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La constitution irakienne

Un référendum pour un désastre

Par Phyllis Bennis - Institute for Policy Studies

CounterPunch — jeudi 13 octobre 2005


Le processus constitutionnel qui culminera ce samedi avec le référendum n'est pas le signe d'un enracinement de la souveraineté et de la démocratie irakiennes. Il est plutôt le signe de la consolidation de l'influence et de la mainmise américaines. Que ce projet de constitution irakienne soit approuvé ou rejeté, les choses ont toutes les chances d'empirer.

Le processus de ratification reflète l'urgence des Etats-Unis, pas celle de l'Irak. La plupart des Irakiens iront voter sans même avoir lu le projet. Et des amendements de dernière minute sont examinés et négociés à Bagdad par les élites et les partis politiques. Ils ont été déposés seulement quatre jours avant la date prévue pour le référendum.

En ouvrant aux sociétés pétrolières étrangères une nouvelle ère d'exploration et de production, la constitution qui est proposée ôterait aux Irakiens le contrôle futur des richesses pétrolières de leur nation.

Imposer le fédéralisme, tel qu'il est défini dans ce projet de constitution, ébranle la conscience nationale des Irakiens et prépare le terrain pour une division potentielle de l'Irak, très largement selon des critères ethniques et religieux. En effet, les pouvoirs financiers, militaires et politiques sont transférés du gouvernement central aux autorités régionales. Chaque groupe met en danger tant ses intérêts sectoriels que nationaux.

Les droits de l'homme — y compris le droit des femmes — le droit politique individuel et les droits civiques, économiques et sociaux, religieux, des minorités, tous ces droits restent en danger.

Au lieu d'équilibrer les intérêts des diverses populations d'Irak, en prenant en considération ses approches laïques qui dominent depuis longtemps, le projet de constitution reflète, privilégie et rend permanent l'actuel virage vers l'identité islamique qui est alimenté par l'occupation.

Le facteur décisif

Les constitutions peuvent jouer un rôle crucial pour fonder et unifier de nouveaux états ou les régénérer ; l'Irak ne constitue aucunement une exception, et, dans le futur, élaborer une constitution pourrait jouer un rôle-clé pour réunifier et renforcer la conscience nationale du pays. Mais ce processus a été imposé de l'extérieur, il ne s'agit pas d'un processus inhérent à l'Irak. Et le projet de constitution qui est actuellement débattu n'est pas le produit légitime de l'Irak. Les Irakiens souffrent toujours des conditions de privations sévères, de la violence et des besoins de base qui ne sont pas satisfaits, dont l'accès à l'eau potable, a l'électricité et à des emplois. Elaborer une nouvelle constitution ne semble pas être la priorité de leur calendrier.

L'actuel processus de ratification de la nouvelle constitution est bien plus important pour l'Administration Bush qu'il ne l'est pour la majorité du peuple irakien. Que la constitution proposée soit approuvée ou rejetée ce samedi, il s'agit d'un processus et d'un texte largement écrits et imposés par les autorités d'occupation américaines et leurs valets irakiens, et c'est pourquoi il manque de légitimité légale ou politique. La réalité la plus criante est que ce projet ne mentionne même pas l'occupation américaine ; et, ni la ratification, ni son rejet, n'auront pour conséquence un mouvement qui mettra fin à l'occupation. Aucun des grands droits de l'homme affirmés dans ce projet ne comprend d'appel à abroger les lois actuelles, imposées en première instance par Paul Bremer — le proconsul des Etats-Unis —, et toujours en vigueur.

Que cette constitution soit acceptée ou rejetée, cela a toutes les chances d'aggraver l'insécurité et la violence auxquels les Irakiens doivent faire face en vivant sous l'occupation américaine. Et cela risque d'accroître la probabilité d'une division sérieuse du pays. Si elle est acceptée, passant outre l'opposition des Sunnites (et d'autres), cette constitution sera vue comme une attaque des intérêts sunnites et laïques et institutionnalisera le contrôle de la puissance régionale militaire et économique au dépend d'un gouvernement central affaibli. Son fédéralisme extrême pourrait transformer le conflit politique actuel violent en une guerre civile déclarée entre les communautés ethniques et religieuses. Si elle ne passe pas, parce que les Sunnites, soutenus par des forces laïques significatives, peuvent mobiliser assez de votes "non", le résultat pourrait être l'effondrement de la légitimité et de la capacité de l'assemblée actuelle qui sont déjà faibles, et l'annulation des élections prévues en décembre. Quel que soit le résultat, il est fort probable que les attaques de la résistance augmenteront, pas qu'elles diminueront. Et une chose est sûre : plus grande sera la violence, plus longtemps durera l'occupation militaire américaine.

