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Pourra-il tenir ses engagements ?

Obama et le commerce mondial

Par Paul Craig Roberts
CounterPunch, 24 février 2008

article original : "Obama and Global Trade"

Seul parmi les favoris aux nominations présidentielles, Barack Obama a soulevé la question de la perte d'emplois aux Etats-Unis, à cause des grandes entreprises étasuniennes qui déplacent leurs opérations à l'étranger afin de réduire leurs coûts du travail et, par-là même, stimuler leurs profits. Ainsi que le Financial Times l'a rapporté, Obama a proposé un taux d'imposition plus bas pour les sociétés américaines qui maintiennent ou accroissent leur personnel aux Etats-Unis par rapport à leur personnel à l'étranger.

Les économistes, qui se sont timidement mouillés dans leur défense de la délocalisation des emplois, ont été prompts à dénoncer le plan d'Obama. Alors que l'économie des Etats-Unis continue de perdre du terrain relatif, les économistes s'accrochent plus fermement à leur conception erronée, selon laquelle un pays bénéficie de la délocalisation des emplois à haute valeur ajoutée en les remplaçant chez lui par des emplois moins bien rémunérés à faible valeur ajoutée. Ce point de vue, qui place les droits du capital loin au-dessus des droits du travail et des devoirs de la citoyenneté, est aussi un non-sens économique. Peu importe les défauts du plan d'Obama, il montre une réflexion plus sérieuse que celle que l'on peut trouver parmi les décideurs de Washington et les professionnels de l'économie.

La préoccupation d'Obama est partagée par Ralph Gomory, l'un des mathématiciens les plus distingués et co-auteur avec William Baumol, l'ancien président de l'American Economics Association, de l'ouvrage le plus important sur la théorie du commerce de ces 200 dernières années, "Global Trade and Conflicting National Interests" [Le commerce mondial en conflit avec les intérêts nationaux]. Gomory a fait remarquer que les très grandes entreprises cassent le lien entre leurs intérêts et l'intérêt de l'Amérique lorsqu'elles délocalisent leur production destinée au marché américain. En produisant à l'étranger, ils augmentent le PIB dans d'autres pays et réduisent le PIB américain. En produisant à l'étranger, ils augmentent la productivité de la main d'œuvre étrangère et ils réduisent celle de la main d'œuvre américaine. En produisant à l'étranger, ils accroissent les capacités de production et la position commerciale d'autres pays aux dépends de l'Amérique.

Que peut-on faire ? Gomory suggère qu'une solution consiste à remplacer l'impôt sur le revenu des grandes entreprises américaines par une taxe basée sur la valeur ajoutée des employés américains des grandes entreprises. Plus cette valeur ajoutée de la main d'œuvre américaine d'une grande entreprise serait élevée, en comparaison avec son secteur industriel, plus faible serait cette taxe. Un tel système de taxation encouragerait les grandes entreprises à maintenir une productivité élevée, des emplois à haute valeur ajoutée aux Etats-Unis et à les accroître.

L'objectif serait d'établir cette taxe pour contrer l'avantage que les grandes entreprises trouvent en produisant à l'étranger avec une main d'œuvre meilleure marché. Une large main d'œuvre sous-utilisée en Chine et en Inde permet aux grandes entreprises étasuniennes d'embaucher une main d'œuvre abondante à des salaires largement plus faibles que les contributions de ces travailleurs aux profits, ayant pour conséquence de délocaliser les emplois à forte valeur ajoutée. Le plan de Gomory apporterait un stimulant aux grandes entreprises pour qu'elles accroissent le facteur valeur ajoutée de la main d'œuvre américaine au lieu de capitaliser sur la main d'œuvre étrangère bon marché.

L'idée de Gomory mérite réflexion. Pendant ce temps-là, nous sommes confrontés à des pressions causées par un déficit commercial massif qui ne peut pas se résorber tant que les grandes entreprises américaines délocalisent leur production. Les produits fabriqués à l'étranger pour les marchés américains rentrent aux Etats-Unis en tant qu'importations, élargissant ainsi le déficit commercial, déjà à un record mondial. L'accroissement continu du déficit commercial finira par éroder la valeur du dollar et son rôle de devise de réserve mondiale. Actuellement, nous couvrons notre déficit commercial en abandonnant la propriété de nos actifs existants.

Un autre homme intelligent, Warren Buffet, a proposé un moyen de ramener le commerce des Etats-Unis à l'équilibre. Les exportateurs recevraient des certificats d'importation de la valeur en dollars de leurs exportations. Ces certificats seraient vendus sur un marché aux importateurs, qui pourraient importer des biens pour les mêmes quantités en dollars de ces certificats. De cette façon, les importations ne pourraient pas excéder les exportations. La théorie du libre échange n'a jamais eu l'intention de placer les économies en déséquilibre commercial permanent. L'expérience des Etats-Unis d'un déséquilibre commercial s'aggravant au cours d'un quart de siècle dépasse les limites de la théorie du libre échange.

Les Etats-Unis ont de sérieux problèmes économiques et ne peuvent se permettre de continuer à empiler des dettes et à vendre leurs actifs pour payer leurs factures. David Walker, le chef du bureau comptable du gouvernement américain, a situé les dettes non-financées du gouvernement américain (principalement la Sécurité Sociale et les aides Médicales) entre 50 et 60 trillions de dollars. Les statistiques officielles ne montrent aucune croissance, depuis de nombreuses années, des revenus médians des familles. La valeur du dollar a spectaculairement décliné par rapport aux autres devises commerciales. Les Etats-Unis ne peuvent tout simplement pas se permettre de rester là aveuglément tandis que leurs grosses entreprises déplacent la croissance vers la Chine, l'Inde et ailleurs à l'étranger.

Les dettes non-financées du gouvernement américain s'élèvent à 500.000 dollars par foyer. Comme pas plus de 1 ou 2% des foyers américains disposent de telles sommes, le gouvernement des Etats-Unis est par essence en faillite. Cette faillite s'aggravera au fur et à mesure des délocalisations de plus de PIB américain, tout en augmentant simultanément le déficit commercial et l'endettement du pays.

La prétention démesurée américaine produit un délire gigantesque, pas seulement parmi le peuple et les politiciens, mais aussi parmi les économistes. Le Président Obama et son Ministre des Finances Ralph Gomery sont nos derniers espoirs.

Paul Craig Roberts a été ministre des finances adjoint durant le premier mandat du Président Ronald Reagan. Il a été rédacteur en chef associé au Wall Street Journal. Il a tenu de nombreux postes universitaires, dont la Présidence de William E. Simon Chair, au Center for Strategic and International Studies de l'Université de Georgetown, et chercheur senior à l'Institution Hoover de l'Université de Stanford. Le Président Francois Mitterrand l'a décoré de la Légion d'Honneur.

Traduction : [JFG-QuestionsCritiques]