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La Constitution, les Médias et Kucinich

Les marionnettistes

Par Sean Penn
CounterPunch, le 7 décembre 2007

article original :"Piano Wire Puppeteers"

Ce fut une étrange semaine. Pour moi, elle a été particulièrement étrange. Mais c'est une autre histoire. Dites-donc ! L'Iran N'A PAS de capacité nucléaire militaire ??? Alors, allons-nous les bombarder ? Je veux bombarder quelqu'un !

La sénatrice [Hillary] Clinton n'a-t-elle pas essentiellement voté pour donner au Président Bush le pouvoir de bombarder l'Iran ? S'il l'avait fait la semaine dernière, cela lui aurait-il donné raison ? Je veux dire, si elle savait alors ce qu'elle sait maintenant ? Ou ai-je compris à l'envers ? Ça alors, je m'embrouille !

Et que penser du Président Bush ? Cette semaine, M. Bush a dit de Vladimir Poutine qu'il l'a "regardé droit dans les yeux et trouvé qu'il était très droit et digne de confiance". Il a été plus ou moins "capable de ressentir son âme". Eh bien ! Ce type mélancolique vient juste de réussir à fusionner en Russie la base de pouvoir la plus dangereuse depuis la Guerre Froide, au milieu de rumeurs qui incluent des accusations selon lesquelles il a ordonné des assassinats de journalistes et emprisonné des défenseurs célèbres de la liberté (oh là là !).

Pendant ce temps, le grand ennemi de notre président au Venezuela, Hugo Chavez, ce "totalitaire", cet "autoritaire", ce dictateur", ce "fou pris de folie furieuse", semble bien avoir échoué à réformer la constitution qui lui aurait permis de se faire réélire plusieurs fois à vie… Hein ?

Drôle de semaine, non ?

Qu'est-il arrivé à la "brutalité" de Chavez ? A sa "corruption électorale" ? A son prétendu "bâillonnement de la presse" ? Comment a-t-il bien pu perdre ? Excusez-moi, ai-je raté quelque chose ?

Comment se fait-il que de "salaud de Coco", avec 80% de ses citoyens qui l'ont élu en premier lieu n'a pas réussi à les persuader ? Se pourrait-il qu'on nous ait menti à son sujet ? Je veux dire, Pat Robertson [NdT : Télévangéliste américain de premier plan] n'est pas un menteur, pas vrai ? Son Dieu ne permettrait pas que cela arrive, n'est-ce pas ? Et que Dieu nous en préserve, il ne laisserait les experts de droite, les collectifs de gauche ou notre propre gouvernement nous tromper !?

Est-ce possible, je sais que c'est idiot, mais est-il simplement possible que le Président Chavez soit en fait un défenseur de la Constitution de son peuple ? C'est ainsi que son référendum a pu échouer ? Et c'est pourquoi il l'a accepté de bonne grâce ? Une constitution que j'ai lue à plusieurs reprises. Plutôt un très beau document, pas très différent de la nôtre. Vous pourriez la lire. Oh ! J'allais oublier - c'est un "pourvoyeur de drogue".

Permettez-moi de partager quelque chose avec vous. Une fois, tard dans la nuit à Caracas, j'ai rencontré deux types. Je crois qu'on les appelle des mercenaires. Non d'un chien ! Je l'ai encore dit. Je veux dire des "contractants". C'étaient des Britanniques. Leur spécialité : l'interdiction de la drogue. Ces deux-là n'étaient pas de grands fans de Chavez. Ils disaient de lui que c'est un "radical" et ils espéraient qu'il tombe dans l'année sous les balles d'un assassin. Qu'ils l'aiment ou pas, Chavez leur a donné assez de cash pour qu'ils acceptent cet emploi. Et, travaillant aux côtés de l'armée vénézuélienne, ces deux-là, basés à Caracas, ont arpenté la frontière de montagne et de jungle entre la Colombie et le Venezuela. Une zone où règnent les milices paramilitaires, les guérillas FARC et les merc… pardon, contractants. Ce que j'ai appris ce soir-là par ces deux "marionnettistes" était qu'ils n'avaient jamais travaillé pour un gouvernement dont l'investissement dans la lutte contre la drogue était aussi sincère. "Ouais !" a dit l'un des rosbifs, "je dois accorder ça à ce salaud de Chavez".

Mais je parlais de la Constitution. Et qui plus est, de la nôtre. Et quelle drôle de semaine ça a été ! Notre culture est incrustée d'une tradition qui brouille la ligne entre ce qui est bien, ce qui est juste et ce qui est constitutionnel avec ce qui est une escroquerie. Cette tradition est le culte de la personnalité. Ce que la télé peut vendre est la sorte de merde que nous achetons. Et jusqu'à quel point achetons-nous et vendons-nous nos droits, notre fierté, notre drapeau, nos enfants et succombons-nous aux slogans incompréhensibles qui ne sont en fin de compte que des titres pour l'anti-américanisme ? Comment savons-nous ce qui est américain et ce qui ne l'est pas ? Parce que John Wayne nous le dit ? Parce que Sean Penn nous le dit ? Susan Sarandon ? Bill O'Reilly ? Michael Moore ? Le Sénateur Fouettard ? Ou le Sénateur Trou-du-cul ? Ann Coulter "la facho" ? Non. C'est notre Constitution. Nous ne nous en servons pas juste pour gagner. Nous dépendons d'elle parce que c'est le seul "nous" qui vaille la peine. Et parce que c'est l'héritage de nos enfants, qui vient de nos aïeux, et ce sont les traditions qui parlent vraiment pour notre pays.

