LE DOSSIER BUSH

La Foi de Bush Brouille sa Position, tant Personnelle que Politique

Par LAURIE GOODSTEIN

Publié le 26 octobre 2004, sur le New York Times en ligne (www.NYT.com)

 

Le dimanche, lorsque le Président Bush va à l’église à Washington, il choisit le service de 8 heure du matin à l’église épiscopale de St. John dans Lafayette Square. Proche de la Maison Blanche, St. John a été la paroisse de nombreux présidents, mais c’est quand même un choix surprenant pour M. Bush.

Un président qui a été catalogué comme étant le champion des Chrétiens conservateurs et qui a proposé un amendement constitutionnel pour bannir le mariage gay, trouve la fraternité dans une église où le prêtre et de nombreux fidèles soutiennent ouvertement la bénédiction des unions homosexuelles.

Lorsque l’on essaye de comprendre les convictions religieuses du président et le rôle qu’elles ont joué lors de sa présidence, il apparaît qu’il y a une coupure entre les croyances personnelles de M. Bush et sa politique publique.

Manny Garcia/Reuters

Les Bush avec le Révérend Luis Leon après le service, au début du mois à l’église épiscopale de St. John

En ce qui concerne sa foi personnelle, le président semble loin d’être un dogmatique doctrinaire, et il semble même être théologiquement modéré. Ce n’est pas difficile de trouver des preuves qu’il n’est pas en osmose avec les Chrétiens conservateurs évangéliques qui constituent sa base politique.

En plus de pratiquer sa religion dans une église épiscopale qui accueille les couples homos (et au Texas, dans une église méthodiste où de nombreux fidèles soutiennent le droit à l’avortement), M. Bush a prié avec des Juifs et des Sikhs et a exprimé sa volonté que les Musulmans prient le même Dieu que les Chrétiens – un commentaire qui a abasourdi les évangélistes. M. Bush utilise des termes évangéliques pour expliquer sa dévotion à Dieu et à la prière, mais il n’est pas ce fondamentaliste qui brandit la Bible comme certains de ses adversaires le prétendent.

Toutefois, lorsqu’il s’agit de politique, ses adversaires et ses supporters s’entendent pour dire qu’il a fait plus pour servir le programme social des conservateurs chrétiens que tout autre président contemporain. En politique intérieure, il s’est opposé au mariage pour les personnes du même sexe, il a été un partisan des restrictions sur l’avortement et a imposé des limites à la recherche sur les souches embryonnaires. Il a encouragé les bons d’éducation[1] pour les écoles confessionnelles et il a transférer de l’argent des programmes d’éducation sexuelle et des services publics d’IVG vers les programmes qui à la place encouragent l’abstinence.

M. Bush a aussi cherché à réparer une réclamation générale parmi les conservateurs religieux selon laquelle le gouvernement discrimination la religion. Ce qu'il appelle son "initiative basée sur la foi" a supprimé les règlements qui empêchaient l'argent gouvernemental d’affluer vers les organisations caritatives ouvertement religieuses en défiant les avocats de la séparation de l'église et de l’état.

En politique étrangère, M. Bush a répondu aux appels des évangélistes tels que le Révérend Franklin Graham pour promouvoir les causes qui leur sont chères, comme la guerre civile au Soudan, le SIDA en Afrique et le trafic international de la prostitution féminine.

Lorsqu’il a engagé la nation dans la guerre en Irak, il a refusé de rencontrer des délégations de chefs religieux qui s’opposaient à une guerre pré-emptive[2]. A leur grande consternation, il a constamment justifié la guerre en utilisant des termes théologiques, répétant un axiome favori, comme il l’a fait lors d’un rassemblement au Colorado ce mois-ci : "La liberté n’est pas le cadeau que fait l’Amérique au monde ; la liberté est le cadeau que Dieu Tout Puissant fait à chacun des hommes et des femmes dans ce monde."

Mais en ce qui concerne les causes les plus sacrées de beaucoup de conservateurs chrétiens, le président n’est pas allé plus loin que ce qu’il avait besoin de faire pour pacifier sa base, et parfois seulement après les insistances bruyantes de leaders religieux. Sa décision sur les cellules souches constituait un compromis. Sur l’avortement, il a signé ce qu’on lui a dit. Sur le mariage gay, cela lui a pris des mois pour exprimer en public son soutien à un amendement constitutionnel définissant le mariage comme étant l’union entre un homme et une femme, et lorsqu’il l’a fait, il a explicitement soutenu une version modérée qui permettrait aux états de reconnaître les unions civiles.

