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La Duplicité de la Grande-Bretagne

Le Raid d'Israël contre la Prison de Jéricho

Par Jonathan Cook

CounterPunch, mercredi 15 mars 2006


Dans le miroir du monde qu'est la politique moyen-orientale, il est facile d'oublier qu'Ahmed Saadat, le dirigeant palestinien emprisonné, qu'Israël a arrêté sommairement à Jéricho ce mardi, est réclamé [par les Israéliens] pour avoir été le cerveau de l'assassinat du plus célèbre général-politicien raciste de l'Etat d'Israël.

À la fin des années 60 et au début des années 70, Rehavam Ze'evi était le chef du commandement central, et à ce titre, il a développé et géré personnellement le régime brutal d'Israël dans la Cisjordanie nouvellement occupée [à partir de 1967]. Après s'être retiré du champ de bataille, il a livré une guerre sans relâche contre "les Arabes" sur le front politique. Son parti, Moledet, fondé dans les années 80, promettait de nettoyer le Grand Israël des Palestiniens — Israël + les Territoires Occupés.

Après le déclenchement de l'Intifada [al-Aqsa], sa pensée était devenue si acceptable qu'il fut nommé ministre du tourisme dans le premier cabinet d'Ariel Sharon. Il se peut que Sharon pensait qu'avec Ze'evi pour compagnon il pourrait réellement commencer à passer pour un homme de paix.

L'assassinat de Ze'evi par des hommes armés dans un hôtel de Jérusalem en 2001 est à rapprocher des assassinats ciblés israéliens — à la différence près que, dans l'opération palestinienne, aucuns passants ne furent tués.

Les Israéliens furent horrifiés par l'assassinat de Ze'evi (et ils le sont toujours) et la plupart d'entre eux considèrent que les Palestiniens ont rompu toutes les règles du combat en s'en prenant à un politicien élu. Il est clair que cette manière de voir ignore le fait que la mort de Ze'evi fut la récompense d'Israël pour avoir assassiné auparavant un politicien palestinien largement respecté, Abou Ali Moustafa, le chef du FPLP (le Front Populaire de Libération de la Palestine). Mais ce qui valait pour l'un ne valait pas pour l'autre.

Ahmed Saadat, successeur de Moustafa et celui qui fut accusé par Israël de l'assassinat de Ze'evi, s'est retrouvé en tête sur la liste des personnes recherchées par l'armée israélienne. Sous la pression internationale, dans les jours qui ont précédé son démembrement total par l'armée israélienne, l'Autorité Palestinienne l'a arrêté.

Pour éviter qu'il ne soit la cible d'un assassinat par Israël et dans l'espoir vain de libérer Yasser Arafat de son assignation à domicile effective à Ramallah, la direction palestinienne négocia un accord avec la Grande-Bretagne et les Etats-Unis en 2002. Ces deux pays acceptèrent de fournir des surveillants pour protéger Saadat pendant sa réclusion à Jéricho, la minuscule ville de Cisjordanie qui se trouve dans les basses-terres brûlées par le soleil de la Vallée du Jourdain.

Quatre ans plus tard, mardi matin, la Grande-Bretagne est revenue sur l'engagement qu'elle avait pris avec les Palestiniens et elle a quitté Jéricho, mais sans prévenir auparavant Israël de son départ. Comme par hasard, les blindés israéliens sont entrés immédiatement dans Jéricho pour capturer Saadat et une poignée d'autres hommes recherchés.

Pour les Palestiniens, la promesse rompue par les Britanniques, de même que la sortie précipitée de Jéricho et la collusion apparente avec Israël, tout ceci a rappelé un peu trop douloureusement d'autres épisodes de la politique étrangère britannique au Moyen-Orient. Cela a été ressenti comme un écho à 1956 et au pacte de Londres avec Israël sur l'invasion de l'Egypte, pendant la crise du Canal de Suez. Et aussi, comme un écho à 1948, lorsque la Grande-Bretagne abandonna avec précipitation la Palestine, ce qu'elle ne fit toutefois qu'après avoir effectivement rempli la promesse de la Déclaration Balfour : créer une patrie juive en autorisant des centaines de milliers de Juifs à immigrer [en Palestine].