Si l'on se place du point de vue de l'administration Bush, le "oui" — aussi petite soit la victoire ou douteuse sa légitimité — validera l'affirmation selon laquelle l'occupation dresse les contours de la "démocratisation" en Irak ; ce qui explique l'énorme investissement financier, le poids politique et l'implication/interférence personnelle de l'ambassadeur Zalmay Khalilzad dans le processus d'élaboration. Si la Maison Blanche cherchait une feuille de vigne pour masquer les retraits des soldats, on comprendrait. Mais rien n'indique un tel intérêt pour commencer à faire rentrer les troupes à la maison, surtout que ce référendum n'a aucune chance que ce soit de faire baisser la violence.

Si l'on se place du point de vue du mouvement pour la paix, la question-clé, valable aussi pour le processus électoral, reste celle de la souveraineté de l'Irak et de son autodétermination. On peut penser ce que l'on veut de ce projet de constitution, il a été essentiellement imposé au peuple irakien par les autorités d'occupation américaines. En tant que tel, il est illégitime. Nous pouvons bien aimer certaines partie de ce projet, nous pouvons être en désaccord avec certains processus constitutionnels futurs conduits par l'Irak — mais notre obligation doit être d'exiger que les Irakiens contrôlent leur propre pays et leur propre destinée. Une fois que l'occupation sera terminée et que les Irakiens récupèreront leur propre nation, il faudra poursuivre la construction de liens internationalistes avec les organisations féministes, celles du travail et de la société civile, qui se battent pour les droits de l'homme en Irak, comme nous l'avons fait avec d'autres partenaires dans bien d'autres pays. Mais tandis que l'occupation des Etats-Unis est aux commandes, notre obligation première est de travailler à y mettre fin.

Le référendum sur le projet de constitution

Le référendum de samedi marque une étape-clé dans l'implantation d'un processus politique élaboré et imposé par les Etats-Unis, destiné à donner un lustre de "souveraineté" à la poursuite de l'occupation américaine. Ce processus a été mis en place et chaque autorité d'occupation en Irak, soutenue par les Etats-Unis, pousse à son achèvement. La réticence initiale américaine à tenir des élections avancées a été surmontée par la pression du dirigeant Chiite, l'Ayatollah al-Sistani. Alors que son soutien entraînait un large soutien des Chiites au processus politique, il assurait aussi une opposition encore plus grande des Sunnites et des autres forces laïques. L'administration Bush a investi un capital politique énorme pour assurer le "succès" du processus constitutionnel. En sacrifiant le contenu véritable du document ainsi élaboré, elle veut s'assurer que quelque chose — presque rien — qui pourrait s'appeler une constitution sera approuvée par une majorité d'Irakiens. L'ambassadeur américain en Irak, Zalmay Khalilzad, a joué un rôle actif et coercitif en poussant les forces politiques irakiennes à participer au véritable projet de ce document et à faire des concessions.

L'objectif des Etats-Unis est de justifier l'affirmation selon laquelle l'Irak "avance vers la démocratie" et que la réalité en 2005, post-invasion et de l'occupation de l'Irak, est en quelque sorte équivalente à l'expérience des Etats-Unis à l'époque où ils ont élaboré leur propre constitution. Tandis que de nombreux hommes politiques, experts et journalistes du courant dominant se réfèrent en général à l'approbation de la constitution comme "l'étape nécessaire vers la fin une fois pour toutes de l'occupation américaine", ce n'est vraiment pas ce qu'elle apportera. Malgré l'affirmation de la revendication rhétorique de "souveraineté" et "d'indépendance" pour l'Irak, la constitution telle qu'elle est dessinée ne mentionne pas l'occupation par les Etats-Unis. Même la section qui traite de la "transition", tout en assurant la poursuite du processus de "débaasification", le soutien aux anciens prisonniers politiques et aux victimes des attentats terroristes, et autres problèmes, il n'y a aucune mention de la présence des 150.000 soldats américains et de la coalition, qui occupent le pays. Et il n'y a assurément aucun appel à ce qu'ils rentrent chez eux. Le processus politique contrôlé par les Etats-Unis viole la Convention de Genève qui interdit à une puissance occupante d'imposer des changements politiques ou économiques au pays occupé. En fin de compte, la constitution garde intacte l'occupation américaine qui n'est pas récusée.

