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Visite d'Etat au Royaume-Uni

Sarkozy : Un invité imprévisible et dérangeant

Par Adrian Hamilton
The Independent, jeudi 27 mars 2008

article original : "Adrian Hamilton: Our unpredictable and troublesome guest"

La visite d'Etat de Nicolas Sarkozy a ceci de délicieux [pour nous, Anglais] que nous avons là le Président français le plus passionnément pro-britannique depuis un siècle et que les Britanniques n'ont aucune idée sur quoi faire avec lui. Pas plus, bien sûr, que les Français, qui ont regardé avec horreur leur président se déchaîner sur le monde entier, comme un tigre de bande-dessinée qui s'est échappé dans le monde des adultes.

Mais cela encore, en un sens, devrait le faire apprécier de notre Premier ministre. On a beaucoup jasé sur les différences entre les deux hommes, différences de caractère et d'approche, l'agité opposé au morose. Mais ce qui est intéressant sont leurs similitudes. Tous deux sont des hommes politiques qui ont passé toute leur vie d'adulte, et probablement une grande partie de leur enfance, à vouloir une chose bien précise et à travailler pour l'obtenir : la fonction politique suprême. Tous deux ont minutieusement et complètement préparé la voie pour cela, essayant de débuter avec des ministères-de-tous-les-talents qui confirmeraient l'image qu'ils ont d'eux-mêmes de l'incarnation de leurs nations. Et les deux, bien sûr, se sont cassés la figure avec leur opinion publique, qui voulait un bon jugement, pas l'obsession d'eux-mêmes.

Dans ce sens, cette rencontre pourrait l'occasion pour deux personnes ivres de pouvoir de se soutenir mutuellement. Ce sont des dirigeants dont le soutien s'estompe dans leurs pays et qui ont besoin de quelques succès à l'étranger pour s'imprégner du rôle de chefs d'Etat. M. Sarkozy a plutôt gâché ses tentatives par une série de gaffes lors de ses visites à l'étranger. Gordon Brown n'a jamais vraiment décollé, en partie parce qu'il a toujours donné l'impression de trouver les étrangers et les voyages à l'étranger ennuyeux, sauf son Amérique adorée, bien sûr.

Mais là encore, cela devrait, au moins, unir ces deux hommes. Parce que personne ne devrait avoir aucun doute de l'amour que porte M. Sarkozy sur tout ce qui est anglo-saxon. Ce qui le rend unique parmi les présidents français n'est pas son style de vie, son histoire d'amour, son exubérance ou ses faux pas - bien que tout cela dérange certainement quelque peu l'idée qu'ont les Français sur la manière dont leur dirigeant devrait se comporter. C'est que, étant né d'immigrés hongrois et grecs, il regarde vers l'Ouest pour l'avenir de la France, pas vers le Sud et l'Est.

L'idolâtrie que M. Sarkozy porte sur l'Amérique, sa détermination à faire plier la France et l'Europe vers la forme anglo-saxonne du capitalisme et son enthousiasme à réformer les institutions internationales, devraient en faire l'âme sœur de Gordon Brown. En effet, les deux se sont parfaitement bien entendus avec leurs pays respectifs lorsqu'ils étaient ministres des finances. Cependant, malgré tous ces articles et ces discours extraordinaires sur les nouvelles grandes opportunités pour la coopération anglo-française, peu de gens normaux pensent que cela se produira. C'est en partie dû à l'approche de M. Brown, ou plutôt à son absence, vis-à-vis de l'Europe. Ce n'est pas tant qu'il soit anti-européen. Il ne l'est pas. Mais il ne voit pas l'Europe comme un organisme vivant qui se développe. [Pour lui,] c'est [juste] un marché, une zone, un fait. Il la considère comme un auditoire et un soutien pour ses vues générales sur le commerce mondial, le changement institutionnel et les actions contre des menaces spécifiques telles que le terrorisme. Mais il n'a pas de point de vue particulier sur l'avenir de l'Europe d'ici une dizaine d'années.

L'UE est pour lui une source de problèmes politiques intérieurs et une interférence régulatrice potentielle, pas une avenue conduisant vers le monde de demain. Mais là encore, M. Sarkozy n'est pas très différent. Il prend plein d'initiatives, c'est vrai, mais peu sont réfléchies et encore moins sont suivies. Il veut que la France retourne au centre de l'Otan, mais il veut aussi une force de défense européenne dirigée par la France et la Grande-Bretagne. Il a sorti de son chapeau une politique de regroupement méditerranéen sans considérer l'effet sur les pays non-méditerranéens de l'UE, et en particulier l'Allemagne. Il croit en l'intervention pour réduire l'envolée de l'euro, mais ne la cadre jamais avec une politique économique de laissez-faire.

Cela le rend à la fois imprévisible et potentiellement dérangeant. Sa dernière déclaration publique avant de quitter la France pour Londres cette semaine a été de dire qu'il envisageait sérieusement de boycotter la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques à Pékin, forçant Downing Street à émettre un avis clair selon lequel, par contraste, M. Brown était contre un tel boycott. M. Blair aurait adoré cette occasion que le style de M. Sarkozy présente, mais, là encore, M. Blair est comme le dirigeant français avec son goût pour la gesticulation aux dépends de la préparation politique, ce qui est la raison pour laquelle M. Sarkozy a proposé à M. Blair de devenir le nouveau président de l'UE et que M. Blair est si intéressé : l'apparence de l'importance sans la responsabilité.

En ce sens, M. Sarkozy n'est pas un homme du nouveau monde mais un nationaliste de l'ancien monde. Il aurait été dans son élément avec George Bush et Tony Blair en 2003, jetant la France derrière l'invasion de l'Irak et rehaussant la rhétorique sur la guerre contre la terreur. La question est de savoir s'il est la bonne personne pour aujourd'hui, alors que le monde connaît une en crise financière, que les Etats-Unis glissent vers la récession, que l'Asie affirme une nouvelle puissance, que l'Europe manque d'une réelle définition et que la Grande-Bretagne est dirigée par un homme trop lâche pour rencontrer le Dalaï-Lama à Downing Street et encore moins offenser les Chinois en boycottant leur grande fête olympique.

Traduction [JFG-QuestionsCritiques]