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Il faudra bien passer à la caisse pour les manquements à affronter crise

Par Hossein Askari et Noureddine Krichene
AsiaTimesOnline, 15 août 2009

article original : "The bill will fall due for crisis failures"

Pour certains, ces deux dernières années ont duré une éternité – faillite, perte de leur allocation retraite, perte de l’épargne de toute une vie, perte de leur maison, plus de travail et pire. Pour quelques autres – essentiellement des banquiers et des financiers – ce fut une période de profil bas, et puis, retour aux affaires comme d’hab., avec des bonis encore plus gros pour rattraper le temps perdu.

Cela fait maintenant deux ans, depuis août 2007, qu’a commencé cette crise financière – unanimement considérée comme la pire depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale – et il est temps de faire le point.

Le débat sur les causes profondes de cette crise se poursuivra pendant des années et n’apportera aucune réponse définitive. Mais la politique monétaire expansionniste de la FED, entre 2001 et 2007, ainsi que l’idéologie de dérégulation défendue par le Trésor américain pendant plus d’une décennie, ont été les ingrédients requis à sa création.

Le système financier a peut-être été sauvé, mais seulement après que des trillions de dollars ont été jetés par les fénêtres. Certaines personnes considèrent cette politique comme est une « réussite » ; d’autres peuvent tout aussi bien étiqueter l’ensemble de ce cycle – les échecs politiques qui ont conduit à cette crise et les mesures prises pour sauver le système financier – de politique d’échec extraordinaire sans égal dans l’histoire.

L’histoire économique a montré que le système du crédit est en lui-même instable et qu’il traverse des crises endogènes et périodiques. Les banques émettent la dette – ou la monnaie – et, ensemble, elles multiplient cet argent au moyen de prêts, que l’on appelle communément dans le système bancaire « la création de monnaie ». La FED a été conçue en 1913 en tant qu’agence du gouvernement pour contrôler le système du crédit et éviter les expansions et les contractions majeures du crédit. Toutefois, si la FED elle-même devient la force déstabilisatrice conduisant à une formidable expansion du crédit, alors, ce système est voué à l’échec.

Pour maintenir les taux d’intérêt à 1% entre 2003 et 2005, la FED a dû injecter autant de liquidités que nécessaire pour éviter une hausse des taux d’intérêt au-dessus du niveau cible, peu importe le volume ou la solvabilité de l’expansion du crédit induit par de faibles taux d’intérêt. Par conséquent, les liquidités sont allées essentiellement vers le marché des subprime [les crédits hypothécaires accordés à des gens insuffisamment solvables] avec la forte probabilité qu’un krach s’ensuive. L’évolution de la crise actuelle n’est que le témoignage du coût spectaculaire d’une politique monétaire hautement expansionniste sur une longue période.

Lorsque les maisons, les voitures, les appareils électroménagers et les autres biens et services deviennent virtuellement gratuits (parce que financés par des taux d’intérêt réels égaux à zéro ou négatifs), il est certain qu'un boom économique se produise. C’est pourquoi, les Etats-Unis et les autres principaux pays industriels ont bénéficié, entre 2001 et 2007, d’une croissance économique élevée et d’un quasi-plein emploi, tirés par une demande et un crédit en augmentation rapide, soutenus par d’importants déficits budgétaires.

Toutefois, lors d’expansions aussi rapides, la demande dépasse l’offre, les investissements sont supérieurs à l’épargne et la spéculation s’intensifie. Les revenus et les prix (des logements, des matières premières, des biens et des services) montent. De telles augmentations des prix renforcent les profits et alimentent en retour une plus grande demande de crédit. L’expansion du crédit, à son tour, peut créer d’immenses distorsions dans la structure des prix et de la production. La récente bulle de l’immobilier d’habitation a fourni un exemple de distorsion de prix, provoquée par une politique de crédit bon marché. De façon similaire, la très grosse activité de construction de maisons et de bureaux a donné un exemple de surinvestissement, basé sur la demande qui a été créée par le crédit bon marché et les prix spéculatifs.