Le processus électoral

Il y a eu une opposition à grande échelle à ce projet de constitution, notamment de la part d'éléments clés de la population sunnite. Dans une initiative poussée par les Etats-Unis de "faire monter les Sunnites à bord", des changements ont été négociés entre un parti sunnite et le comité constitutionnel. Le 12 octobre, seulement trois jours avant le vote, ils se sont mis d'accord sur deux changements — l'un permettant à la constitution d'être amendée par le nouveau parlement qui doit être élu en décembre, et l'autre limitant le processus de "débaasification" aux anciens membres du parti Baas accusés d'avoir commis des crimes. Cette annonce pourrait décider quelques Sunnites supplémentaires de voter, plutôt que de boycotter, ou même de soutenir plutôt que de rejeter la constitution. Mais le Parti Islamique d'Irak ne représente qu'une seule, et de loin pas la plus influente, des nombreuses forces politiques dominées par les Sunnites en Irak, et il n'est pas clair à quel point ces changements seront significatifs ou auront de l'influence.

Le résultat probable

Si le scrutin ressemble à quelque chose proche d'un référendum correct ("libre" et "équitable" ne sont même pas des possibilités, étant donnée la dominance du contrôle américain sur l'élaboration du projet et la conduite du vote sous occupation militaire) le présent projet de constitution a toutes les chances, bien que cela ne soit pas certain, d'être approuvé par une petite majorité d'électeurs irakiens. Il n'est pas facile de dire si la majorité de la population sunnite participera à ce vote et si elle votera probablement "non" au projet (même avec les nouvelles modifications) ou s'ils boycotteront dans l'ensemble ce référendum. Il est tout aussi difficile de savoir combien d'Irakiens laïques, toutes confessions et ethnies confondues, peuvent rejeter la constitution. Il y a des indications claires que la plupart des Irakiens pensent que la constitution a été élaborée lors d'un processus duquel ils ont été largement exclus ; les médias internationaux d'informations rapportent que la plupart d'entre eux n'avait pas vu le texte, seulement quelques jours avant le référendum.

Le contrôle du pétrole irakien

Les principaux débats entre les communautés irakiennes, ethniques et religieuses, de même qu'entre les approches laïque et islamique, ont écarté toute discussion sur les décisions cruciales prises par la constitution en matière économique, et en particulier sur le pétrole. Le projet affirme que "le pétrole et le gaz sont la propriété de tous les Irakiens, de toutes les régions et de toutes les provinces", et que le gouvernement fédéral administrera le pétrole et le gaz des "champs actuels" et dont les revenus devront être "distribués équitablement dans tout le pays d'une façon compatible avec la répartition démographique". Mais cette garantie se réfère seulement aux champs de pétrole déjà en exploitation, laissant l'exploitation future d'environ les 2/3 des réserves pétrolières irakiennes connues (63 des 80 champs connus, 75 milliards des 115 milliards de barils que constituent ses réserves connues) aux compagnies étrangères — parce que la section suivante de la constitution exige "les techniques les plus modernes des principes du marché et l'encouragement de l'investissement". De plus, l'Article 11 stipule explicitement que "Tout ce qui n'est pas écrit pour accorder aux pouvoirs exclusifs des autorités fédérales est placé sous l'autorité des régions". Cela signifie que l'exploration et l'exploitation futures des richesses pétrolières irakiennes resteront sous le contrôle des autorités régionales où se trouve le pétrole — le Nord contrôlé par les Kurdes et le Sud dominé par les Chiites —, assurant l'appauvrissement futur des populations sunnites, laïques et mélangées de Bagdad et du Centre de l'Irak et faisant le lit des futurs conflits ethniques et religieux.

Alors que les spécifications de la privatisation du pétrole ne sont pas écrites dans le texte du projet de constitution, elles sont cohérentes avec les lois irakiennes annoncées en août 2004 par le Premier ministre intérimaire nommé par les Etats-Unis, Iyad Allaoui. Celui-ci a annoncé que ce sont les sociétés privées, y compris les groupes pétroliers étrangers, plutôt que l'Iraqi National Oil Company [INOC, la compagnie nationale pétrolière irakienne], qui auront des droits exclusifs pour développer de nouveau champs pétrolifères. De même, la privatisation partielle de l'INOC, contribuera surtout à brader le trésor national irakien au profit du groupe étranger le plus offrant.

