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Les super-riches

Le retour des barons pillards

Par Paul Craig Roberts
CounterPunch, 2 août 2007

article original : "The Return of the Robber Barons"

Au "Richistan" :
la richesse vertigineuse pour quelques-uns,
le déclin constant pour la masse


Alors même que le Régime de Bush équipe ses bombardiers furtifs B-2 avec des bombes monstres "anti-bunkers" de 15 tonnes, pour son attaque à venir contre l'Iran, l'économie des Etats-Unis poursuit son déclin du 21ème siècle. Pendant que les profits de l'industrie de l'armement grimpent en flèche, le peuple américain continue d'en prendre plein la gueule.

Le dernier rapport du Bureau des Statistiques du Travail montre que les salaires réels des travailleurs américains sont en dessous de ceux d'il y a cinq ans. Il ne peut pas en être autrement avec les grandes entreprises américaines qui délocalisent les bons emplois pour réduire les coûts salariaux et, ce faisant, convertissent en primes multimillionnaires payées aux PDG et autres grands directeurs les salaires qui étaient autrefois versés aux Américains.

Les bons emplois qui restent encore aux Etats-Unis sont pourvus de façon croissante par des travailleurs étrangers que l'on fait venir avec des visas de travail. Les départements de relations publiques des grandes entreprises ont réussi à répandre le mensonge selon lequel il y a une pénurie de travailleurs américains qualifiés, nécessitant de faire venir des étrangers aux Etats-Unis. En vérité, ce sont les grandes entreprises américaines qui obligent leurs employés américains à former des étrangers moins bien payés pour qu'ils prennent leurs emplois. S'il refuse, l'Américain remplacé n'obtient pas d'indemnité de licenciement.

Les compagnies d'avocats, telles que Cohen & Grigsby, se font concurrence pour commercialiser leurs services aux grandes entreprises étasuniennes sur la manière d'échapper à la loi et de remplacer leurs employés américains par des étrangers moins bien payés. Ainsi que Lawrence Lebowitz, le vice-président de Cohen & Grigsby, l'a expliqué dans une vidéo marketing de sa compagnie juridique, "notre but est clairement de ne pas rechercher de travailleurs américains qualifiés et intéressés".

Entre temps, les facs et les universités continuent de diplômer des centaines de milliers d'ingénieurs qualifiés, de professionnels de l'informatique et autres, qui n'auront jamais l'occasion de travailler dans les professions pour lesquelles ils ont été formés. L'Amérique d'aujourd'hui est comme l'Inde du temps jadis, avec des ingénieurs travaillant comme barmen, chauffeurs de taxi, serveuses ou employés comme larbins dans des chenils, tandis que la délocalisation des emplois américains démantèle l'ascenseur social pour les citoyens des Etats-Unis.

Au cours de l'année passée (de juin 2006 jusqu'à juin 2007), l'économie américaine a créé 1,6 millions d'emplois dans le secteur privé. Comme Charles McMillion de MBG Information Services le rapporte tous les mois, pratiquement tous ces nouveaux emplois sont des services domestiques mal payés ne nécessitant aucune éducation supérieure.

La catégorie "Loisir et Hospitalité" compte pour 30% de ces nouveaux emplois, dont 387.000 barmen et serveuses, 38.000 employés de motels et d'hôtels et 50.000 employés dans les distractions et les loisirs.

La catégorie "Education et Services de santé" compte pour 35% de la progression des emplois, dont 100.000 dans les services d'éducation et 456.000 dans la santé et l'assistance sociale, principalement les services de santé ambulatoires et les hôpitaux. Les "Services professionnels et techniques" comptent pour 268.000 des nouveaux emplois. "Finance et Assurance" a apporté 93.000 nouveaux emplois, dont environ un quart dans l'immobilier et environ la moitié dans l'assurance.

"Transport et entreposage" a ajouté 65.000 emplois et le commerce de détail et de gros en a ajouté 185.000.

Au cours de cette même année, l'économie américaine n'a créé que 51.000 emplois dans les services d'architectes et d'ingénieurs, moins que les 76.000 emplois créés dans le management et le conseil technique (essentiellement des professionnels en cols blancs en chômage technique).