Alors, je vous pose une question : Nous avons l'Iowa qui arrive [NDT : le Caucus Démocrate dans la course à l'investiture], nous avons le New Hampshire qui le talonne. Allons-nous les utiliser pour gagner les élections ? Si Hitler était le seul candidat, voter pour lui serait-il le plus américain ? Montez à bord d'un avion avec moi. Bon ! Nous sommes à présent au-dessus du Moyen-Orient… Atterrissons ! Prenez votre souffle !

Imaginez les corps brûlés et mutilés, les sons commotionnant des coups de feu et des explosifs définissant les derniers instants horrifiant des mourants et des morts. Imaginez les millions de réfugiés qui s'enfuient à travers les déserts de l'Irak, les bébés qui pleurent et la puanteur de la mort qui flotte dans l'air. Beurk ! Remontons dans l'avion et rentrons à la maison !

Maintenant, imaginez les soldats américains morts ou brisés, rentrant d'une armée détraquée dans un cercueil silencieux ou vers une administration d'anciens combattants brisés, vers des vies brisées, des épouses brisées, des maris silencieux et des enfants anéantis. Et pour quoi ? Qu'avons-nous gagné ?

Le recrutement d'al-Qaïda augmente. Le terrorisme augmente. La qualité de vie baisse dans notre pays et dans le monde entier. Pendant ce temps, les riches continuent d'être encore plus riches et les pauvres, encore plus pauvres et plus nombreux. Et, au bord de la récession, nous assistons au démembrement dramatique de la classe moyenne au milieu d'une inondation de faillites et de dettes non-remboursables. Pour le délice infini d'Oussama ben Laden, nous sommes devenus un pays de casseurs de principes. Nous ne les portons plus.

Nous sommes des tortionnaires et, trop souvent, nous n'emprisonnons que les faibles. Lorsque notre propre gouvernement choisit son agenda non-américain déconcertant (Pour les personnes autorisées ? Par les personnes autorisées ?) sur le dos de la Constitution en définissant les valeurs, les principes et les lois américaines, Ben Laden se marre devant les brebis affaiblies que nous et nos représentants sommes devenus.

Crimes et délits ? Et que dire de la trahison flagrante qui a livré le nom de nos propres agents de la CIA ? Que dire de la trahison à grande échelle pour ceux qui soutiennent cette administration par la propagande médiatique ?

Bien que je ne sois pas partisan de la peine de mort, les lois existantes préconisent que les Cheney, Bush, Rumsfeld, Rice et consorts, s'ils sont déclarés coupables, pourraient avoir des cagoules placées sur leurs têtes, leurs mains attachées, et faire face à un peloton d'exécution de 12 hommes armés de fusils qui les mettraient à mort. Et notre Chambre des Représentants et notre Sénat, lâches, à majorité Démocrate peuvent à peine trouver une voix prête à proposer ne serait-ce qu'une mise en accusation [Impeachment]. Cette unique voix d'un véritable Américain. Cette unique voix du Député Dennis Kucinich.

Ce n'est pas du bla-bla. Pas si je peux y contribuer. Je suis déchiré. Je suis déchiré entre ce qui est communément admis, ce que l'on nous dit sans cesse est l'éligibilité, et l'idéalisme qui peut répondre aux défis de notre génération. Des Démocrates qui concourent pour l'investiture, seule la candidature du député Dennis Kucinich est justifiée par un nombre record de votes moralement courageux et par un passé au service de notre pays. Elle a gagné totalement notre soutien et notre gratitude. Et lorsque je dis soutien, je ne parle pas des seuls Démocrates, mais plutôt de tous les Américains, s'ils prenaient le temps, au nom de leurs enfants, de notre planète et de nos soldats, de s'informer sur le programme de Kucinich.

Lors du récent débat entre les Démocrates, à Las Vegas, les candidats, les uns après les autres, ont placé la sécurité avant les droits de l'homme. Autrefois, Benjamin Franklin a déclaré : "Toute société qui abandonnerait un peu de liberté pour gagner un peu de sécurité ne méritera ni l'un ni l'autre et perdra les deux". Ensuite, il y a eu ce bon vieux Patrick Henry [NdT : un personnage éminent de la Révolution Américaine]. Vous souvenez-vous de lui ? "Donnez-moi la liberté ou donnez-moi la mort". C'étaient les vrais mecs purs et durs. Les vrais John Wayne.