Le Fédéralisme

La division de l'Irak en trois régions ou cantons principaux, définis selon des critères ethniques ou religieux, est toujours une vieille crainte de nombreux Irakiens et de nombreux peuples et gouvernements de la région et dans le monde. C'est aussi la base la plus importante de l'opposition à ce projet de constitution. Dans l'Irak historiquement laïque, le changement d'identité d' "Irakien" à "Sunnite" ou "Chiite" (toutefois, l'identité kurde a toujours été plus forte) s'est produit largement en réponse à l'invasion et à l'occupation américaines. Cela ne reflète pas les réalités culturelles historiques. Le projet de constitution met non seulement en avant le fédéralisme comme structure nationale de gouvernement, mais aussi une version extrême de fédéralisme dans lequel tout pouvoir qui n'est pas assigné au gouvernement central incombe automatiquement aux autorités régionales — faisant ainsi le lit de la division potentielle de l'Irak, largement selon des lignes ethniques et religieuses. Ce projet anticipe un gouvernement national faible, avec les pouvoirs financier, militaire et politique concentrés entre les mains des autorités régionales. La constitution qui est proposée stipule directement que tous les pouvoirs — militaire, économique, politique ou autre — "à l'exception de ce qui est énuméré comme pouvoirs exclusifs des autorités fédérales" sont automatiquement réservés aux gouvernements régionaux ou provinciaux. Dans ces zones de pouvoir régional, les gouvernements provinciaux sont autorisés à "amender l'exécution de la loi fédérale dans la région" signifiant qu'ils peuvent ignorer ou annuler toute garantie constitutionnelle autre qu'en matière d'affaires étrangères ou de défense ou de frontières.

A côté du conflit économique/pétrolier, ceci signifie que les milices régionales (comprendre : religieuses et/ou ethniques) responsables devant les partis politiques et/ou devant les dirigeants religieux recevront l'imprimatur des forces nationales. Ce processus a déjà sapé la conscience nationale irakienne et mis en place les risques tant pour les intérêts nationaux, et d'une façon ironique, que sectoriels affectant chacun des groupes — même les plus puissants.

Les Chiites —

La majorité chiite (qui représente environ 60% de la population) constitue la force dominante du gouvernement actuel et des agences de sécurité et elle domine le processus d'élaboration de la constitution, en alliance avec les Kurdes. Cette constitution est largement comprise pour favoriser leurs intérêts. Et, en instituant un semblant de règle majoritaire et, selon certaines sources, en privilégiant le pouvoir religieux au sein du gouvernement et des systèmes judiciaires, c'est le cas. Mais malgré le virage récent vers la religion, de nombreux Chiites restent très laïques, et tous les Chiites ne veulent pas institutionnaliser le contrôle religieux, à la fois dans le gouvernement régional ou dans le gouvernement national. Les dispositions du fédéralisme, dont le potentiel à établir une "super région" à dominance chiite dans les neuf provinces du Sud riches en pétrole, ont toujours beaucoup de succès auprès de nombreux Chiites. Toutefois, le fédéralisme extrême a l'effet parallèle de contenir le contrôle des Chiites aux régions du Sud (qui sont cependant riches en pétrole) où ils forment la plus grande majorité de la population, limitant ainsi l'influence chiite dans le pays. De nombreux chiites vivent à Bagdad (en fait, la plus grande ville chiite en Irak) ainsi que dans d'autres zones mixtes en dehors de la région Sud à majorité chiite. Le dirigeant chiite respecté, l'Ayatollah Ali al-Sistani, s'est exprimé avec force contre la division de l'Irak, mais la constitution pose les jalons pour faire exactement le contraire.

Les Sunnites —

La population sunnite d'Irak est dominante dans des petites zones au centre de l'Irak y compris à Bagdad et ses environs. Avec une constitution qui insiste fortement sur la construction d'une puissance régionale, économique, militaire et politique, les Sunnites, en tant que communauté, risquent de perdre le plus. Avec la puissance économique principale — comprendre : le contrôle des revenus du pétrole — placée entre les mains des gouvernements régionaux, les Sunnites souffriront parce que la zone qu'ils dominent au centre de l'Irak n'a pas de ressources pétrolières. Suite au boycott à grande échelle de l'élection de juin 2005 par les Sunnites, ces derniers sont sous-représentés dans l'assemblée nationale et ils ont été confrontés pour la plus grande part à l'exclusion des emplois, de l'armée et du gouvernement sous le processus de "débaasification". Des changements de dernière minute au projet de constitution, y compris des limites au processus de "débaasification" pourraient calmer quelque peu la colère sunnite. Toutefois, cela ne risque pas d'amener les Sunnites à une implication totale proportionnelle et à accepter le pouvoir issu des processus politiques

post-référendaires.