Néanmoins, lors d’interview récentes, des douzaines de leaders religieux conservateurs, comprenant des Chrétiens évangélistes, des Catholiques et des Juifs, se sont réjouis de l’accès sans précédent qu’ils ont eu à cette Maison Blanche et des manières dont M. Bush avait trouvé une cause commune à partager avec eux. Des conservateurs chrétiens ont été recrutés à la Maison Blanche – et parmi eux le Ministre de la Justice John Ashcroft qui a embauché à son tour plus de conservateurs évangéliques au Ministre de la Justice, et Kay Coles James qui a fait la même chose en tant que directeur des Ressources Humaines du gouvernement fédéral des Etats-Unis. Mme James est l’ancienne doyenne de l’Ecole d’Administration de la Regent University[3], fondée par Pat Robertson[4], et avait alimenté à des postes moins puissants les administrations de Reagan et de Bush père.

"Les évangélistes sont vraiment très heureux, plus heureux avec ce président qu’il ne l’avaient espéré," a dit Richard Land, président de la Convention Baptiste du Sud. "Personnellement, je ne suis pas surpris, parce que je le connaissais et je savais qu’il était l’homme de la situation".

La Politique selon la Religion 

En mai dernier, le président s’est assis dans la Pièce Roosevelt de la Maison Blanche avec un groupe de journalistes et de rédacteurs de médias chrétiens pour cette sorte d’interview assez longue et couvrant un grand nombre de sujets qu’il n’a jamais accordée aux médias laïques.

"Le boulot d’un président," leur a-t-il dit, "est d’aider au changement de cultures".

A deux reprises durant cette interview, il a félicité un des hommes qui l’interviewait, le Révérend Richard John Neuheus, un prêtre catholique qui est le rédacteur en chef de First Things, un journal conservateur qui traite de religion et de politique publique. "Le père Richard m’a aidé a écrire ce qui constitue l’ensemble de ma position sur l’avortement ; soit : chaque enfant doit être accueilli à la vie et protégé par la loi," a dit le président.

Le Père Neuhaus a dit, au cours d’une interview, qu’en été 1999, avant que M. Bush ne déclare sa candidature aux présidentielles, il fut invité à rendre visite à M. Bush au Texas dans la demeure du gouverneur pour ce qui s’est révélé être un petit déjeuner de travaux-dirigés selon l’enseignement catholique de la "culture de la vie". A cette époque, ces concepts n’étaient pas très familiers à M. Bush, mais il était avide d’apprendre comment l’Eglise communiquait sur son opposition à l’avortement, à l’euthanasie, au planning familial, à la recherche sur les cellules souches et au clonage, a raconté le père Neuhaus.

Le premier jour de son mandat, le Président Bush a émis un décret présidentiel rétablissant une politique de l’ère Reagan que les groupes anti-avortement appelle la "politique de Mexico" et que les groupes de planning familial réfèrent à la "règle du bâillon". Ce décret prohibe toute organisation à l’étranger qui reçoit des subventions américaines de faire la promotion, de se référer à ou de d’éduquer sur l’avortement en tant qu’option de planning familial même si elles n’utilisent pas de l’argent américain pour le faire.

La décision sur les cellules souches, qui à focalisé tant d’attention dans la campagne électorale, en dit long sur M. Bush car il s’y est engagé si intensément et si personnellement. Des gens qui le connaissent ont dit qu’il a consulté des scientifiques, des spécialistes de l’éthique et des théologiens, convoquant certains de ceux-ci à son ranch de Crawford. Il a profité de son premier discours annuel à la nation, le 9 août 2001, pour l’expliquer, avant que le terrorisme ne fixe son programme.

Il a fait un choix à la Salomon, permettant de financer la recherche sur un nombre limité de cellules souches embryonnaires, mais seulement sur celles qui existaient déjà. Au début, des leaders chrétiens furent scandalisés. Si l’embryon est un être humain, alors la recherche sur cellules souches est un meurtre, ont-il dit.

Mais en 24 heures, la plupart des leaders conservateurs évangélistes louaient cette décision comme étant une victoire pour la cause du "droit à la vie".

Sur l’IVG, aussi, M. Bush a fait en sorte, sans se mouiller, que la base reste engagée. Il n’a pas présenté d’amendement constitutionnel pour rendre l’avortement illégal, comme un programme du Parti Républicain l’appelle de ses vœux. A la place, il a soutenu des mesures qui affaiblissent progressivement les droits à l’IVG, ou qui renforcent l’argument selon lequel la vie commence dès la conception.

"Il est parfaitement conscient, à juste titre, que l’on ne peut pas faire autant de choses grâce à la politique," a dit le père Neuhaus. Cependant, dit-il, "Sur toutes les questions concernant la communauté pour le droit à la vie, ainsi que toutes celles qui touchent à la protection de la vie avant la naissance qui ont atterri sur son bureau, il a toujours été d’un grand soutien."