Cependant, un boom économique qui est alimenté par l’expansion rapide du crédit est invariablement de courte durée et est suivi par des désordres financiers et une récession économique. Par exemple, les Etats-Unis ont connu, entre 1926 et 1929, un boom économique qui a été suivi par la Grande Dépression. Les pertes durant la Grande Dépression furent immenses et les Etats-Unis ne retrouvèrent pas avant 1939 leur niveau de revenu réel de 1929. Le cycle 1926-1939 peut difficilement être appelé une réussite politique.

La structure des prix et des salaires qui émane d’un boom du crédit conduit invariablement à une structure déformée des prix. Un grand nombre de secteurs clés planifient leur expansion et leur capacité de production en se basant sur une demande qui est soutenue par des crédits bon marché et non pas sur une demande soutenue par les revenus. C’est pourquoi les producteurs surinvestissent.

Lorsque la demande financée par le crédit bon marché s’effondre, le revenu des consommateurs se contracte, les producteurs découvrent que leurs prix élevés ne peuvent plus être validés et ils se retrouvent ensevelis sous les coûts fixes dus à leurs investissements excessifs. Ce que l’on appelle l’effet accélérateur/multiplicateur discuté dans les manuels d’économie joue l’inverse du rôle qu’il jouait dans la phase d’expansion et provoque la récession économique.

Dans ce processus, certains consommateurs bénéficient de ressources et d’une consommation qui excèdent de loin leurs revenus et qui sont financées par le crédit aux dépens de ceux qui paieront la note par une augmentation des prélèvements fiscaux. Bref, ils ne peuvent tout simplement pas rembourser leur dette et le coût des plans de sauvetage est supporté par les contribuables.

Parmi les universitaires, les médias et les décideurs politiques, les partisans d’une politique d’argent bon marché se désintéressent complètement des distorsions des prix, provoquées par un boom du crédit. Par exemple, des universitaires de premier plan ont accusé la Chine et l’Inde de l’emballement du cours du pétrole et du prix des denrées alimentaires entre 2001 et 2008, sous-entendant que si les Chinois et les Indiens roulaient à bicyclette, comme ils le faisaient dans le passé, le prix du pétrole baisserait. Ils refusaient de voir le lien entre la spéculation, une demande basée sur le crédit et le cours des matières premières.

La politique de l’argent bon marché a permis à Madoff et à la finance pyramidale de prospérer. Une telle forme de finance devient prospère dans la phase ascendante du boom du crédit, lorsque le cours des actions connaît une bulle. L’augmentation des profits fait monter le cours des actions. Bernard Madoff a pu vanter sa réussite et distribuer de généreux dividendes tout en escroquant des milliards de dollars aux investisseurs. Cependant, la contraction économique a montré que l’empereur était nu. Tandis que Madoff, à 71 ans, a écopé d’une condamnation à 150 années de prison, les décideurs politiques qui ont fourni une liquidité abondante et l’environnement propice à la spéculation n’ont fait l’objet de pratiquement aucun reproche pour lui avoir fourni le carburant.

Les erreurs fatales de Bernanke

La réponse de Bernanke à la crise, en août 2007, peut rétrospectivement s’avérer désastreuse pour les Etats-Unis et l’économie mondiale. Il a rapidement monté ce qu’il a appelé « une politique monétaire agressive », en réduisant de façon importante les taux d’intérêt et, conjointement avec les autres principales banques centrales, en injectant des liquidités massives entre les mains des spéculateurs. Une telle réponse à une crise financière en re-augmentant la circulation monétaire a été critiquée par des économistes de premier plan. Le célèbre économiste européen Friedrich Hayek écrivait en 1932 :

« Si la déflation n’est pas la cause mais un effet de la non profitabilité de l’industrie, alors il est certainement vain d’espérer retrouver la prospérité perdue en inversant le processus déflationniste. Loin de suivre une politique déflationniste, les banques centrales, en particulier aux Etats-Unis, ont pris des initiatives précoces et considérables, comme jamais auparavant, pour combattre la dépression économique par une politique d’expansion du crédit – avec pour résultat que la crise a duré plus longtemps et qu’elle est devenue plus sévère que toutes celles qui lui ont précédé.

