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La pyramide inversée de bouillie de subprime

La Grande Déconfiture du Crédit de 2008

Par Mike Whitney
CounterPunch, le 29 janvier 2008

article original"The Great Credit Unwind of 2008"

La tourmente boursière mondiale s'est poursuivie en deuxième semaine, alors que les bourses asiatiques et européennes ont subit une nouvelle baisse lundi, sur les craintes croissantes d'une récession aux Etats-Unis. L'indice de référence de la Chine a baissé brusquement de 7,2 %, à son plus bas depuis six mois, tandis que le Nikkei (l'indice japonais) a glissé de 4,3% supplémentaires. Les marchés d'actions de toute l'Asie ont enregistré des résultats similaires et, dès le milieu de la matinée en Europe, les trois principaux indices - le "Footsie" (le FTSE britannique), le CAC40 et le DAX allemand - enregistraient tous de lourdes pertes. Il est désormais clair que l'annonce "surprise" de Bernanke, le président de la Fed, d'une réduction de 75 points de base de son taux directeur mardi dernier n'a ni stabilisé les marchés, ni restauré la confiance auprès des investisseurs nerveux.

Dans le Financial Times de ce lundi, le professeur d'économie à Harvard, Lawrence Summers, a lancé un appel passionné pour une action supplémentaire du gouvernement, en plus des réductions de taux de la Fed et du "plan de stimulation" de 150 Mds de dollars de Bush. Summers pense que des mesures doivent être prises immédiatement pour atténuer les dégâts causés par le retournement brutal du secteur des logements et par les troubles persistants sur les marchés du crédit. Il suggère une "politique de coordination mondiale", qui est une autre manière d'admettre que la Fed a perdu le contrôle du système et ne peut pas résoudre toute seule le problème.

Même s'il est facile de se demander pourquoi il est resté silencieux pendant que les marchés montaient en flèche et que les banques d'investissement récoltaient des trillons de dollars de profits sur une escroquerie d'"investissement structuré" qui a laissé le système financier mondial vaciller au bord de la catastrophe, Summers a raison. A présent que l'économie glisse en direction de la récession, Summers appelle à la "transparence". Comme c'est pratique !

"Les institutions financières détiennent toutes sortes d'instruments de crédit qui sont défaillants et qui sont donc difficiles à évaluer. Cela crée une incertitude et gèle les nouveaux crédits. Sans une meilleure visibilité, le système économique et financier risque de se gripper, comme ce fut le cas pour le Japon dans les années 90".

Encore vrai ! Les banques sont "défaillantes en capital" parce qu'elles détiennent environ 600 Mds de dollars [€410 Mds] d'actifs, garantis par des créances hypothécaires qui perdent de leur valeur chaque mois. Cela oblige un grand nombre de banques à cacher leur condition réelle à leurs investisseurs, tandis qu'elles arpentent la planète pour trouver le capital supplémentaire dont elles ont besoin pour poursuivre leurs opérations. Tant que les banques sont dans la détresse, les prêts aux consommateurs et aux entreprises vont décliner et l'économie continuera de se contracter. L'outil principal du mécanisme générateur de prêts est à présent cassé. Les baisses de taux peuvent apporter des liquidités, mais elles ne peuvent pas faire revenir des banques insolvables du monde des morts. Summers espère un peu trop !

Le déficit budgétaire actuel des Etats-Unis (environ 800 Mds de dollars - €540 Mds) a été recyclé en obligations et en actions par les investisseurs étrangers. Jusqu'à ce stade, les marchés américains étaient une place attirante pour placer ses économies. Le dollar était fort et la bourse avait un passé de profitabilité et de transparence. Mais depuis que le Président Bill Clinton a abrogé la loi Glass-Steagall en 1999, les marchés ont été reconfigurés selon un modèle entièrement nouveau, la "finance structurée".

