions du marché du crédit n'étaient pas stabilisées rapidement.

Les problèmes à Bear Stearns et le danger qu'ils posent à l'ensemble du système ont été décryptés dans un article du co-éditeur de CounterPunch, Alexander Cockburn, en novembre 2006, intitulé "Lame Duck: The Downside of Capitalism [Un canard boiteux : l'inconvénient du capitalisme]" :

"Dans un document d'information, sous le titre chaste 'Private Equity: A discussion of Risk and Regulatory Engagement' [Le capital non coté : Une discussion sur le risque et l'obligation de régulation], La FSA [l'Autorité des Services Financiers britannique] tire le signal d'alarme.

"Un effet de levier excessif : la quantité de crédit que les prêteurs veulent bien étendre aux transactions sur le capital non coté a augmenté de façon substantielle. Ces prêts peuvent, dans certaines circonstances, ne pas être entièrement prudents. Etant donné les niveaux de levier et les récents développements dans le cycle économie/crédit, le défaut de paiement d'une grande société soutenue par du capital non coté ou d'un ensemble de sociétés plus petites soutenues par du capital-risque semble inévitable. Cela a des implications négatives pour les prêteurs, les acheteurs de dette, les marchés équilibrés et, dans des circonstances extrêmes, vraisemblablement pour la stabilité financière et des éléments de l'économie britannique".

Traduction : C'est sur le point d'exploser !

"La durée et l'impact potentiel de tout événement lié au crédit peuvent être exacerbés par des problèmes de fonctionnement, qui rendent difficile d'identifier ceux qui possèdent en fin de compte le risque économique, associé au rachat d'entreprises par endettement, et comment ces propriétaires réagiront à une crise. Ces problèmes de fonctionnement proviennent de l'utilisation extensive des pratiques de transfert de risque, opaques, complexes et consommatrices de temps, telles que la cession et la sous-participation, en même temps que l'utilisation accrue des dérivés de crédit. Ces dérivés de crédit peuvent ne pas être homologués de manière opportune et la quantité échangée peut excéder substantiellement la quantité d'actifs sous-jacents".

Traduction : "Le système mondial du crédit est une vaste poubelle de recyclage de transactions introuvables et dont la valeur est largement gonflée".

Le problème est que la surveillance et la stabilité du système mondial du crédit n'est plus du ressort des institutions internationales familières comme le Fonds Monétaire International ou la Banque des Règlements Internationaux. Les opérateurs privés sont à présent installés à tous les nœuds stratégiques, pariant avec des sommes stratosphériques dans de telles pyramides spéculatives, alors que le marché dérivé du crédit était quasi-inexistant en 2001. Mais il a pourtant atteint 17.300 milliards de dollars à la fin de 2005. Warren Buffett, l'investisseur le plus célèbre d'Amérique, a dit des dérivés de crédit qu'ils sont "des armes de destruction massive financières".

L'article de Cockburn anticipe les problèmes actuels de Bear Stearns et montre pourquoi la Fed ne peut permettre qu'ils s'enveniment et se répandent dans tout le système. Les banques d'investissement et les brokers font tous des affaires les uns avec les autres, prenant des parts dans les échanges en tant que contreparties. Si un acteur trébuche, cela accroît la probabilité de plus de faillites. Le problème doit donc être contenu.

Le volume des contrats dérivés qui ne sont pas échangés publiquement sur une quelconque place boursière majeure a explosé ces dernières années. Ces transactions non régulées, que Bill Gross, de Pimco, appelle le système bancaire de l'ombre, ont pris une place centrale au fur et à mesure que les conditions de marché continuent de se détériorer et que le cycle baissier de la réduction de l'effet de levier commence à s'accélérer. Le massacre en cours de l'immobilier de logement a gelé le marché de l'investissement structuré, ce qui signifie que les blocs de financement (c'est à dire les titres hypothécaires) sur lesquels repose tout cet effet de levier excessif commence à s'effriter. C'est un véritable foutoir.

L'échange des produits dérivés, en particulier les CDS [contrats financiers bilatéraux entre acheteurs et vendeurs de protection], excède bien souvent de plusieurs fois la valeur de l'actif sous-jacent. Les CDS sont des instruments financiers basés sur des prêts et des obligations qui spéculent sur la capacité d'une entreprise à rembourser sa dette (une sorte d'assurance non régulée). Le marché des CDS est d'environ 45 trillions de dollars [28.800 Mds d'€], alors que la valeur consolidée du marché hypothécaire américain n'est que de 11 trillions de dollars [7.050 Mds d'€] - quatre fois plus petite. C'est un effet de levier très élevé et cela peut avoir un effet boule de neige lorsque le marché des CDS commence à se dénouer.

En vérité, le plus gros risque pour le système financier est le risque de la contrepartie : la possibilité que quelques grosses banques d'investissement, comme Bear Stearns, se retrouvent dans le rouge et aspirent le reste du marché avec elles à cause de l'ampleur de leurs pertes. L'année dernière, selon les notations de Fitch, Bear Stearns était la 12ème plus grosse contrepartie dans les échanges de CDS. Si ces banques d'investissement devaient soudainement disparaître, les effets sur le reste du système seraient catastrophiques.

Le président de la Fed, Ben Bernanke, siégeait au conseil d'administration du FOMC [Federal Open Market Comitee / Comité Fédéral du Libre Echange], lorsque les gourous de l'investissement et les tricheurs professionnels du courtage ont façonné les marchés de telle façon à majorer leurs fortunes personnelles tout en accroissant les risques de faillite du systéme. Les SIV [Véhicules d'Investissement Structurés], les conduits bancaires, les dérivés opaques, les opérations hors bilan, les cagnottes obscures, l'effet de levier massif et l'expansion imprudente du crédit, ont tous émergé durant le mandat de Bernanke (et de Greenspan). La Réserve Fédérale détient personnellement une grande part de responsabilité dans l'incendie qu'elle essaye d'éteindre.

A présent, dans cette crise extrême du capitalisme, Bernanke, agissant au-delà de son mandat, invoque une loi qui n'a pas été utilisée depuis les années 60, afin que la Fed devienne le créancier d'une institution qui a tenté de s'enrichir au moyen de paris spéculatifs sauvages sur des investissements douteux empoisonnés qui sont à présent complètement sans valeur.

Traduit de l'anglais (US) [JFG-QuestionsCritiques]