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L'assaut sur le Liban était prémédité - la capture des soldats
a simplement fourni le prétexte. C'était aussi inutile

     Israël a riposté à une attaque du Hezbollah,
qu'il n'avait pas provoquée. Vrai ? Faux.
    Par George Monbiot
The Guardian, mardi 8 août 2006

Quel que soit ce que nous pensons de l'assaut par Israël sur le Liban, nous tous semblons être d'accord sur un fait : que c'était une riposte, bien que disproportionnée, à une attaque délibérée du Hezbollah. J'ai répété ce "fait" dans ma dernière colonne, lorsque j'ai écris que le "Hezbollah avait tiré le premier". Ceci étant, les supporters du gouvernement israélien demandent aux militants de la paix comme moi ce que nous aurions fait ? C'est une question importante. Mais ce sur quoi elle se base, je viens de le découvrir, est vicié. Depuis le retrait d'Israël du sud-Liban en mai 2000, il y a eu des centaines de violations de la "Ligne Bleue" qui sépare ces deux pays.

La Force Intérimaire des Nations-Unies au Liban (la FINUL) rapporte que l'aviation israélienne a traversé cette ligne "sur une base quasi quotidienne", entre 2001 et 2003, et "continuellement" jusqu'à 2006. Ces incursions "ont causé une grande inquiétude à la population civile, en particulier les vols à basse altitude qui franchissent le mur du son au-dessus des zones peuplées". À certaines occasions, le Hezbollah a essayé de les abattre avec des canons anti-aériens.

En octobre 2000,les Forces de Défense d'Israël [FDI] ont tiré sur des manifestants palestiniens non armés sur la frontière, tuant trois et blessant 20 d'entre eux. En réponse, le Hezbollah a traversé la frontière et captura trois soldats israéliens. À plusieurs occasions, le Hezbollah a tiré des salves de missiles et d'obus contre les positions des FDI, qui ont riposté avec leur artillerie lourde et quelquefois par un bombardement aérien. Des incidents de ce type ont tué trois Israéliens et trois Libanais en 2003 ; un soldat israélien et trois combattants du Hezbollah en 2005 ; et deux civils libanais et trois soldats israéliens en février 2006. Des roquettes ont été tirées par le Hezbollah du Liban vers Israël, à plusieurs reprises, en 2004, 2005 et 2006, à certaines occasions.. Mais, l'ONU a pris note "qu'aucun de ces incidents n'a eu pour conséquence une escalade militaire".

Le 26 mai de cette année, deux responsables du Djihad Islamique - Nidal et Mahmoud Majzoub - ont été tués par une voiture piégée dans la ville libanaise de Sidon. Cette attaque a été largement attribuée, au Liban et en Israël, au Mossad, les services secrets israélien. En juin, un homme du nom de Mahmoud Rafeh a confessé être l'auteur de ces assassinats et a admis qu'il travaillait pour le Mossad depuis 1994. Le jour-même de cet attentat à la bombe, les activistes au sud-Liban ont riposté en tirant huit roquettes sur Israël. Un soldat fut légèrement blessé. Une engueulade majeure, qui a fait un mort et plusieurs blessés dans le camp du Hezbollah et un blessé dans le camp des FDI, a eu lieu sur la frontière. Mais tandis que la région frontalière "est restée tendue et volatile", la FINUL a déclaré qu'elle est restée "globalement tranquille", jusqu'au 12 juillet dernier.

Un débat animé s'est tenu sur l'Internet pour savoir si les deux soldats israéliens capturés par le Hezbollah ce fameux jour l'avaient été en Israël ou au Liban. Mais il semble désormais assez clair que c'est bien en Israël qu'ils ont été capturés. C'est ce que dit l'Onu ; et même le Hezbollah semble avoir oublié qu'ils étaient censés avoir été trouvés en train de fouiner dans les environs du village libanais d'Aita al-Chaab. À présent, ils déclarent simplement que "la résistance islamique a capturé deux soldats israéliens à la frontière avec la Palestine occupée". Trois autres soldats israéliens ont été tués par les militants. Il y a aussi une querelle sur le moment précis où, le 12 juillet, le Hezbollah a commencé à tirer ses roquettes ; mais, la FINUL a bien fait comprendre que le tir a eu lieu en même temps que le raid - à 9 heures du matin. Son objectif semble avoir été de créer une diversion. Il n'y a eu aucune victime.

