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"Tout le monde voulait en être"

Le courtier en reins et les rabbins qui blanchissaient l’argent sale

Par Saul Landau
CounterPunch, le 7 août 2009

article original"The Kidney Broker and the Money Laundering Rabbis "


L'arrestation du Rabbin Eliyahu Ben-Haïm (photo : DR, Jpost)

Lorsque j’ai lu cet article du 21 juillet sur l’arrestation de cinq rabbins orthodoxes de New York et du New Jersey, en compagnie d’une quantité de fonctionnaires du New Jersey, cela m’a fait penser à mon cousin Harry. A l’instar de Harry, une personne soignée, au visage rasé de près et laïc, ces dirigeants religieux, portant une longue barbe, un costume noir, et accompagnés d’un cercle de politiciens, étaient devenus des escrocs professionnels. Ils s’étaient engagés dans le blanchiment d’argent à grande échelle et les opérations illégales de commerce d’organes, en plus de la vente de faux sacs Gucci et Prada et toutes sortes de contrefaçons. Ce réseau de haute volée opérait avec des rabbins de Brooklyn et du New Jersey, qui blanchissaient des dizaines de millions de dollars par l’intermédiaire d’œuvres caritatives qu’ils contrôlaient.

Parmi les personnes arrêtées se trouvaient les maires de Hoboken, de Secaucus et de Ridgefield, deux législateurs d’Etat, le président du conseil municipal de Jersey City et son premier adjoint. Les rabbins faisaient parvenir une partie de leurs gains mal acquis à des yeshivas israéliennes, liées au « merveilleux » Parti Orthodoxe Shas et à son rabbin en chef Ovadia Yosef.

Les fonctionnaires fédéraux ont également découvert qu’une partie de l’argent recyclé par ces soi-disant piliers de la loi et de la morale juives provenait de la vente de reins humains par un Juif orthodoxe de Brooklyn nommé Levi Izhak Rosenbaum.

Ces pots-de-vin versés aux politiciens, ce trafic d’organes et ces rabbins qui blanchissaient cet argent illicite – censé soutenir leurs familles ultra orthodoxes en Israël – proposaient de nouvelles interprétations de la logique talmudique. Dans ce récit embrouillé, le principal suspect de blanchiment d’argent en Israël, le bon pote du Rabbin Eliyahu Ben-Haïm à New York, le Rabbin David Yosef, est également le fils du chef du Parti Shas, Ovadia Josef. Ces [malfaiteurs] faisaient partie d’un centre d’études talmudiques avancées à Jérusalem, dirigé par la famille d’Ovadia Yosef. Ben-Haïm avait obtenu de riches Juifs à New York qu’ils soutiennent financièrement cet institut. A cause du scandale, le journaliste de Haaretz, Zvi Zrahiya, a conclu : « on s’attend à ce que ces dons cessent ». Il rapporte également que des banques qui n’ont pas été nommées étaient apparemment également impliquées dans ce scandale. (Haaretz, le 26/07/2009) Choquant !

Quand j’étais encore un jeune garçon, j’accompagnais mon grand-père aux services interminables du samedi de sa synagogue orthodoxe de l’Est du Bronx. Après des heures de chuchotements en hébreux, les hommes en châles de prières et en kippas se retiraient vers une table couverte de génoises et de gâteaux au miel, ainsi que de verres à liqueur remplis de whiskey. Au cours de ces agapes, l’un des collègues de prière de mon grand-père m’offrait inévitablement un verre et observait, avec les autres, comment un garçonnet de sept ans imitait ses pieux aînés. J’avais la tête qui tournait pendant des heures tandis que les aînés riaient bêtement en disant : « Le petit morveux est saoul ».