Ceci explique en grande partie la colère qui a déferlé mardi de Gaza à Ramallah, ainsi que les enlèvements d'étrangers. La duplicité de la Grande-Bretagne était un rappel — s'il en était besoin — que rien n'a changé en un siècle de "diplomatie" occidentale. Et quelle a été la ligne de défense britannique pour son action incendiaire ? Selon le ministre des affaires étrangères, Jack Straw, la Grande-Bretagne n'avait pas d'autre choix que de retirer ses surveillants de Jéricho à cause des inquiétudes croissantes pour leur sécurité.

Cela a sonné plus que faux aux oreilles des Palestiniens. L'Intifada est passée partout sauf par Jéricho. Avec une population d'environ 15.000 habitants, c'est l'endroit le plus tranquille de la Cisjordanie et de Gaza. Pendant les décennies d'occupation israélienne la ville a gagné une réputation non flatteuse d'être le dépotoir des collaborateurs à la petite semaine, ceux qu'Israël n'a pas récompensés par un abri sûr dans son propre territoire.

Jéricho est un petit îlot palestinien dans un océan d'occupation israélienne. La majeure partie de la Vallée du Jourdain est entièrement contrôlée par Israël depuis des décennies. Selon des reportages publiés dans les médias hébreux, Israël annoncera froidement, peu après les élections qui se tiendront à la fin mois, l'annexion de la Vallée.

Autour de Jéricho même, l'armée israélienne a creusé un fossé profond pour empêcher tout mouvement non-autorisé vers et hors de la ville. Et au-delà de ce fossé se trouve "l'autoroute des colons", très fréquentée, qui traverse la Vallée du Jourdain et qui relie Jérusalem avec le nord d'Israël. Cette autoroute est officiellement connue sous le nom de route Gandhi — en mémoire de Rehavam Ze'evi, qui avait gagné le surnom de "Gandhi" quand il était un jeune soldat tout maigre dans l'armée.

En fait, Jéricho a été si tranquille pendant l'Intifada qu'Israël a réouvert la ville il y a six mois au tourisme, autorisant les voyages organisés à passer par le barrage tenu par les Israéliens sur la seule route de la ville. J'ai moi-même visité récemment la ville à plusieurs occasions, je suis descendu dans ses hôtels et j'ai apprécié leurs piscines qui sont ouvertes toute l'année. Ce qui est apparemment un endroit sûr pour les journalistes et les touristes n'est pas assez sûr pour les fonctionnaires britanniques !

Le problème est désormais que les "inquiétudes" de Straw sur la sécurité peuvent s'accomplir d'elles-mêmes. Une réaction violente contre les étrangers est aussi certaine que les attaques de mardi contre les bureaux du British Council à Gaza. Il n'y a plus que quelques touristes en Cisjordanie, surtout depuis qu'Israël a rendu l'entrée si difficile avec la construction de son mur. Mais il y a toujours un nombre significatif d'étrangers qui travaillent pour des organisations humanitaires.

Leur présence est importante. Beaucoup de ces organisations sont devenues elles-mêmes à peine plus que des rustines, incapables de répondre aux plaies purulentes de la vie palestinienne sous une occupation encore plus restrictive. Mais qu'il y ait des étrangers, qui vivent à Ramallah, à Naplouse et à Hébron, offre une assurance — même ténue et inadéquate — contre plus d'incursions imprudentes de l'armée israélienne. Au minimum, les étrangers peuvent témoigner.

Il n'y aurait rien de pire que la Cisjordanie — après les retraits limités d'Israël et l'achèvement de son mur — devienne un petit état-ghetto palestinien, un de ceux où ni les médias internationaux, ni les travailleurs humanitaires, n'oseraient s'aventurer. Il faut dire aussi que rien ne pourrait mieux satisfaire Israël.

Jonathan Cook est un journaliste britannique qui vit à Nazareth. Il sortira le mois prochain un ouvrage intitulé : "Blood and Religion: The Unmasking of the Jewish and Democratic State" [Sang et Religion: l'Etat Juif et Démocratique Démasqué]


Traduit de l'anglais (États-Unis) par [JFG-QuestionsCritiques]