À l'exception de quelques diplômés ayant des relations, qui font leur trou dans les banques d'investissement de Wall Street, dans les meilleures sociétés d'avocats ou dans la médecine libérale, les universités américaines d'aujourd'hui sont comme des centres de détention, destinés à retarder de quatre ou cinq ans l'entrée de la jeunesse américaine dans des services domestiques non-qualifiés. Pendant ce temps, les riches deviennent beaucoup plus riches et s'abandonnent avec délice dans la consommation la plus extraordinairement ostentatoire depuis l'Age d'Or. Robert Frank a surnommé le nouveau monde américain des super riches, le "Richistan".

Au Richistan, il y a une liste d'attente de deux ans pour acheter un yacht de 70 mètres à 50 millions de dollars. Au Richistan, les montres Rolex sont considérées comme de la camelote de supermarché. Les "Richistaniens" arborent des montres Frank Muller à 736.000 dollars, signent leurs noms avec des stylos mont-blanc à 700.000 dollars incrustés de pierres précieuses. Leurs valets, leurs maîtres d'hôtel (payés 100.000 dollars) et leurs gardes du corps portent les sacs à main Louis Vuitton à 42.000 dollars des femmes et des maîtresses.

Les Richistaniens sont membres de clubs ouverts seulement à ceux qui possèdent plus de 100 millions de dollars, qui payent des cotisations de golf à 650.000 dollars, mangent des hamburgers à 500 dollars et des omelettes à 1.000 dollars, boivent de l'eau minérale Bling à 90 dollars la bouteille et descendent des "martinis sur une pierre" (de la vodka ou du gin versé sur un diamant) à 10.000 dollars à l'Hôtel Algonquin de New York.

Qui sont les Richistaniens ? Ce sont les PDG qui ont délocalisé leurs sociétés et converti les salaires de leurs anciens employés américains en packages de 100 millions de dollars qu'ils se versent à eux-mêmes. Ce sont des banquiers d'investissement et des directeurs de fonds spéculatifs, qui ont créé les dérivés subprime[1] des prêts immobiliers, qui menacent actuellement de faire s'effondrer l'économie. L'un d'eux a été payé l'année dernière 1,7 milliards de dollars. Les 575 millions de dollars que chacun des 25 autres les mieux payés ont touchés sont dérisoires en comparaison, mais ils sont une richesse inimaginable pour tous les autres.

Certains des super riches, comme Warren Buffet et Bill Gates, ont été utiles à la société en même temps qu'à eux-mêmes. Buffet et Gates sont tous les deux préoccupés par l'inégalité de revenu qui croît rapidement aux Etats-Unis. Ils ont conscience que l'Amérique est en train de devenir une société féodale dans laquelle les super riches se font concurrence dans la consommation ostentatoire, tandis que les serfs se battent simplement pour survivre.

Avec les salaires réels des travailleurs américains qui sont plus bas qu'il y a cinq ans, avec leurs dettes qui n'ont jamais été aussi élevées, avec les prix de leurs principaux actifs — leurs maisons — qui sont sous pression à cause de la sur-construction et de la finance frauduleuse et avec de maigres opportunités pour élever leurs enfants, pour lesquels ils se démènent, les Américains sont confrontés à un avenir sombre.

Leur détresse est vraiment pire que ce que les statistiques officielles indiquent. Durant l'administration Clinton, la Commission Boskin a truqué les mesures de l'inflation afin de maintenir au plus bas les pensions indexées de la Sécurité Sociale versées aux retraités.

Une autre tromperie est la mesure qui s'appelle "inflation de base". Cette mesure de l'inflation exclut la nourriture et l'énergie, deux larges composantes du budget d'une famille moyenne. Wall Street et les grandes entreprises et, par conséquent, les médias ont exagéré l'inflation de base parce qu'elle maintient l'augmentation du coût de la vie et des taux d'intérêts à un faible niveau. Au cours du deuxième trimestre de cette année, l'Indice des Prix à la Consommation (IPC) — une mesure plus complète de l'inflation — s'est accru à un rythme annuel de 5,2%, à comparer aux 2,3 % de l'inflation de base.

En examinant de plus près la manière dont l'inflation est mesurée, on découvre rapidement les jeux qui ont cours pour tromper le peuple américain. Les prix de l'immobilier ne font pas partie de cet indice. À la place, les loyers sont utilisés comme substitution aux prix de l'immobilier.

D'autres jeux ont cours sur les biens et services, dont les prix sont inclus dans le panier pondéré, utilisé pour estimer l'inflation. Par exemple, si le prix du bœuf monte, l'indice se déplace vers le prix du poulet qui est plus bas. Ainsi, l'inflation est maintenue à un taux faible en substituant des produits moins chers à ceux dont les prix montent plus vite. Alors que le poids des biens du panier change, la mesure de l'inflation ne reflète pas un modèle constant de dépenses. Certains économistes comparent cette substitution, utilisée pour minimiser les taux mesurés de l'inflation, aux pulls qu'il suffit de revêtir quand il fait froid pour économiser le chauffage.

