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Disparités de Puissance

Plaidoyer pour le Gouvernement Palestinien

Par Ramzy Baroud

20 avril 2006
Article original : "A Case for the Palestinian Government" par Ramzy Baroud

" Priver l'Autorité Palestinienne des fonds dont elle a un besoin urgent est à la fois précipité et injuste "


Aux Etats-Unis, à l'Union Européenne et aux divers pays européens et non-européens qui ont décidé les uns après les autres de boycotter l'Autorité Palestinienne et de la priver des fonds dont elle a un besoin urgent, le Premier-ministre palestinien Ismail Haniyeh a répondu que ces mesures étaient à la fois "précipitées" et "injustes".

Précipitées pour la raison évidente que le nouveau gouvernement palestinien vient juste de prêter serment et qu'il doit encore formuler un programme politique réalisable, qui permettrait de juger son action.

Ce gouvernement, qui a été démocratiquement élu, a déjà montré à plusieurs reprises qu'il est aussi disposé à arrondir ce qui est perçu comme une position politique extrémiste. Pour preuve, le Premier-ministre palestinien, son ministre des affaires étrangères (le Dr Mahmoud al-Zahhar) ainsi que divers officiels ont clairement dit qu'ils voulaient vivre en paix "côte à côte" avec leurs voisins.

Ainsi que ces campagnes de boycott apparemment contagieuses le montrent, les démocraties sincères au Moyen-Orient ne semblent intéresser ni les Etats-Unis, ni l'UE et, dans une moindre mesure, ni le Canada. L'impartialité n'est pas non plus à l'ordre du jour de leurs politiques étrangères. En fait, il y a tout lieu de croire que ces mesures punitives ont pour but d'empêcher le gouvernement palestinien de modifier son image au moyen d'un programme politique déterminé, qui pourrait créer un environnement embarrassant pour Israël.

Ces campagnes de boycott (auxquelles se sont joints d'autres pays moins explicitement hostiles comme la Norvège) sont tout aussi injustes. Le gouvernement palestinien actuel a été élu dans des élections démocratiques transparentes disputées honnêtement, selon les observateurs européens [et selon l'ancien président des Etats-Unis Jimmy Carter]. Elles sont injustes parce que les exigences qui les accompagnent sont malhonnêtes.

Alors, qu'y a-t-il de si malhonnête à vouloir forcer le gouvernement palestinien à reconnaître le droit d'Israël à exister ? Ceux qui connaissent bien la disparité de puissance entre Israël - une puissance nucléaire redoutable - et les Palestiniens, dont l'appareil policier est en dysfonctionnement, doivent trouver cette notion tragiquement drôle. Cela devient encore plus 'amusant' lorsque l'on comprend que ceux que l'on voudrait voir reconnaître le "droit d'exister" d'Israël sont les descendants et les descendants immédiats de ceux qui ont été complètement persécutés par les politiques d'Israël et qui continuent d'endurer quotidiennement la souffrance et la douleur de son occupation militaire.

Mais n'est-il pas injuste d'espérer que le gouvernement palestinien reconnaisse Israël qui a intentionnellement laissé ses frontières non définies dans l'espoir de dépouiller les Palestiniens de ce qui reste de la taille d'origine de leur terre natale - 22% de la taille totale de la Palestine ?

Peut-être que l'UE devrait attendre quelques mois avant de poser de telles exigences. Elle devrait laisser au moins suffisamment de temps aux Israéliens pour qu'ils puissent déterminer unilatéralement ce qu'ils décident de garder et ce dont ils souhaitent se séparer de la Cisjordanie Occupée. Ainsi, les Palestiniens sauront ce qu'ils reconnaissent vraiment.

N'est-il pas injuste d'exiger d'une nation occupée de reconnaître cette entité même qui a illégalement exproprié sa future capitale - Jérusalem-Est - pour en faire une partie de sa propre capitale "élargie", en violation de la loi internationale ? L'Autorité Palestinienne voudrait-elle reconnaître la souveraineté d'Israël sur ce qu'Israël considère comme faisant partie "en propre d'Israël" et qui inclut une grande partie de la Cisjordanie et l'ensemble de Jérusalem ?

Ce qui est même encore plus condescendant est d'exiger que le gouvernement palestinien renonce à la violence. Est-ce une sorte de blague cruelle que l'Occident persiste à exercer sur les Palestiniens ? A-t-on oublié que le Hamas a adhéré religieusement à un cessez-le-feu unilatéral avec Israël depuis plus d'un an ?

Essayons de jongler avec quelques hypothèses. Si la communauté internationale pense qu'il est impératif que les Palestiniens abandonnent la violence et le terrorisme comme moyen de résistance, est-elle préparée à faire pression sur Israël - au moyen de boycotts économiques, du blocage des aides qu'elle lui prodigue et de restrictions de voyage pour ses officiels - afin de faire cesser toute forme de violence collective ou individuelle sur les Palestiniens ? De plus, si de telles pressions échouent, est-elle prête à fournir aux Palestiniens des formes tangibles de protection contre une violence israélienne gratuite, comme ce tout dernier massacre qui a fait 15 morts et de nombreux blessés ?

Et que dire de la troisième exigence selon laquelle le nouveau gouvernement palestinien doit prendre l'engagement de la paix ? Sorties de leur contexte, ces exigences semblent à la fois correctes et légitimes. Mais n'est-il pas étrange que l'UE et les Etats-Unis se soient empressés de féliciter le parti Kadima qui a remporté les élections en Israël - et dont la victoire était basée sur une plate-forme unilatérale qui épouse encore pus la notion qu'Israël fera comme bon lui semble, y compris l'annexion illégale de bandes de terre de la Cisjordanie occupée - tandis qu'en même temps ils punissent les Palestiniens pour leur prétendu renoncement aux engagements passés, engagements qu'Israël a ouvertement refusés de reconnaître ?

Une telle approche a des relents d'hypocrisie.

Stanley Cohen, le courageux avocat juif américain, a fait cette déclaration lors d'un récent débat à la BBC : "Les Palestiniens n'ont pas besoin de votre argent".

C'est vrai, les Palestiniens ont trop de dignité pour succomber à une pression aussi dégradante. Mais la réalité, c'est que l'occupation israélienne et la corruption de l'ancien gouvernement palestinien, dans le passé, les ont laissés sans le sous et totalement dépendants de l'aide étrangère. C'est précisément pour un moment comme celui-ci, où une telle pression inqualifiable est nécessaire, que leur économie a été intentionnellement maintenue sans perspectives d'autosuffisance.

Les Palestiniens dans les Territoires Occupés sont au bord d'un désastre humanitaire. Ils sont punis pour avoir faire un choix démocratique considéré comme inacceptable par Israël et ses bienfaiteurs étrangers.

Les Palestiniens devraient reconnaître Israël, abandonner la violence et s'engager vers la paix, mais seulement lorsque de telles exigences seront également requises de la part d'Israël. En attendant, ces exigences sont tout simplement impossibles.

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Ramzy Baroud enseigne la communication de masse à l'Université australienne de Technologie de Curtin, Malaysia Campus. Son tout dernier ouvrage s'intitule, Writings on the Second Palestinian Intifada: A Chronicle of a People's Struggle (Pluto Press, London.) Il est aussi rédacteur en chef du journal en ligne Palestine Chronicle

Traduit et adapté par Jean-François Goulon