Grand-père me présenta également à quelques rabbins aux longues barbes et à l’air très pieu, habillés du noir traditionnel et portant kippas ou chapeaux noirs. Juste quelques années plus tard, au début des années 50, quelques-unes de ces autorités en matière de loi et de morale juives découvrirent leurs noms dans les journaux new-yorkais. Ils étaient accusés de posséder des taudis à Harlem et de refuser de fournir du chauffage en hiver, de faire les réparations de base ou d’appeler la dératisation dans les appartements pleins de rats et de cafards dont ils étaient propriétaires.

En effet, de tels scandales sortent régulièrement à propos de l’hypocrisie des prêtres fondamentalistes de la foi juive, comme les appelle la grand-mère méthodiste de ma femme, qui est du Texas. Mais la famille a poussé des grands cris lorsque mon cousin Harry s’est fait serrer en Floride dans une affaire scabreuse de fraude et est allé en prison. « Comment un bon garçon juif peut-il faire une chose aussi terrible ? »

Aux funérailles de mon grand-père, j’ai reconnu l’un de ces propriétaires de taudis, qui était également un de ses amis rabbins, et j’ai demandé à ma grand-mère comment un homme aussi religieux pouvait avoir refusé de fournir du chauffage à de pauvres familles noires et d’appeler les services de dératisation pour chasser les rats et les cafards. Elle a haussé les épaules d’indifférence.

« Ils ne sont pas des nôtres », a dit ma grand-mère en yiddish.

En octobre 1964, une nouvelle histoire est sortie. Des manifestants juifs ont installé un piquet de grève devant les bureaux du Conseil new-yorkais des rabbins pour protester contre les propriétaires juifs de taudis. La plupart des manifestants – des adolescents et des jeunes adultes – affirmaient qu’une liste de propriétaires de taudis de New York, qui avait été publiée, contenait une proportion importante de noms juifs ; et ils avaient rédigé une pétition à l’attention des « rabbins de New York pour qu’ils chassent les propriétaires de taudis de leurs congrégations, les menacent de les dénoncer en chaire et même de les excommunier s’ils ne réparaient pas et n’entretenaient pas leurs propriétés. » Plus de 250 propriétaires juifs possédaient plus de 500 immeubles de taudis, rien qu’à Manhattan.

Les manifestants essayèrent de rencontrer le chef Rabbin Harold Gordon, mais celui-ci refusa de les rencontrer. Au piquet de grève, ils distribuaient des tracts accusateurs, disant que « la plupart des 600 immeubles du
Lower East Side, dont les locataires se sont plaints au ‘services d’hygiène’ et aux comités de ‘locataires’, ont des propriétaires juifs » et que « 74 des 80 immeubles du Lower East Side touchés par la grève des loyers ont des propriétaires juifs. »

Un rabbin conservateur a raconté au journaliste de Village Voice - refusant de donner son nom ou celui de sa congrégation – que le piquet de grève « était plus exotique que réel. » Interrogé sur ce que les rabbins avaient fait, il a répondu : « Ils ont fait ce qu’ils pouvaient. » A la même question posée une nouvelle fois avec insistance, il a répondu : « Spécifiquement, je n’en sais rien. » (Stephanie Gervis Harrington, Village Voice, 7 mai 1964)

Quarante-cinq ans plus tard, un autre scandale impliquant des rabbins et des pratiques d’affaires douteuses ont amené ce commentaire de la part d’un de mes cousins. « Au moins, ils ne font pas d’essais sur les petits garçons pour les hémorroïdes et les hernies comme le font les prêtres catholiques. »

Tout au long des siècles, les rabbins, comme les prêtres et les ministres du culte protestant, se sont engagés à profusion dans des polissonneries sexuelles, ainsi que dans le vol à l’ancienne. Souvent, ils essayent de couvrir leurs méfaits de faux-semblants de zèle religieux – en gardant ouvertes à Jérusalem ces yeshivas assoiffées d’argent ou en finançant d’autres œuvres caritatives. Mais le bouclier invisible de l’éthique n’a pas protégé ces prétendus hommes pieux, qui se sont engagés dans le crime flagrant.

