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Turquie

Envahir le Kurdistan

Financial Times, le 5 juin 2007

article original : "Invading Kurdistan"

Plus de quatre ans après la chute de Bagdad, il est impensable que quelqu'un ait encore besoin d'être persuadé qu'envahir l'Irak fut une mauvaise idée. Pourtant, l'armée turque est aujourd'hui massée sur sa frontière sud-est, sur le point de porter un coup — qu'elle suppose mortel — aux guérillas du parti des travailleurs du Kurdistan (le PKK), basé au Kurdistan irakien.

Robert Gates, le secrétaire étasunien à la défense, a mis en garde Ankara contre une invasion. Mais, la semaine dernière, le chef d'état-major de la Turquie a requis officiellement la permission de son gouvernement pour lancer une offensive transfrontalière. Il y a des raisons de croire qu'il l'obtiendra — aucunes d'entre elles, toutefois, n'étant vraiment convaincantes.

La Turquie est mécontente que des unités du PKK, quasiment vaincues après l'insurrection vicieuse de 1984-1999, se soient regroupées à l'intérieur de la région kurde autonome, au nord de l'Irak. De là, dit Ankara, ils effectuent des raids transfrontaliers et des attaques à la bombe.

L'étendue de cette activité est contestée. Mais le gouvernement régional kurde, le plus proche allié des Américains en Irak, semble vraiment accueillir favorablement le PKK, mouvement culte et violent, comme bouclier laïque à la croissance de l'Islamisme radical sur son territoire. Cela a aigri un peu plus les relations entre Ankara et Washington, mises à mal lorsque la Turquie a refusé aux Etats-Unis en 2003 d'utiliser son territoire pour ouvrir un front nord.

Mais cela n'explique pas toute l'agressivité de la Turquie. L'establishment turc, en particulier son armée influente, n'a jamais aimé la pression exercée par l'Union Européenne pour qu'elle accorde des droits à la minorité kurde de Turquie — une condition pour accéder aux négociations — et le parrainage de l'autonomie kurde en Irak par les Etats-Unis. La Turquie est aussi furieuse après le référendum qui pointe pour incorporer la zone mixte (sur le plan ethnique) de Kirkuk au Kurdistan. Elle craint que sa richesse pétrolière ne lance un Etat kurde qui finira par grignoter des bouts du sud-est de la Turquie. L'armée réaffirme aussi sa puissance en vue des élections, précipitées par son conflit avec le gouvernement néo-islamiste de Recep Tayyip Erdogan. De plus, écraser le PKK est populaire auprès des nationalistes turques renaissants.

Hélas, les amis de la Turquie ont peu d'influence. La longue alliance avec les Etats-Unis est en lambeaux et la perspective d'une entrée dans l'UE s'évapore. Pourtant, Ankara devrait y réfléchir à deux fois. Par exemple, pensez à la tentative vaine d'Israël d'écraser le Hezbollah l'été dernier au Liban. La Turquie risquerait un chaos à une plus grande échelle en cas d'attaque massive contre la dernière région relativement stable d'Irak.

Le conflit kurde en Turquie n'est pas revenu de près ou de loin à des niveaux qui justifieraient une attaque massive. Une façon sûre de faire renaître l'insurrection — ainsi que répandre encore plus de misère sur l'Irak — est d'envahir le Kurdistan.

Copyright The Financial Times Limited 2007 — traduction [JFG-QuestionsCritiques]