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Reportage depuis Rafah : pire qu’un tremblement de terre

Par Kathy Kelly
CounterPunch, le 23 janvier 2009

article original : "Report From Rafah: Worse Than an Earthquake"


Rafah, Gaza —
Sur Sea Street, une artère majeure le long de la côte de Gaza, circulent des chevaux, des ânes tirant des charrettes, des cyclistes, des piétons, des camions et des voitures, généralement d’anciens modèles. Au-dessus des têtes, dans un contraste saisissant avec la rue, en dessous, les drones ultramodernes de surveillance israéliens sillonnent le ciel. On peut entendre également des F16 et des hélicoptères. Les restes de leurs « livraisons », les enveloppes de missiles, de bombes et d’obus, utilisés durant les trois dernières semaines d’attaques israéliennes, jonchent le sol.

Les travailleurs ont nettoyé la plupart des routes. A présent, ils déblayent les énormes piles de décombres et de gravats, comme les gens le font après un tremblement de terre.

« Pourtant, le monde entier apporte une aide après un tremblement de terre », dit un médecin de l’hôpital Shifaa à Gaza. « Nous ressentons une profonde frustration », continue-t-il. « L’Ouest, l’Europe et les Etats-Unis, ont regardé ce massacre se poursuivre pendant 22 jours, comme s’ils regardaient un film, regardant le massacre de femmes et d’enfants sans rien faire pour l’arrêter. Je m’attendais à mourir à tout moment. Je tenais mes bébés dans mes bras et je m’attendais à mourir. Il n’y avait aucun endroit sûr à Gaza. »

Lui et ses collègues sont visiblement épuisés, après des semaines de travail dans les unités de soins intensifs et des urgences de l’hôpital, qui a reçu beaucoup plus de patients qu’ils ne pouvaient prendre en charge. « Les patients mouraient sur le sol des salles d’opérations parce que nous n’en avions que six », a déclaré le Dr Saïd Abouhassan, un médecin de l’unité de soins intensifs qui a grandi à Chicago. « Et nous n’en savons vraiment pas assez sur le type d’armes qui ont été utilisées contre Gaza. »

Le Dr Abouhassan dit qu’en 15 ans de pratique il n’a jamais vu des brûlures comme celles qu’il a vues ici. Ces brûlures, de couleur noire, pénétraient profondément dans les muscles et les os. Même après le début du traitement, la couleur noire revenait.

Deux patients ont été envoyés en Egypte à cause de leur condition très critique. Ils sont morts là-bas. Mais lorsque les autopsies ont été faites, les rapports ont montré que la cause de la mort était un empoisonnement par des éléments de phosphore blanc qui étaient entrés dans leurs systèmes, provoquant des arrêts cardiaques. Dans la ville de Gaza, le directeur harassé de l’Unité des Grands Brûlés, un chirurgien plastique et expert en traitement des brûlures, nous a dits qu’après avoir rencontré des cas qu’ils n’avaient jamais vus auparavant, les médecins du centre ont pratiqué une biopsie sur un patient qu’ils soupçonnaient avoir été victime de brûlures chimiques, et ils ont envoyé les échantillons à un labo en Egypte. Les résultats ont montré des éléments de phosphore blanc dans les tissus.

Ce docteur a été interrompu par un appel téléphonique de la part d’un agriculteur qui voulait savoir s’il était sûr de manger les oranges qu’il ramassait dans les vergers, déracinés et bombardés durant l’invasion israélienne. L’appelant a dit que les oranges avaient une odeur repoussante et que lorsque les ouvriers agricoles les ramassaient, leurs mains les démangeaient.

Audrey Stewart venait juste de passer la matinée avec des fermiers gazaouis à Toufaa, un village près de la frontière entre Gaza et Israël. Les soldats israéliens avaient d’abord évacué les personnes, puis dynamité leurs maisons et ensuite utilisé des bulldozers pour raser les terres, déracinant les orangeraies. Beaucoup de personnes, dont des enfants, ramassaient dans les décombres ce qu’ils pouvaient récupérer de leurs biens et essayaient de rassembler les oranges. A un moment, les gens ont commencé à crier en direction d’Audrey, la prévenant qu’elle se tenait debout à côté d’un missile non-explosé.

Après avoir écouté le récit d’Audrey, le docteur a mis sa tête entre ses mains. « Je leur ai dis de laver tout très soigneusement. Mais ce sont de nouvelles situations. Vraiment, je ne sais pas comment y faire face », a-t-il dit.

Déjà, il parlait avec passion sur ce qu’il savait de ces familles qui avaient été brûlées ou réduites en charpie lorsque leurs maisons ont été bombardées. « Leurs bébés constituaient-ils un danger pour quiconque ? » nous a-t-il demandé.

Ils nous mentent à propos de démocratie et de valeurs occidentales », a-t-il poursuivi, la voix tremblante. « Si nous étions des moutons et des chèvres, ils seraient plus enclins à nous aider. »

Le Dr Saïd Abouhassan a fait ses adieux aux docteurs avec lesquels il avait travaillé à Gaza. Il retournait à son travail aux Emirats Arabes Unis. Avant de partir, il a fait une pause pour nous glisser un conseil. « Vous savez, la chose la plus importante que vous puissiez dire à votre peuple dans votre pays est que les Américains ont payé un grand nombre d’armes qui ont servi à tuer les gens à Gaza. Et cela, aussi, est pire qu’un tremblement de terre. »

Kathy Kelly, co-coordinatrice de Voices for Creative Nonviolence, a rédigé cet article depuis Arish, une ville près de la frontière de Rafah, entre l’Egypte et Gaza. Bill Quigley, un avocat des droits de l’homme et professeur de droit à Loyola New Orleans, et Audrey Stewart sont également en Egypte et ont contribué à cet article.

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]