Voici ce qu’à déclaré un procureur du New Jersey : « Il semblait que tout le monde voulait prendre part à l’action. La corruption était généralisée et envahissante. » Les politiciens ont vendu leurs services aux rabbins qui « masquaient leur activité criminelle de grande envergure derrière une façade de rectitude. »

L’argent blanchi provenait d’Israël, passait par des banques suisses et atterrissait ensuite au New Jersey. Les goniffs achetaient des reins, en Israël, à des « personnes vulnérables » pour 10.000 dollars et, ensuite, les acheminaient vers leurs associés rabbiniques qui les revendaient 160.000 dollars aux Etats-Unis. (Associated Press, 25 juillet 2009).

Comme mon cousin Harry, Levy Izahk Rosenbaum, de Brooklyn, se considérait comme un « intermédiaire ». Dans une conversation enregistrée en secret, Rosenbaum se vantait de faire correspondre donneurs de reins avec ceux qui les recevaient. « Je fais venir un type qui, je le pense, est compatible pour ton oncle. » Rosenbaum, un Juif orthodoxe de Brooklyn, âgé de 58 ans, ressemble à Tony Soprano, qui travaillait dans le « traitement déchets ». Rosenbaum affirmait qu’il était en « construction ». Des criminels qui mènent des vies traditionnelles !

Contrairement au shotchen (mot Yiddish signifiant intermédiaire en mariages), Rosenbaum faisait la promotion de transplantations illégales de reins, pas la promotion de mariages, ainsi qu’il l’a expliqué à un indic et à un agent du FBI (se faisant passer pour la secrétaire de l’indic). Cet agent prétendait avoir un oncle sous dialyse, sur une liste d’attente de transplantation dans un hôpital de Philadelphie. Mais la pénurie de reins pourrait lui coûter la vie. Selon le Réseau Uni pour les Dons d’organes, 4.540 personnes sont mortes l’année dernière aux Etats-Unis en attente d’un rein. D’où le marché noir des reins !

En 2002, Nancy Scheper-Hughes, de Berkeley (Université de Californie), avait alerté le FBI sur le fait que Rosenbaum était un intermédiaire pour un gang international de trafic de reins. Il se servait de villageois moldaves comme donneurs. Il leur promettait des emplois aux Etats-Unis, puis les contraignait à « donner » leurs reins à des receveurs qui se faisaient passer pour des membres de sa famille, et il les menaçait avec un pistolet s’ils résistaient. Rosenbaum montrait un vrai pistolet, puis pointait son index et son majeur sur la tête des donneurs réticents. (Somatosphere : Science, Medicine and Anthropology. 27 juillet 2009, http://www.somatosphere.net/)

Certains transplantés utilisant les donneurs de Rosenbaum étaient opérés à l’Hôpital du Mont Sinaï à New York. Dans des enregistrements secrets effectués par le FBI, Rosenbaum dit qu’il devait distribuer généreusement de l’argent aux docteurs israéliens, aux arrangeurs de visas et à ceux qui s’occupaient des donneurs d’organes aux Etats-Unis. « L’une des raisons pour laquelle c’est aussi cher est parce que vous devez shmear (payer les autres) tout le temps », aurait-il dit. (AP, 25 juillet 2009)

Comme le cousin Harry, Rosenbaum fanfaronnait : “Jusqu’à présent, ne n’ai jamais eu d’échec. »

Harry se rendait les jours saints à la synagogue et priait. Rosenbaum s’y rendait plus souvent. Les rabbins priaient quotidiennement. Nulle part dans les textes sacrés aucun d’eux n’a trouvé cette citation : « La religion est faite pour s’enrichir, peu importe comment, et l’on peut se servir de Dieu pour se couvrir. » Ou : « C’est OK de commettre des crimes pour aider les yeshivas israéliennes. »

Saul Landau est vice-président du conseil d’administration de l'institut aux Etudes Politiques (Institute for Policy Studies)

Traduit de l'anglais (US) [JFG-QuestionsCritiques]