Glass-Steagall fut le dernier des remparts de la période de la Grande Dépression contre les fusions des banques commerciales et d'investissement. En conséquence, le domaine bancaire est passé d'une culture de "protection" (des dépôts) à celle de la "prise de risque", qui est le business des titres. Au moyen de "l'innovation financière", les banques d'investissement ont créé une myriade d'instruments de structuration du crédit qu'elles ont vendus au travers de leurs opérations "hors bilan" à la Enron (les SIV - Véhicules d'Investissement Structurés - et les "conduits de financement"). A présent, des trillons de dollars de ces subprime [crédits hypothécaires à risque] et de ces obligations garanties par des créances hypothécaires - dont un grand nombre était noté AAA - sont détenus par des banques étrangères, des fonds de pension, des compagnies d'assurance et des fonds spéculatifs. Ils perdent régulièrement de leur valeur avec chaque révision à la baisse de leur notation.

Bien sûr, Summers comprend l'énormité de l'escroquerie qui a eu lieu au nez et à la barbes des régulateurs, mais il préfère n'accuser personne. A la place, il attire notre attention sur une partie méconnue du marché qui conduira probablement au crack boursier et à la déconfiture de tout le système.

Voici ce que dit Summers :

"Il est crucial qu'une quantité suffisante de capital soit injectée le plus vite possible dans l'industrie de garantie des obligations. La faillite des entreprises de ce secteur ou la perte de leur notation AAA est une source potentielle de risque systémique. Il sera probablement nécessaire de se tourner en partie vers ces sociétés qui ont une part dans des garanties qui restent crédibles, parce qu'elles détiennent une grande quantité de papier garanti. Il semble improbable que l'on puisse réparer quoi que ce soit sans quelque encouragement et implication de la part des autorités financières. Malgré les différences et le fait que le problème actuel soit plus complexe, la remise sur pied de Long-Term Capital Management [fonds spéculatif apparu en 1994 et dont la quasi-faillite en 1998 fit courir un risque majeur au système bancaire] est un exemple d'implication réussie du secteur public".

Certains des plus gros assureurs d'obligations sont actuellement incapables de couvrir les pertes qui s'empilent depuis la déconfiture des titres garantis par des créances hypothécaires [Mortgage-Backed Securities - MBS] et des Obligations sur Dettes Nanties ["Collaterized Debt Obligations" - CDO]. Leur business modèle est désespérément cassé et ils auront immédiatement besoin d'une subvention de 143 Mds de dollars pour maintenir leurs opérations. Le plus gros assureur d'obligations est MBIA. Voici ce que l'analyste boursier, Michael Lewitt, cité sur Bloomberg, a déclaré :

"L'exposition totale de MBIA dans les obligations garanties par MBS et CDO s'est révélée atteindre 30,6 Mds de dollars, dont 8,14 Mds de dollars de CDO pourries. MBIA était valorisée à une faible notation de crédit "CCC" lorsqu'elle a émis ses obligations la semaine dernière. Elle est à présent valorisée pour la faillite. L'action de MBIA, qui s'échangeait juste en dessous de $68 en octobre dernier, a chuté à nouveau de $3,5 mardi matin, en dessous de $10".

Selon les estimations de la Barclay's, les banques d'investissement détiennent à elles seules jusqu'à $615 Mds de titres structurés garantis par les assureurs d'obligations. Si les assureurs sont défaillants, des centaines de milliards de dollars seront perdus via les baisses de notation.

Donc, que signifierait, en pratique, la disparition des assureurs d'obligations ?

Cela signifierait que le système se bloquerait et que la bourse se crasherait. Ecoutez le gourou boursier de la télé [américaine], Jim Cramer, en faire le résumé la semaine dernière, dans une interview avec Chris Matthews de MSNBC :

"Mais, Chris, il y a une chose sur laquelle j'incite les candidats [à la présidence américaine] à réfléchir, et aussi notre ministre des finances [le Secrétaire au Trésor], c'est sur le fait qu'il y a un groupe de compagnies d'assurance qui assure tous ces mauvais prêts hypothécaires et, Chris, je pense qu'elles vont toutes faire faillite et que cela fera baisser le Dow Jones de 2.000 points. Ces compagnies doivent être fermées et l'assurance transférée à un Nouveau Resolution Trust[2]. Cela se produira dans peut-être deux à trois semaines. Chris, ça fait la une de tous les journaux et personne à Washington n'est prêt à l'admettre !"