« Ce dont nous avons besoin est d’un réajustement de ces éléments dans la structure de la production et des prix qui existait avant que la déflation ne commence, laquelle ne permet pas aux emprunts contractés par l’industrie d’être profitables. Mais, au lieu de poursuivre la liquidation des inadaptations produites par l’essor économique durant les trois dernières années, tous les moyens concevables ont été utilisés pour empêcher ce réajustement d’avoir lieu ; et l’un de ces moyens, qui a été constamment essayé sans succès, du tout premier au tout dernier stade de la crise, a été la politique délibérée d’expansion du crédit. Pire : alors que les avantages d’un tel remède sont incertains, les nouveaux dangers qu’il crée sont immenses.

« Combattre cette crise par une expansion forcée du crédit revient à essayer de soigner le mal au moyen de ce qui l’a provoqué ; parce que nous souffrons d’une mauvaise orientation de la production, nous voulons pousser plus loin cette mauvaise orientation – une procédure qui ne peut que conduire à une crise plus grave dès que l’expansion du crédit prendra fin. »

Contrairement à la politique monétaire restrictive proposée par Hayek et à son approche du marché, telles que décrites ci-dessus, Bernanke et ses partisans se sont efforcés de protéger les débiteurs et d’empêcher un ajustement du prix des habitations, de même que les prix dans les autres secteurs qui ont connu un boom basé sur une demande alimentée par le crédit bon marché.

Les spéculateurs étaient désormais certains que l’on ne reviendrait pas sur la politique de l’argent bon marché et que les taux d’intérêt seraient maintenus à des niveaux extrêmement bas pendant de nombreuses années à venir. Ils pouvaient donc encaisser d’énormes gains en spéculant sur les devises et les matières premières. Pour ce faire il leur suffisait de se baser sur les remèdes politiques décidés par les principales banques centrales. La spéculation sur les matières premières s’est intensifiée, alors que les liquidités étaient pléthoriques et que les taux d’intérêt sont devenus extrêmement bas. Le prix des denrées alimentaires est monté en flèche, à des niveaux qui ont nécessité un sommet alimentaire en Italie. Le prix du pétrole a bondi jusqu’à 147 dollars le baril en juillet 2008 et a nécessité un sommet mondial sur le pétrole à Djedda.

Le Président George W. Bush s’est rendu en Arabie Saoudite pour quémander plus de pétrole. Le Congrès des Etats-Unis était remonté contre les producteurs de pétrole et les a menacés de mesures punitives. Les directeurs des compagnies pétrolières ont été convoqués et accusés d’être responsables des prix du pétrole élevés. Tandis que les gouvernements et le public étaient en plein désarroi, Bernanke était immunisé contre toute accusation en pointant un doigt accusateur en direction des pays producteurs de pétrole et des pays émergents comme étant les seuls coupables de l’inflation des matières premières ; tout cela, alors que c’était la politique monétaire laxiste qui avait alimenté l’inflation des matières premières et l’instabilité des taux de change, avec les conséquences négatives que l’on connaît sur l’économie mondiale. Le commerce mondial a implosé et le chômage est monté à près de 10% dans de nombreux pays.

Bref, dans l’inflation du prix des matières premières et l’instabilité des taux de change, la communauté internationale n’a pas su identifier l’aspect monétaire et n’a pas agi de manière résolue pour régler le problème. Pire, début 2004, elle a été incapable de freiner la politique monétaire, alors que le crédit était en expansion à un rythme alarmant et que les bulles gagnaient manifestement en force.

Le déficit budgétaire effrayant d’Obama

Malheureusement, l’administration Obama est allée encore plus loin dans la politique financière débridée de l’administration Bush, qui a provoqué la crise actuelle. Conseillé par des gourous keynésiens, Obama a réclamé un plan gigantesque de stimulation et une expansion budgétaire inconditionnelle, afin de mettre fin de force à la récession et rétablir le plein-emploi.

Le modèle keynésien rejette la loi de Say (grosso modo, le principe selon lequel l’offre crée la demande) et le mécanisme des prix de Walras (sur l’équilibre du marché) comme moyen de sortir de la crise. Le modèle keynésien suppose une offre illimitée de pétrole, de denrées alimentaires et de tout le reste, et exige le déploiement d’une politique budgétaire sans réserve pour rétablir la demande d’ensemble à ses plus hauts niveaux au pic du boom économique.