Mais il n'y a eu aucun débat sérieux sur la raison de la capture des deux soldats : le Hezbollah cherchait à les échanger contre les 15 prisonniers de guerre pris par les Israéliens pendant l'occupation du Liban et (en violation de l'article 118 de la troisième Convention de Genève) et jamais libérés. Il semble clair que si Israël avait rendu les prisonniers, cela aurait permis de récupérer ses hommes - sans faire couler plus de sang - et aurait réduit la probabilité d'autres enlèvements. Mais le gouvernement israélien a refusé de négocier. Au lieu de cela, nous savons ce qui est arrivé. Près de 1.000 civils libanais et 33 civils israéliens ont été tués jusqu'à maintenant et un million de Libanais ont été chassés de leurs maisons.

Autrement dit, le 12 juillet, le Hezbollah a tiré le premier. Mais cet acte d'agression n'était que l'une d'une longue suite de petites incursions et attaques effectuées par les deux camps sur les six dernières années. Alors pourquoi la riposte israélienne, cette fois-ci, a-t-elle été si différente de toutes celles qui l'ont précédé ? La réponse est que ce n'était pas une réaction aux événements de ce jour précis. Cette attaque a été planifiée depuis des mois.

The San Francisco Chronicle rapporte "qu'il y a plus d'un an, un haut gradé de l'armée israélienne a commencé à faire des présentations sous PowerPoint, sur une base privée, à des diplomates, journalistes et groupes de réflexion étasuniens et autres, du plan de cette opération actuelle en détails révélateurs". Cette attaque, a-t-il dit, durerait trois semaines. Elle commencerait par un bombardement et culminerait avec une invasion terrestre. Gerald Steinberg, professeur de science politique à l'université de Bar-Ilan, a dit à ce journal que "de toutes les guerres d'Israël depuis 1948, celle-ci était celle pour laquelle Israël s'était le mieux préparé… À partir de 2004, la campagne militaire programmée pour durer environ trois semaines et à laquelle nous assistons actuellement avait déjà été bouclée et, depuis un an ou deux, elle avait été simulée et répétée à tous les niveaux.

Un "officiel israélien important" a dit au Washington Post que ce raid du Hezbollah avait fourni à Israël un "moment exceptionnel" pour anéantir cette organisation. Le rédacteur en chef du New Statesman, John Kampfner, déclare que plus d'une source officielle lui ont dit que le gouvernement étasunien connaissait à l'avance l'intention d'Israël d'entreprendre une action militaire au Liban. L'administration Bush l'avait dit au gouvernement britannique.

Donc, cette attaque israélienne était préméditée : Israël attendait simplement un prétexte approprié. C'était aussi inutile. Il est vrai que le Hezbollah avait accumulé des munitions à proximité de la frontière, ainsi que ces tirs actuels de roquettes le montrent. Mais Israël avait fait pareil. De la même manière qu'Israël peut affirmer qu'il cherchait à dissuader les incursions du Hezbollah, le Hezbollah pouvait soutenir - aussi avec raison - qu'il essayait de dissuader les incursions d'Israël. L'armée libanaise est assurément incapable de le faire. Oui, le gouvernement libanais aurait dû obliger le Hezbollah à se replier de la frontière israélienne et le désarmer. Oui, le raid et l'attaque à la roquette du 12 juillet étaient une provocation stupide qui n'était pas justifiée, comme après tout ce qui s'est passé autour de cette frontière pendant les six dernières années. Mais la suggestion que le Hezbollah pourrait lancer une invasion d'Israël ou qu'il constitue une menace existentielle à l'Etat [juif] est grotesque. Depuis que l'occupation [du Liban] a pris fin, tous ses actes de guerre ont été mineurs et presque toujours en riposte.

Donc il n'est pas difficile de répondre à la question de savoir ce que nous aurions fait. D'abord, arrêter de recruter des ennemis, en se retirant des territoires occupés en Palestine et en Syrie. Deuxièmement, cesser de provoquer les groupes armés au Liban en violant la Ligne Bleue - en particulier avec les vols continuels de l'autre côté de la frontière. Troisièmement, libérer les prisonniers de guerre qui restent illégalement incarcérés en Israël. Quatrièmement, continuer de défendre la frontière tout en maintenant une pression diplomatique sur le Liban pour qu'il désarme le Hezbollah (comme tout le monde peut le voir, ceci serait beaucoup plus faisable si les occupations devaient cesser). Par conséquent, voici le défi que je fais aux supporters du gouvernement israélien : Osez-vous prétendre que ce programme aurait causé plus de mort et de destruction que l'aventure présente ?

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]