Lors d’une cérémonie de célébration, en novembre 2003, à laquelle assistaient des leaders anti-IVG, il a signé l’interdiction d’une procédure, que les opposants appellent l’avortement à la mi-naissance, et qui restreignait un type d’avortement qui avait lieu durant le deuxième ou le troisième trimestre de la grossesse. Ce fut la première interdiction d’une procédure d’IVG depuis 1973, lorsque Roe v. Wade[5] a institutionnalisé le droit à l’avortement, et de nombreux Démocrates ont même soutenu cette interdiction, ce qui n’a pas coûté grand chose au président pour la signer. Le président a signé aussi le Unborn Victims of Violence Act (la loi sur les victimes de violence par encore nées), ce qui veut dire, comme il l’a expliqué lors de son second débat présidentiel que, "Si vous êtes une mère et que vous êtes enceinte et que vous vous faites tuée, le meurtrier est poursuivi pour deux meurtre au lieu d’un seul."

De nombreux leaders anti-avortement ont dit dans des interviews qu’ils se satisfaisaient des initiatives qu’il avait prises et des expectations pour son second mandat que M. Bush nommerait au moins un juge à la Cour Suprême engagé dans l’abolition de Roe v. Wade. Lors du troisième débat présidentiel, M. Bush a dit pas question de "mise à l’épreuve" pour les nominations judiciaires. Mais aucun de ceux qu’il a nommé lors de son premier mandat n’ont été des défenseurs des droits à l’IVG, et quelques uns en sont des opposants virulents.

Malgré le profond respect que M. Bush a proféré pour la "culture de la vie", il n’a pas utilisé la chaire tyrannique qui est à la disposition d’un président pour changer la culture américaine sur l’avortement, a dit Clyde Wilcox, professeur d’administration à l’Université de Georgetown.

"Pensez à ce qui l’a enthousiasmé – la guerre d’Irak ou les baisses d’impôt," a dit le Professeur Wilcox. "Il n’est pas parti en tournée électorale comme il l’est sur ces questions, pressant pour plus de lois limitant l’IVG, en disant : maintenant que nous avons ‘la mi-naissance’[6] derrière nous, faisons autre chose.

"Peut-être qu’il le fait dans des messages rigoureusement transmis que les évangélistes comprennent, comme il le fait lorsqu’il parle de la dignité de la vie. Mais quand il agit ainsi, ce n’est pas pour convaincre à propos de la culture, c’est seulement pour courtiser ses électeurs."

« L’Initiative Basée sur la Foi »

Dans des interviews avec plus de deux douzaines de leaders religieux qui ont rencontré le président, la chose étonnante est que M. Bush a réussi à convaincre les croyants les plus traditionalistes de presque toutes les couleurs – les fondamentalistes et évangélistes Chrétiens, les Catholiques, les Juifs, les Musulmans et même les Sikhs – que ses croyances sont les leurs. Il a charmé un groupe de Musulmans lorsqu’il a dit qu’il pouvait comprendre leur inquiétude sur les fermetures d’organisations caritatives islamiques, parce que les Chrétiens doivent aussi payer la dîme. Il a donné une étreinte à un rabbin qui venait le voir et qui lui avait dit lors d’un meeting plus tôt dans la journée qu’Israël était la Terre Sainte donnée par Dieu aux Juifs.

"Les seuls Juifs qu’il semble ne pas aimer," a dit un autre rabbin, qui parlait sous la condition de l’anonymat," sont ceux qui ne sont pas religieux, parce qu’il ne peut pas les comprendre." Par-dessus tout, M. Bush apparaît avoir foi en la foi.

"La prière et la religion me soutiennent moralement," a-t-il dit lors du troisième débat présidentiel. "Je reçois le calme lors des tempêtes de la présidence." 

Il a souvent raconté comment son éveil sincère à la religion est arrivé après qu’il eût sombré à l’âge de quarante ans. Lors de moments improvisés, M. Bush parle, dans un jargon d’Alcooliques Anonymes, d’une "puissance supérieure".

Selon un livre écrit par un ancien assistant de la Maison Blanche, David Frum, le président a dit à un groupe de membres du clergé en visite à la Maison Blanche "J’avais un problème d’alcool. Il n’y a qu’une unique raison pour que je sois dans le Bureau Ovale et non pas dans un bar. J’ai trouvé la foi. J’ai trouvé Dieu."

Alors qu’on lui demandait, lors du dernier débat présidentiel, comment sa foi avait affecté sa politique publique, M. Bush n’a choisi qu’un seul acte concret de politique publique : l’initiative basée sur la religion[7].

