accueil > archives > éditos


"Ils permettent la Décomposition de la Société Irakienne"

>

Les États-Unis libèrent des Kidnappeurs Irakiens
pour qu'ils Deviennent des Espions

Par PATRICK COCKBURN

CounterPunch, 23 mars 2005,


En Irak, les officiers du renseignement et ceux de la police militaire libèrent de façon routinière de dangereux criminels en échange de leur promesse d'espionner les insurgés.

Dans un cas où nous avons vu des documents, la police a sorti un médecin, après une fusillade, des griffes de ses ravisseurs et en a arrêté deux parmi ce gang de kidnappeurs. Ils ont fait des aveux complets. Mais la police militaire américaine a pris en main la garde à vue de ces deux hommes et les a laissés partir. Le docteur a dû fuir vers l'Egypte après avoir été menacé par le gang.

Le poste de police où ils étaient retenus a noté dans ses registres que ces hommes avaient été remis à un lieutenant de la police militaire américaine pour être transférés à Camp Cuervo, le centre de détention dirigé par les Américains. Mais un porte-parole de l'armée US a répondu à l'organisme international qui l'interrogeait qu'il n'y avait pas trace de ces deux prisonniers dans leur base de données.

"Les Américains permettent la décomposition de la société irakienne parce qu'il n'y a que la lutte contre l'insurrection qui les intéresse," a dit un officier supérieur de la police irakienne. "Nous avons à faire à une épidémie de kidnappings, d'extorsions et de crimes violents, mais même si nous savons que les Américains écoutent les appels des téléphones mobiles et par satellite, qui sont souvent utilisés dans les négociations des rançons, ils ne veulent nous passer aucun renseignement criminel. Ils veulent seulement utiliser ces informations contre les insurgés."

Une source au sein du gouvernement irakien a confirmé que des criminels suspectés sont souvent libérés s'il acceptent de donner des informations sur les insurgés, en dépit des dangers qu'ils représentent pour la population. La classe moyenne irakienne est au cœur de la cible des kidnappeurs depuis la chute de Saddam Hussein. De nombreux médecins, une des cibles favorites, et hommes d'affaires se sont enfuis vers la Syrie, la Jordanie et l'Egypte. La police reconnaît qu'elle a été incapable de faire quoi que soit pour mettre un terme la vague d'enlèvements.

Le Dr Thamir Mohammed Ali Hasafa-al-Kaisey, MG âgé de 60 ans, a été enlevé le 23 décembre à 18 :30 par un gang de 11 kidnappeurs dans trois véhicules alors qu'il rentrait chez lui en voiture de sa clinique de Bagdad. "J'étais à 50 mètres de ma maison quand des hommes armés en Jeep Cherokee m'ont arrêté en me rouant de coups de poing, et ils m'ont attaché avec ma propre veste." Bien que les kidnappeurs opèrent en quasi impunité dans le centre de l'Irak, le Dr Hasafa a eu un coup de chance extraordinaire. Ses ravisseurs ont forcé un barrage de la police et une fusillade a suivi. Même si sa jambe avait été cassée dans la raclée, le docteur put ramper hors du véhicule par l'arrière et crier à la police : "Je suis médecin et j'ai été enlevé."

Cette affaire fut une rare victoire pour la police. Dans leurs aveux, obtenus par les inspecteurs de la sécurité, ces deux suspects - dont l'un était lieutenant de police - dressent un tableau incroyable de la manière dont travaillent ces gangs, et le nombre extraordinaire de kidnappings qu'ils organisent.

Mohammed Najim Abdullah al-Dhouri, le lieutenant de police, et Adnan Ashour Ali al-Jabouri sont tous deux des membres des tribus puissantes desquelles Saddam tirait nombre d'agents de sécurité et d'officiers militaires pour faire partie de sa garde rapprochée. Mais la motivation du gang semble être purement de nature criminelle.

Adnan Ashour a dit au juge d'instruction que les chefs du gang étaient : Eyhab, surnommé Abou Fahad, propriétaire d'une boutique de téléphones portables, et son frère, Hichem. Eyhab, a-t-il dit, avit été condamné à 40 ans de prison par l'ancien régime. Il avait apparemment été libéré lors de l'amnistie générale décrétée par Saddam fin 2002.

Mohammed Najim, qui était basé à Sadr City, à l'Est de Bagdad, vivait dans une résidence réservée à la police. Il a déclaré : "J'étais en affaires avec Hichem avant la chute de Saddam. Ce n'est que plus tard qu'il m'a approché à propos de l'enlevent de notables. Ma tâche consistait à protéger le gang." Tous les membres du gang étaient armés de pistolets. Ils avaient des refuges où ils retenaient leurs victimes. Les deux suspects ont déclaré qu'ils avaient pris part à de nombreux autres enlèvements ces derniers mois, et que leurs victimes payaient jusqu'à 60.000 dollars chacun. L'ironie, c'est que l'informateur qui leur avait dit que le Dr Hasafa valait la peine d'être kidnappé était un des gardes embauchés par les propriétaires pour protéger la rue où il vivait.

La police irakienne se frottait les mains d'avoir finalement des informations détaillées sur la manière dont les gangs opèrent. Les deux hommes qu'ils avaient capturés étaient d'accord pour dévoiler les noms et les adresses des autres membres du gang, et cette victoire était amplifiée par la télévision irakienne et la presse locale. Cependant, à la consternation de la police, un convoi de la police militaire américaine est arrivé le 30 décembre au poste de police d'al-Khansa, où Mohammed Najim et Adnan Ashour étaient détenus. L'officier de police irakien qui était en poste a enregistré : "Ils ont exigé de prendre la garde des deux agresseurs." La police a clos l'enquête contre le reste du gang.

Le Dr Hasafa, pendant ce temps, a reçu deux visites de la part des familles des prisonniers. Le premier était le père de Mohammed Najim, qui a proposé de l'argent pour qu'il retire sa plainte pour enlèvement. Il lui a dit qu'il avait été officier dans la Garde Républicaine et a ajouté d'une manière menaçante : "Vous savez ce que nous sommes capables de faire."

Lorsqu'il est retourné voir la police, il a été dit au Dr Hasafa que ses kidnappeurs avaient été libérés. Celui-ci a refusé de retirer la plainte, malgré les menaces de mort sur sa famille, mais en janvier il s'est enfui vers la Jordanie, puis l'Egypte.


Traduit de l'anglais (États-Unis) par Jean-François Goulon