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économie mondiale

Le risque d’une récession en double-creux augmente

Financial Times, le 23 août 2009
par Nouriel Roubini

article original : "The risk of a double-dip recession is rising"

L’économie mondiale commence à atteindre son point le plus bas de la pire récession et de la pire crise financière depuis la Grande Dépression. Au cours du quatrième trimestre de 2008 et du premier trimestre de 2009, le taux de contraction des économies les plus avancées a été similaire à la chute-libre de leur PIB dans les premiers stades de la [Grande] Dépression. Puis, en fin d’année dernière, les décideurs politiques qui étaient restés en retrait ont finalement commencé à utiliser la plupart des armes de leur arsenal.

Cet effort a fonctionné et la chute-libre de l’activité économique s’est atténuée. Il y a maintenant trois questions ouvertes sur les perspectives. Quand cette récession mondiale se terminera-t-elle ? A quoi ressemblera le rétablissement économique ? Y a-t-il des risques de rechute ?

Concernant la première question, il semble que l’économie mondiale touchera son point le plus bas au cours du deuxième semestre de 2009. Pour beaucoup d’économies avancées (les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Italie et d’autres membres de la zone euro), ainsi que quelques économies de marché émergentes (essentiellement en Europe), la récession ne sera pas officiellement terminée avant la fin de l’année, alors que les « bourgeonnements » sont encore mélangés aux « mauvaises herbes ». Pour quelques autres économies avancées (l’Australie, l’Allemagne, la France et le Japon), ainsi que la plupart des marchés émergents (la Chine, l’Inde, le Brésil et d’autres parties de l’Asie et de l’Amérique Latine), le rétablissement a déjà commencé.

Sur la deuxième question, le débat est entre ceux – la majorité du consensus économique – qui s’attendent à un rétablissement en « V », avec un retour rapide de la croissance, et ceux – comme moi – qui pensent que ce rétablissement aura la forme d’un « U », qu’il sera anémique et inférieur à son potentiel [below trend] pendant au moins deux ans, après environ six mois de croissance rapide alimentée par la reconstitution des stocks et un rétablissement de la production, tombés à des niveaux proche de ceux de la [Grande] Dépression.

Plusieurs arguments militent en faveur d’un rétablissement faible en « U ». L’emploi chute toujours lourdement aux Etats-Unis et ailleurs – dans les économies avancées, le chômage dépassera les 10% d’ici 2010. C’est une mauvaise nouvelle pour la demande et pour les pertes bancaires, mais également pour la compétence des travailleurs, un facteur clé pour une croissance de la productivité du travail à long-terme.

Deuxièmement, c’est une crise de solvabilité, pas seulement de liquidités, mais le véritable effet de levier inversé n’a pas encore débuté parce que les pertes des institutions financières ont été socialisées et placées aux bilans des gouvernements. Ceci limite la capacité des banques à accorder des prêts, celle des ménages à dépenser et celle des entreprises à investir.

Troisièmement, dans les pays qui connaissent un déficit de leur balance des paiements, les consommateurs doivent réduire leurs dépenses et épargner beaucoup plus, alors que les plus lourdement endettés sont confrontés à un revers de fortune provoqué par la baisse des prix de l’immobilier et des actions, que les revenus rétrécissent et que le chômage augmente.

Quatrièmement, le système financier – malgré le soutien politique – est toujours sévèrement abîmé. La plus grande partie du système bancaire parallèle a disparu et les banques traditionnelles ont sur les bras des trillions de dollars de pertes latentes en prêts et en titres, alors qu’elles sont gravement sous-capitalisées. Cinquièmement, la faiblesse de la profitabilité – à cause des dettes élevées, des risques de défaut de paiement, d’une croissance faible et des pressions déflationnistes persistantes sur les marges des entreprises – freinera la production, les embauches et les investissements.

Sixièmement, l’accroissement du niveau d’endettement du secteur public au moyen de l’accumulation de déficits fiscaux importants risque de resserrer la dépense publique. De plus, les effets de la politique de stimulation économique s’éteindront d’ici le début de l’année prochaine, rendant nécessaire l’augmentation de la demande du secteur privé pour soutenir une croissance régulière.

Septièmement, la réduction des déséquilibres mondiaux implique que les déficits actuels des balances de paiement des économies prodigues, telles que les Etats-Unis, réduiront les excédents des pays qui sur-épargnent (la Chine et autres marchés émergents, l’Allemagne et le Japon). Mais si la demande intérieure ne croît pas assez vite dans les pays dont la balance des paiements est excédentaire, cela conduira à un rétablissement plus faible de la croissance mondiale.

Il y a également à présent deux raisons pour lesquelles existe un risque accru de récession en double creux. Pour commencer, il y a les risques liés aux stratégies de sortie des assouplissements monétaires et fiscaux massifs : quoi qu’ils fassent, les décideurs politiques sont dans le pétrin. S’ils prennent au sérieux leurs larges déficits fiscaux et qu’ils augmentent les impôts, qu’ils réduisent les dépenses et qu’ils épongent rapidement l’excédent de liquidités, ils saperont le rétablissement et feront re-basculer l’économie dans la stagflation (mélange de récession et de déflation).

Mais s’ils maintiennent de larges déficits budgétaires, les bond market vigilantes [les investisseurs qui protestent contre les politiques monétaires et fiscales qu’ils jugent inflationnistes en vendant leurs obligations] puniront les décideurs politiques. Alors, les prévisions d’inflation augmenteront, les rendements des obligations d’état à long-terme augmenteront et les taux d’intérêt monteront brutalement, conduisant à la stagflation.

Une autre raison de craindre une récession en double creux est que les prix du pétrole, de l’énergie et des denrées alimentaires montent plus vite que ne le justifient les fondamentaux économiques, et qu’ils puissent être emmenés encore plus haut par une demande spéculative et l’excès de liquidités courant après les actifs. L’année dernière, le pétrole à $145 le baril fut le point de retournement de l’économie mondiale, puisqu’il créait des conditions négatives pour le commerce et qu’il a secoué le revenu disponible des économies importatrices de pétrole. L’économie mondiale ne pourrait pas supporter une nouvelle secousse qui la contracterait, si une spéculation similaire emmènait rapidement le pétrole en direction des $100 le baril.

En résumé, dans les économies avancées, le rétablissement économique sera probablement anémique et inférieur à son potentiel, et il existe un risque important de récession en double creux.

L’auteur de cet article est professeur d’économie à la Stern School of Business, NYU

Copyright 2009 - The Financial Times Limited — traduction [JFG-QuestionsCritiques]