Pour M. Bush, le personnel et le politique se mélangent très clairement dans cette initiative. L’idée est d’encourager ouvertement les groupes religieux, auparavant exclus des contrats gouvernementaux, à demander des subventions du gouvernement pour aider des gens qui sont sans emploi ou mentalement retardés ou qui sont accro aux drogues ou à l’alcool. La passion qu’il montre pour "l’initiative" est enracinée dans son expérience personnelle selon laquelle les gens qui ont des problèmes ont besoin de la foi pour guérir. Il a mis en marche "l’initiative" en fanfare le premier mois de son arrivée au pouvoir, instaurant la première Agence de la Maison-Blanche aux Initiatives Basée sur la Foi et Communautaire.

Lorsque l’initiative est entrée en ingérence dans le Congrès, le président à utilisé une série de décrets présidentiels pour créer un réseau de bureaux à l’intérieur de huit départements (ministères) fédéraux (éducation, agriculture, justice, travail, santé et affaires sociales, logement et développement urbain, anciens combattants et commerce) et deux agences fédérales (L’Agence des Etats-Unis pour le Développement International et l’Administration des Petites Entreprises) pour accorder des subventions et des contrats aux organisations caritatives religieuses. Les représentants de ces agences ont parcouru le pays, ces deux dernières années, en tenant des sessions pour les congrégations et les groupes religieux locaux afin de leur apprendre à poser leurs demandes de subventions gouvernementales et à les administrer. En tout, la Maison-Blanche dit que des fonds discrétionnaires pour un montant de 1,1 milliards de dollars ont été accordés aux organisations de service social basées sur la religion. 

Mais la grande vision du président s’est avérée être en fait une sorte de myopie. Un rapport sorti aujourd’hui par le Rockefeller Institute of Governement de l’Université de l’Etat de New York dit que pendant l’administration Bush, les fonds les plus accessibles au organisations basées sur la religion "ont tendance à être faibles et n’ont montré, ces dernières années, qu’une toute petite croissance."

 

Une Affaire d’Ordre Privé

M. Bush dit souvent que sa foi relève des affaires privées. La Maison-Blanche a refusé toute interview pour la rédaction de cet article, et il impossible de comprendre les croyances spirituelles de quelqu’un sans qu’il veuille bien en discuter. Et même s’il en discutait, il pourrait rester impossible [de le comprendre].

M. Bush est né épiscopalien, a fréquenté une église presbytérienne quand il était enfant et a rejoint une église méthodiste lorsqu’il s’est marié – des sauts confessionnels répandus chez beaucoup d’Américains.

Les Evangélistes prétendent que M. Bush est un des leurs, mais il a été intentionnellement vague pour dire s’il partage vraiment leurs croyances. Lors de sa précédente course présidentielle, M. Bush a accordé une brève interview au téléphone à cette journaliste [que je suis] pour parler de sa foi. A la question de savoir s’il considérait la Bible comme le mot véritable et inerrant[8] de Dieu, M. Bush a dit : "De la Sainte Ecriture vous pouvez gagner beaucoup de force et de consolation et apprendre les leçons de la vie. C’est ce en quoi je crois, et je ne crois pas nécessairement que chaque mot est littéralement vrai." 

 

 



[1] School voucher : Un bon d’éducation est un acte par lequel on donne aux parents la possibilité de payer pour l’éducation de leurs enfants à l’école de leur choix, plutôt qu’à l’école publique qui leur a été assignée. Ces bons d’éducation sont déduit des impôts.

[2] Il faut bien comprendre la différence sémantique que l’on donne, aux Etats-Unis, entre une guerre préventive et une guerre pré-emptive. Selon la doctrine militaire des néoconservateurs, la guerre pré-emptive est ce qui arrive lorsqu’un état vise un ennemi qui représente une menace imminente. La guerre préventive est ce qui arrive lorsqu’un état vise un ennemi avant qu’il ne devienne une menace imminente. Bien entendu, en français il n’y a qu’un seul terme pour décrire les deux. C’est pourquoi dans « Questions Critiques » nous utilisons le terme de guerre "pré-emptive" lorsqu’il s’agit d’une menace imminente. Bien entendu, dans le cas de l’Irak, comme on n’a pas trouvé d’ADM, la guerre s’est révélé être une "guerre préventive". La question est donc de savoir si les néoconservateurs voulaient faire une "guerre préventive" depuis le début, et non pas une "guerre pré-emptive".

 

[3] Sorte d’ENA américaine, la School of Governement s’occupe de l’éducation des futurs décideurs américains et étrangers, des parlementaires, etc. dans un cadre strictement judéo-chrétien.

 

[4] Le célèbre télé-évangéliste américain.

 

[5] Décision de la Cour qu’à l’école publique qui leur a été assignée. Ces bons d’éducation sont déduit des impôts.Suprême du nom du célèbre procès à Dallas, Taxas entre Roe (une jeune femme enceinte) et Wade (le procureur général), qui a institutionnalisé l’IVG.

 

[6] Partial-birth.

 

[7] Loi qui oblige tous les Américains à financer les services sociaux basés sur la religion…

 

[8] infaillible