D'autres tromperies, pas toutes intentionnelles, abondent dans les statistiques officielles étasuniennes. L'article annoncé en couverture de Business Week du 18 juin dernier utilisait l'important travail récent de Susan N. Houseman pour expliquer qu'une grande partie des gains de productivité et du PIB aux Etats-Unis, autour desquels on a fait tant de battage, sont des "gains fantômes" qui n'existent pas vraiment.

D'autres gains fantômes de productivité sont produits par les grandes entreprises qui déplacent les coûts commerciaux vers les consommateurs, par exemple, en faisant en sorte que les personnes qui appellent un service client écoutent des pubs pendant qu'ils attendent qu'un employé leur réponde et en fixant les prix des articles dans le panier d'inflation selon les prix bas des magasins qui n'offrent aucun service-client. Plus on peut faire attendre les personnes qui appellent, moins les entreprises n'ont besoin d'employer des représentants clients. Cette perte de service n'est pas considérée dans la mesure de l'inflation. À la place, elle est prise en compte comme un gain de productivité.

Dans l'Amérique d'aujourd'hui, les plus grosses récompenses vont aux banquiers d'investissement, qui collectent des commissions pour créer des packages financiers pour les dettes. Ces packages incluent les dérivés subprime chancelants des prêts immobiliers. Récemment, un haut responsable de la Banque de France a reconnu que les valeurs réelles des instruments qui servent à re-conditionner la dette sont inconnues tant des acheteurs que des vendeurs. La valeur de beaucoup de ces dérivés n'a jamais été évaluée par le marché.

Pensez à ces dérivés comme à un fonds mutualiste pour la dette, une combinaison de bons prêts immobiliers, de prêts subprime, de dette de cartes de crédit, de prêts automobiles et je ne sais quoi encore. Même les acheteurs institutionnels ne savent pas ce qu'ils achètent ou comment l'évaluer. Les modèles obscurs de fixation des prix sont utilisés pour produire des valeurs et des bonus de salaire par la distorsion des valeurs affectées à la hausse.

La richesse du Richistan pourrait s'avérer artificielle et se crasher, amenant une fin au nouvel Age d'Or. Mais la situation désespérée des riches en détresse ne se comparera jamais à la décimation de la classe moyenne de l'Amérique. La délocalisation des emplois américains a détruit les opportunités pour des générations d'Américains.

Jamais auparavant dans notre histoire, l'élite n'a eu un tel contrôle sur le gouvernement. Pour se présenter aux élections nationales il faut des millions et des millions de dollars, dont la hausse place "nos" représentants élus et "notre" président lui-même à la disposition des quelques intérêts monnayés qui ont financé les campagnes.

L'Amérique en tant que terre d'opportunité fait désormais partie du passé.

Paul Craig Roberts a été Secrétaire-adjoint au Trésor sous Reagan. Il a été rédacteur en chef associé de la page éditoriale du Wall Street Journal et a collaboré à la National Review.

Traduction : [JFG-QuestionsCritiques]

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note :

[1] Les crédits subprime, ce sont tous ces crédits que certains organismes de crédit américains peu scrupuleux accordaient depuis des années aux ménages qui n'en avaient pas les moyens: ceux qui n'avaient pas accès au "prime market" - c'est-à-dire aux crédits accordés avec des critères plus stricts par les grosses banques. Bien évidemment, en contre partie du risque, les taux sont (anormalement) élevés et le crédit est garanti par… bien souvent… la maison de l'emprunteur. Tout ça est très juteux pour les prêteurs et très risqué pour les emprunteurs… lesquels finissent en général par ne plus pouvoir rembourser (surtout après 17 hausses successives des taux directeurs aux US) et se retrouvent à devoir vendre leur maison.

Tant que le marché immobilier américain était en hausse, ce n'était qu'à moitié grave puisque l'emprunteur faisait une plus value sur la revente de sa maison, pouvait rembourser le prêteur et éventuellement s'en sortir avec ce qui lui restait. Le problème, c'est que maintenant que le marché immobilier américain est en crise… quand l'emprunteur revend sa maison, il n'en tire souvent plus assez pour rembourser le prêteur. Faillite personnelle.