Les Kurdes —

La population kurde d'Irak, environ 20% de la population totale, est largement (bien que pas entièrement) concentrée dans les provinces du Nord. De tous les principaux groupes irakiens, ce sont eux qui ont la plus longue histoire d'une identité séparée, ethnique/religieuse. Leur recherche de l'indépendance ou de l'autonomie, renforcée par des années d'oppression de la part des divers gouvernements centraux à Bagdad, est enracinée depuis longtemps. Les dirigeants kurdes d'Irak sont les plus proches alliés des Etats-Unis en Irak. Ils ont apporté un soutien à l'invasion et à l'occupation avant même que les attaques américaines ne commencent.

Grâce à la protection des américains durant les 12 années de sanctions qui ont suivi l'opération "Tempête du Désert", la région kurde a aussi eu accès à plus d'argent (à travers une distorsion internationale de la distribution des fonds irakiens issus du programme pétrole contre nourriture) que tout autre région d'Irak. La région kurde a bénéficié aussi de liens internationaux grâce à des frontières ouvertes avec la Turquie et au-delà, ainsi que du développement d'institutions de la société civile soutenu par les Etats-Unis — et autres occidentaux. Ils sont de loin les mieux préparés pour contrôler le revenu régional pétrolier (leur zone comprend les riches champs pétrolifères du Nord, surtout s'ils finissent par incorporer la région autrefois kurde mais à présent extraordinairement mélangée autour de Kirkuk) et les plus désireux d'un gouvernement central affaibli. Leur milice régionale, les Peshmerga, est aussi de loin la plus puissante de toutes les forces militaires irakiennes. Toutefois, certaines forces kurdes sont déjà très critiques au sujet du projet de constitution car leur région constituée de trois provinces riches en pétrole serait éclipsée par la région encore plus riche en pétrole constituée par les neuf provinces du Sud dominées par les Chiites.

Les forces laïques

Avec la Palestine, l'Irak était historiquement le plus laïque de tous les pays arabes. Le projet de constitution, bien que vague sur beaucoup de points, prépare assurément le terrain pour un rôle bien plus important des autorités religieuses dans les institutions gouvernementales et judiciaires. De nombreux Irakiens laïques, de même que les Chrétiens, sont consternés par le fait que les ecclésiastiques musulmans soient privilégiés au sein de la cour constitutionnelle, par exemple, de même que par la montée en puissance régionale qui permet aux gouvernements locaux/régionaux de choisir la charia, ou la loi islamique, plutôt que les lois laïques comme base pour certaines ou toutes les juridictions judiciaires.

La religion et les droits de l'homme

Officiellement, le projet de constitution comprend des protections considérables en matière de droits de l'homme, y compris un large éventail de droits civiques et politiques, et d'une façon explicite les droits des femmes. Il y est dit que l'Irak "respectera les règles de la loi, rejettera la politique d'agression, fera attention aux femmes et à leurs droits, aux personnes âgées et à leurs soins, aux enfants et à leurs affaires, étendra la culture de la diversité et désamorcera le terrorisme". Les droits économiques, sociaux et culturels sont explicitement protégés — bien plus que dans la constitution des Etats-Unis ou que de la plupart des pays. Mais il y a en même temps un langage contradictoire. Le projet stipule que "(a) Aucune loi ne peut être votée qui contredit les règles incontestées de l'Islam. (b) Aucune loi ne peut être votée qui contredit les principes de la démocratie. (c) Aucune loi ne peut être votée qui contredit les droits et les libertés de base exposés dans cette constitution".

Que les libertés de base soient plus fortes que l'Islam ou vice-versa et, de façon cruciale, qui décidera, il semble que ce soit un risque dangereux. Au bout du compte, plutôt que d'équilibrer les intérêts de la majorité musulmane, très diverse, avec ceux des laïcs autrefois dominants, le projet de constitution reflète, privilégie et rend permanent le virage actuel vers une identité islamique, alimenté par l'occupation.


Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon