Andres Manuel Lopez Obrador saluant ses supporters (samedi 9 avril 2005).
Crédit Photo: Jose Luis Magana – AP
Nous observons un spectacle exaltant au plus haut point : Des centaines de milliers de personnes se sont rassemblées sur la place centrale d'une certaine capitale pour exiger l'autonomie démocratique. La semaine dernière, Condoleeza Rice, la Sécrétaire d'Etat étasunienne a déclaré : "Cela se passe dans de nombreux endroits différents de la planète. Dans des endroits aussi variés que l'Ukraine et le Kirghizistan. Et aussi au Liban, dans une autre mesure, et des murmures commencent à se faire entendre dans d'autres endroits du monde. Par conséquent, cette époque est remplie d'espoir."
Dans ce processus [de démocratisation], les Etats-Unis revendiquent un rôle plus important que celui de simple observateur. Le business de l'Amérique, selon les propres termes du Président Bush, est de répandre la démocratie. "Les chefs des gouvernements, accoutumés depuis longtemps au pouvoir, doivent savoir que pour servir son peuple, vil faut apprendre à lui faire confiance", a déclarét Bush dans son discours inaugural [de deuxième mandat] en Janvier dernier. "Commencez votre voyage vers le progrès et la justice et l'Amérique marcheront à vos côtés."
Sauf, bien sûr, si vous êtes Mexicain !
Apparemment, ils y a plusieurs types de rassemblements dans les capitales : Celui de Kiev, où des foules sont descendues dans la rue pour protester contre la subversion d'une élection nationale et la tentative d'assassinat du leader de l'opposition, et celui de Beyrouth, où les gens se sont rassemblés pour protester contre le meurtre d'un chef de l'opposition et pour exiger l'autodétermination. Ce furent des débordements que le gouvernement américain à encouragés.
Et puis, jeudi dernier, au Mexique, un autre rassemblement s'est produit à Mexico, où 300.000 manifestants ont investi la place du Zocalo - la grand' place située au cœur de la ville - pour manifester leur indignation à propos de la décision de leur Chambre des Députés d'empêcher le leader national de l'opposition de se présenter à la présidentielle l'année prochaine.
Le gouvernement mexicain n'a pas assassiné le leader de l'opposition, le maire de Mexico, Andres Manuel Lopez Obrador. Il s'est contenté de proposer qu'on le jette en prison - et ainsi, de le disqualifier pour la présidentielle - parce qu'un fonctionnaire de sa ville n'a pas respecté une décision judiciaire d'arrêter la construction d'une petite bretelle d'accès vers un hôpital, sur un terrain acquis par le prédécesseur de Lopez Obrador mais dont la propriété était toujours en litige.
Pour cela, les parlementaires des deux partis conservateurs mexicains - le PAN du Président Vicente Fox et le PRI [1] qui gouvernait le Mexique depuis 70 ans jusqu'à l'élection de Fox en 2000 - ont voté jeudi dernier à la quasi unanimité la levée de l'immunité officielle de Lopez Obrador, avec l'objectif clair de l'emprisonner et de l'évincer de la course présidentielle de 2006. Mais il n'y a pas de coïncidence : tous les sondages donnent Lopez Obrador - porte-drapeau du PRD, de gauche - en tête dans cette compétition.
Et quelle fut la réponse du gouvernement américain ? A-t-il évoqué la ligne directrice du Président Bush selon laquelle les chefs de gouvernement qui ont une longue accoutumance du pouvoir doivent apprendre de leur peuple ? A-t-il dit à la foule rassemblée sur le Zocalo que l'Amérique marche à leurs côtés ?
Pas vraiment. Alors que Condi Rice est très éloquente sur l'inquiétude américaine concernant les droits démocratiques en Asie Centrale et au Moyen-Orient, le plus que le gouvernement Bush a réussi à dire sur la démocratie, dans ce pays incroyablement loin [pour les Etats-Unis] qu'est le Mexique, fut un commentaire d'un porte-parole du Département d'Etat selon lequel "cela est une affaire intérieure mexicaine".
La démocratie est peut-être très belle et très bonne, mais il se trouve que Lopez Obrador ne plaît pas à Bush. Maire de Mexico, il a augmenté les pensions publiques pour les personnes âgées et a lourdement investi dans les travaux publics ainsi que dans les créations d'emploi qui les ont accompagnés. Il a critiqué l'ALENA comme représentant une aubaine pour les grandes entreprises et un sale coup pour les travailleurs mexicains. (Ainsi que l'économiste Jeff Faux [2] l'a décrit : en même temps que la productivité du secteur manufacturier mexicain a augmenté de 54%, pendant les huit ans qui ont suivi la mise en place de l'ALENA, les salaires réels ont en fait décliné.) Il s'est opposé au plan de Vicente Fox de privitiser l'industrie nationale mexicaine du pétrole et du gaz - une position qui fait que les pétroliers texans, actuellement employés comme président et vice-président des Etats-Unis, ne le portent probablement pas dans leur cœur.
Et il y a pire : La politique populiste et la fougue de Lopez Obrador en ont fait, aujourd'hui, le dirigeant politique le plus populaire du Mexique. L'économie du "lubre marché" très racoleuse du Président Fox n'a rien fait pour améliorer la vie des Mexicains ordinaires. La victoire de Lopez Obrador dans l'élection de l'année prochaine marquerait un rejet décisif de ce modèle néolibéral. En se produisant après l'élection de Luiz Inacio Lula da Silva au Brésil, de Nestor Kirchner en Argentine et d'Hugo Chavez (à plusieurs reprises) au Venezuela, nous aurions une nouvelle indication - une énorme indication - que l'Amérique Latine rejette une économie basée sur l'autonomie des grande entreprises, l'austérité publique et l'absence de droit pour les travailleurs.
Alors ? La démocratie en Ukraine ? Les Etats-Unis y seront. Au Liban ? Vous pouvez comptez sur eux. Au Kirghyzistan ? Au son du clairon. Au Mexique ? Où est-ce que ça se trouve ? Peut-être que les Mexicains devraient déménager en Asie Centrale, changer leur nom en Mexistan et promettre de privatiser le pétrole. Voilà la sorte de démocratie que les hommes de Bush aiment vraiment.
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean-François Goulon
Statcounternotes :
[1] Il y a aujourd'hui trois grands partis politiques au Mexique :
· Le Parti d'Action Nationale (PAN) du Président Fox est un parti conservateur, tant pour les mœurs que pour soutenir le libéralisme économique.
· Le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI), que l'on peut classer au centre. Le PRI a gouverné le Mexique depuis 1928 jusqu'au 1er décembre 2000.
· Le Parti de la Révolution Démocratique (PRD) dont Lopez Obrador est le chef.
--> Pour en savoir plus, voir : philosophiepolitique.net
[2] Voir l'article "Politique et économie globale" de Jeff Faux (lien rompu).