Pour parvenir à cette fin, le budget d’Obama va accroître le déficit budgétaire des Etats-Unis, qui représentait jusque-là 1 à 3% du PIB, jusqu’à environ 14% du PIB. L’objectif immédiat de la politique d’Obama consiste à créer de la demande à tout prix. Peu ou pas de considération n’a été accordée à l’offre, malgré l’inflation des denrées alimentaires et de l’énergie et les déficits extérieurs importants.

Tout récemment, Obama s’est précipité pour annoncer que le PIB des Etats-Unis avait chuté de 1% au second trimestre (T2) 2009, ce qu’il considère comme un résultat remarquable après la chute de 6% au T1 2009. Il n’a accordé aucune importance au fait que cette performance d’ensemble est due à l’augmentation de 10% des dépenses du gouvernement en données comparables, alors que les industries américaines ont montré une croissance négative.

En conséquence des déficits inquiétants qui vont se poursuive, l’avenir est tapissé de nuages noirs. Les déficits budgétaires sont connus pour absorber l’épargne réelle et pour éroder l’investissement du secteur privé et la croissance. L’ajustement à des déficits plus faibles a toujours été un problème politique et social extrêmement difficile. Réduire les dépenses est une tâche des plus ardues pour un gouvernement. Augmenter les impôts est pareillement difficile et rencontrera des difficultés politiques et sociales.

Mais, un jour, il faudra rendre des comptes. Les investissements seront découragés. Le maintien des déficits élevés conduira à son tour à une augmentation de la dette publique et à une inflation élevée. Dans cette situation, les gouvernements n’ont jamais eu d’autre choix que de ne pas rembourser leurs dettes ou de créer de l’inflation pour en réduire le poids.

Les incertitudes à venir

Le sommet du G20 à Londres, en avril dernier, a appelé à monter à l’assaut contre la crise financière, en relâchant la discipline monétaire et budgétaire. La création de la demande n’a pas été la question de principe. Seulement, « balancer de l’argent depuis un hélicoptère ». Mais ce que produit le crédit bon marché est un problème.

Des prix plus élevés vont de pair avec une politique de crédit bon marché. Lorsque les prix commenceront à s’ajuster vers le bas, en fonction des déséquilibres du marché réel, les décideurs politiques verront la déflation comme l’ennemi à combattre. Cela nécessitera alors encore plus de politique inflationniste, comprenant des dévaluations monétaires drastiques pour combattre des récessions plus profondes et comme moyen de faire monter les prix. D’où la raison pour laquelle le prix du baril passant de 147 dollars à 71 dollars est vu comme une déflation dangereuse ; toutefois, son augmentation de 18 dollars à 71 dollars le baril n’est pas considérée comme de l’inflation.

D’ici deux ans, une sortie de la politique de l’argent bon marché et des taux d’intérêt à zéro pourrait être beaucoup plus difficile que ce que prétend Bernanke. Les faibles taux d’intérêt dépriment les revenus bancaires, l’épargne et l’investissement. Aujourd’hui, les spéculateurs disposent de l’environnement le plus sûr pour engranger des gains spéculatifs sur les marchés des actions, des devises et des matières premières. Les banques centrales injectent des liquidités comme jamais dans les marchés financiers et monétisent les déficits fiscaux.

Dans la plupart des grands pays, les forces sous-jacentes sous la forme de déficits fiscaux record et d’argent peu orthodoxe ont augmenté de façon significative le risque d’une inflation beaucoup plus élevée. Le pétrole, les denrées alimentaires et l’or ont remarquablement augmenté depuis avril 2009. Le prix des autres matières premières a montré des tendances persistantes à la hausse et aucune tendance d’inversion des gains. Pour le futur, la stagflation – c’est-à-dire, un mélange d’inflation et de stagnation économique – pourrait être un scénario plus probable qu’une croissance inflationniste.

Hossein Askari enseigne le commerce et les affaires internationales à l’Université George Washington. Noureddine Krichene est économiste au Fonds Monétaire International et ancien conseiller de la Banque de Développement Islamique, à Djedda.

Traduction : [JFG-QuestionsCritiques]