Ce sont ces traditions que nous devrions servir. J'ai trouvé ce débat exaspérant, presque un argument en faveur du fascisme, avec quelques exceptions. Parmi elles et en premier : Dennis Kucinich. Bien sûr, en tant que politicienne stratégique, Mme Clinton a sorti ses couteaux Ginzu et, une fois encore, a dominé sur la stratégie politique centriste. En repoussant les attaques contre elles, celle qui fait la course en tête [NdT : qui faisait la course en tête ?] a rappelé à l'auditoire et à ses camarades candidats : "Nous sommes tous des Démocrates".

Wolf Blitzer a demandé à chacun des candidats s'ils soutiendraient l'autre au cas où ils ne seraient pas choisis. L'un après l'autre, la réponse a fusé : Oui. A une exception : Dennis Kucinich, qui, dans le temps minimal qui lui a été imparti, s'est une fois de plus élevé au-dessus de la langue de bois et placé les principes avant le parti ; il a fourni des arguments politiques en lieu et place de la politesse. Il a été la voix dominante de l'intégrité sur les questions de commerce, de travail, d'éducation, d'environnement, de santé, de libertés civiques et la seule voix de paix déterminée à aller jusqu'au bout.

Mais, est-il trop petit ? Est-ce que sa coupe de cheveux n'est pas séduisante ? N'est-il pas assez loyal envers une plate-forme démocrate lâche ? N'appelle-t-il pas au culte de la personnalité ? Et si jamais la réponse était oui ? Que se passerait-il si Dennis Kucinich, le candidat le plus méritant et le plus noble, celui qui a le plus d'expérience sur les questions politiques et qui est le moins enclin à jouer dans la politique du pouvoir personnel ? Que se passera-t-il si nous ne pouvons pas élire un homme simplement sur la base des meilleures idées, du plus grand courage et du service le plus désintéressé ? Qu'est-ce que cela dit sur notre pays lorsque nous ne pouvons rassembler les voix du bien commun pour soutenir un homme, comme nos troupes, qui mourrait pour nous, qui mourrait pour notre Constitution ? Celui qui, lorsqu'il était Maire de Cleveland, à 31 ans, s'est dressé face aux contrats contre sa vie. Trois assassins séparés dont l'intention était de le tuer alors qu'il défendait là-bas ceux qui l'avaient élu.

Néanmoins, il est toujours là. Il continue de servir.

Je suis un supporter de Dennis Kucinich depuis plusieurs années. Et, ces derniers temps, je suis déchiré. Ce sont les attraits de "l'éligibilité" qui me déchirent. J'ai commencé à investir quelque soutien dans un homme bon (l'un des adversaires de Dennis) qui semble se retrouver comme un défenseur de la Constitution, mais il n'en est pas encore un. Toutefois, il fait partie de ceux que nous permettons aux médias de distinguer comme éligible. Mais, ici, nous parlons de la Constitution. Nous parlons de notre pays. J'ai décidé de ne pas participer à un soutien dynamique sur la base des distinctions que font les médias. J'ai choisi d'offrir mon soutien au représentant le plus fort, le plus singulier et le plus avéré de notre mandat constitutionnel.

Dennis Kucinich nous offre une occasion toute singulière, alors que nous partageons cet instant sur la terre. Nous, le peuple. C'est à nous de déterminer qui est éligible. Et voici à quel point cela est simple : Si nous, ceux d'entre nous qui croyons sincèrement dans la Constitution des Etats-Unis d'Amérique, nous tous, votions pour Kucinich, alors, il serait élu. Pourrions-nous alors dire de lui qu'il est éligible ? Si c'était le cas, l'Amérique serait plus grande que jamais.

Rappelons à nos amis des cercles sociaux de New York et des principales villes intellectuelles et riches qui veulent gagner et qui soutiennent Mme Clinton, que celle-ci n'est pas Bill Clinton. De tous les doutes que j'ai sur notre ancien président, il a fait campagne tant pour ses amis que pour l'opposition, son grand don en tant que moteur de l'intérêt et de l'activisme, de l'autodidactisme et de la participation a été un don unique. Mais ne sous-estimez pas les agendas personnels, ceux qui ont initié l'ALENA, trahi les réfugiés haïtiens et les droits des homosexuels dans l'armée, à la minute même de sa propre élection ! Ne sous-estimez pas sa part lorsqu'il donne à sa femme le visage de son talent ! Ne sous-estimez pas les dommages que son ambition venimeuse peut faire à ce pays. Nous ne pouvons pas attendre rétrospectivement de servir les bénéfices de la carrière de Mme Clinton.

Encourageons les femmes et les hommes de vision, d'intégrité, de croyance en nos principes. Comme cela serait excitant ! Comme cela ferait du bien à la télévision ! Imaginez que vous regardez à la télévision, notre pays faisant campagne pour un leader parce qu'il représente la Constitution.

Oui, de bonnes choses peuvent être de la bonne télé.

Alors, relisons la Constitution ! Et décidons ensuite quel serait son meilleur défenseur ! Je suggère que les Républicains, les Indépendants et les Démocrates, tous ensemble, cherchent au fond de leur cœur et de leurs esprits ce qu'ils savent être vraiment bien.

Le dernier film de Sean Penn est Into the Wild [En Pleine Nature].


Traduit de l'anglais (États-Unis) par [JFG-QuestionsCritiques]