Chris Matthews: "Donc, vous incluez ces sociétés de crédit immobilier qui vont se retrouver en faillite ? Faites-m'en la description !" "Ces [sociétés] sont MBIA et Ambac. Vous souvenez-vous des sociétés pour lesquelles Merrill Lynch et Citigroup ont dévalué une grosse quantité de ce truc l'autre jour ? Toutes ces sociétés comptent sur l'assurance pour les sauver. Les assureurs n'ont pas l'argent. Il y a aussi l'assurance sur les prêts immobiliers aux particuliers. PMI est une de ces sociétés, MGIC en est aune autre. Chris, je suis en train de vous dire que ces sociétés ne disposent pas du capital pour "réussir". Et lorsqu'elles tomberont, et je crois que ce sera lorsque - si le gouvernement n'a pas de plan d'action - l'on ne pourra pas ouvrir la bourse lorsqu'elles s'effondreront". Personne ne parle même pas du fait que ces assureurs majeurs, qui assurent 450 Mds de dollars de crédits hypothécaires, sont sur le point de faire faillite."

Cramer a raison de supposer que le marché n'ouvrira pas. Et pourtant, jusqu'à présent, rien n'a été fait pour éviter le désastre qui est juste devant nous. Peut-être que rien ne peut être fait ?

Donc, comment les choses tournent-elles si mal et si vite ? Comment se fait-il que les marchés les plus résistants, fiables et profitables du monde soient transformés en un défilé de carnaval colportant des remèdes de charlatan "garantis sur créances hypothécaires" à tous les investisseurs crédules ?

L'auteur et devin de la bourse, Pam Martens, le formule ainsi [1] :

"Comment un tel mélange de pools en couches échangeant des créances risquées, dont beaucoup sont d'origine douteuse, a-il pu réussir à obtenir l'équivalent d'une notation AAA comme les bonds du Trésor américain, garantis par la confiance et le crédit total du gouvernement des Etats-Unis et testés maintes fois au cours d'un siècle de paniques, de cracks et de Grande Dépression ?

"Comment un modèle de marché "efficace" vieux de deux siècles, qui a évalué ses titres en se basant sur la révélation régulière des prix à travers des échanges transparents, a-t-il pu se métamorphoser en complexe opaque de fabrication et d'entreposage de produits qui ne s'échangeaient pas, ou que rarement, nécessitant une évaluation basée sur des modèles statistiques ?"

La réponse à toutes ces questions est la "dérégulation". Le système financier a été remis à des escrocs et des tricheurs qui ont créé une pyramide inversée de plusieurs trillons de dollars de bouillie de subprime peu stables et hyper gonflés, qu'ils ont vendus dans le monde entier avec le soutien tacite des agences de notation et de l'establishment politique américain.

Traduit de l'anglais (US) [JFG-QuestionsCritiques]

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Notes :

[1] "Le mythe du libre marché se dissout dans le chaos" (Pam Martens, 3 janvier 2008, article à traduire)

[2] La Resolution Trust Corporation était la société de gestion d'actif détenue par le gouvernement américain et mandatée pour liquider les actifs (essentiellement liés à l'immobilier de logement, incluant des prêts hypothécaires) qui avaient été des actifs d'associations d'épargne logement, déclarées insolvables par le Bureau de la Supervision du Crédit, en conséquence à la crise de l'épargne logement des années 80. Elle a pris aussi les fonctions d'assureur de l'ancienne Federal Home Loan Bank Board. Elle fut créée par la Loi Financial Institutions Reform Recovery and Enforcement Act, adoptée en 1989.

Selon Joseph E. Stiglitz, dans son livre, Towards a New Paradigm in Monetary Economics [vers un nouveau paradigme de l'économie monétaire], page 243, la véritable raison derrière la nécessité de créer cette société était de permettre au gouvernement des Etats-Unis de subventionner le secteur bancaire d'une façon pas très transparente par conséquent d'éviter une possible résistance.