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Présidentielle 2007

Qui veut de Sarko ?
L'ancienne ou la nouvelle France ?

Par Diana Johnstone
CounterPunch, le 25 avril 2007

article original : "Who Wants Sarko? The New or the Old France?"

Les médias anglo-américains voient la performance de Sarkozy (plus de 31% des voix, contre un peu moins de 26% pour Ségolène Royal, au premier tour du 22 avril) comme la preuve qu'une nouvelle France pourrait enfin voir le jour et se détourner du "modèle français" abrutissant pour prendre exemple sur ceux qui aiment la liberté, incarnés par la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. Le deuxième tour aura lieu le 6 mai.

L'examen des sondages de sortie des urnes, montrant la composition sociale et les motivations de l'électorat du 22 avril, suggère une interprétation toute différente. L'électorat sarkoziste n'est pas la nouvelle France, dynamique et amoureuse de la liberté. Cette France-là a voté essentiellement pour Ségolène Royal. La France de Sarko est vieillissante et apeurée.

Parmi les électeurs âgés de 18 à 24 ans, 34% ont voté pour la candidate socialiste, 20% pour François Bayrou et seulement 19% pour Sarkozy (qui n'est pas un "gaulliste", ainsi que les reportages en langue anglaise persistent à le dire ; "Bushiste" serait plus proche de la vérité).

[Pour Sarko,] le bloc d'électeur le plus important a été constitué des retraités. Il a gagné 44% de l'électorat des plus de 65 ans. Lorsqu'on leur demande ce qui a été capital dans leur choix, 46% des électeurs de Ségolène ont exprimé leur inquiétude sur les "inégalités sociales" et 66% veulent vivre dans une société où "la liberté personnelle" est plus grande. Les électeurs de Sarko, eux, sont indifférents à ces thèmes, mais placent en premier "la lutte contre l'insécurité" ; 88% d'entre eux exigent une société "avec plus d'ordre et d'autorité". Et 26% des électeurs de Sarkozy ont une préférence pour "la lutte contre l'immigration", comparé à seulement 5% pour les électeurs de Royal.

Ces chiffres semblent indiquer une France sarkozienne qui a peur de son ombre, facilement abusée par l' "autorité" de façade d'un beau-parleur hyper-ambitieux, dont le règne, en tant que ministre de l'Intérieur, a en réalité vu la montée des actes de violence contre les personnes, mais qui jongle avec les statistiques et prend des poses pour véhiculer l'idée qu'il est celui qui châtie le crime.

Une autre suffisance des médias internationaux est de féliciter Sarkozy d'avoir réduit le vote de Le Pen. C'est comme féliciter le cheval de bois qui a tenu les Grecs à distance de Troy. Un million d'électeurs de Le Pen - en particulier les plus réactionnaires, ceux de la Côte d'Azur et de l'Alsace - ont basculé légitimement vers Sarkozy en tant que candidat en position de prendre le pouvoir et de réaliser ses promesses réactionnaires - quelque chose que Le Pen ne pourrait jamais faire.

Ségolène a obtenu légèrement moins de voix de la part de l'électorat féminin que Sarkozy, mais ceci est facilement expliqué par la démographie. Les femmes constituent la majorité de l'électorat des plus 65 ans, qui est particulièrement important en France - qui bénéficie de la plus longue espérance de vie au monde, en particulier celle des femmes.

Après les personnes âgées, Sarkozy a obtenu son meilleur score parmi les artisans et les entrepreneurs, suivis par les cadres supérieurs et les professions libérales : des catégories traditionnellement à droite, dans l'espoir de réductions d'impôts. Mais Ségolène a devancé Sarkozy parmi les professions intermédiaires et les cadres moyens, de même que parmi les ouvriers - mais dans cette dernière catégorie, Le Pen est arrivé en premier avec 26% - de loin son plus haut score de toutes les catégories (Le Pen a recueilli 10,5% des suffrages nationaux).

En repoussant la puissante attaque du candidat centriste François Bayrou, qui a recueilli 18,5%, Ségolène Royal a fait mieux que ce que ses rivaux socialistes mécontents attendaient et, en particulier, mieux que le candidat du Parti Socialiste en 2002, Lionel Jospin, dont la misérable performance fut responsable de l'arrivée inattendue de Le Pen au second tour. Le score de Ségolène a été à peu près égal à celui de François Mitterrand au premier tour de 1981, qui l'a conduit à la victoire. Mais en 1981, Mitterrand pouvait compter sur une réserve importante de voix de gauche pour le second tour, en particulier celles du Parti Communiste.

Cette fois-ci, le vote de l'extrême gauche s'est effondré. Son électorat, effrayé par le précédent de 2002, a choisi de voter "utile" pour Ségolène au premier tour. Donc, bien que tous les petits candidats de gauche aient apporté leur soutien à Ségo - y compris la vieille routière trotskiste, Arlette Laguiller, qui, dans le passé, a toujours refusé de choisir entre "blanc bonnet et bonnet blanc" - leurs voix n'ajoutent qu'environ 11% à la candidate socialiste.

Evidemment, les deux candidats vont à présent essayer de courtiser les électeurs de Bayrou. Les sondages indiquent que Sarkozy a l'avantage. Après avoir fait une campagne très à droite dans les derniers jours qui ont précédé le premier tour, pour gagner les voix du Front National, il a instantanément basculé sa ligne vers la gauche pour pêcher dans les eaux de Bayrou. Le discours de Sarkozy, lors de la soirée électorale de dimanche, sonnait comme s'il avait été écrit pour Ségolène - se préoccupant beaucoup des gens, quels qu'ils soient.

Aujourd'hui, la nouvelle sans surprise est tombée, selon laquelle Silvio Berlusconi a donné son soutien à Sarkozy. Eric Besson, le socialiste à veste réversible qui a abandonné Ségolène en plein milieu de la campagne pour rejoindre Sarko, complété avec un livre qui descend Royal en flammes, est désormais le porte-parole de Sarko pour son "aile gauche". Il a démarré la campagne de second tour par un discours dans lequel il s'est exclamé "Forza Sarko !" L'idée d'une France dirigée par son propre "Berlusconi" est, pour beaucoup, une perspective vraiment horrible.

En tout cas, Boris Eltsine n'a pas vécu assez longtemps pour ajouter sa voix à la campagne électorale française en faveur "d'un traitement de choc pour réformer".

Traduit de l'anglais (États-Unis) par [JFG-QuestionsCritiques]