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Occupation perpétuelle de l'Irak

Ce traité soulève des questions
énormes sur notre indépendance

Par Ali Allaoui, ancien ministre des finances irakien
The Independent jeudi 5 juin 2008

article original : "Ali Allawi : This raises huge questions over our independence"

En 1930, un traité anglo-iraquien a été signé en préalable à l'indépendance complète de l'Irak. Après avoir vaincu les Turcs dans la 1ère Guerre Mondiale, la Grande-Bretagne occupa l'Irak et obtint un mandat sur ce pays. Ce traité accordait à la Grande-Bretagne des privilèges militaires et économiques en échange de sa promesse de mettre fin à son mandat. Ratifié par un parlement irakien docile, ce traité fut très mal supporté par les nationalistes. Pendant les vingt-cinq années qui suivirent, la dépendance de l'Irak vis-à-vis de la Grande-Bretagne empoisonna la politique irakienne. Emeutes, troubles civils, soulèvements et coups d'Etat, provoqués dans une large mesure par les violents débats concernant ce traité avec la Grande-Bretagne, caractérisèrent le paysage politique irakien.

Aujourd'hui, l'Irak est confronté à la reprise de ce traité, mais, cette fois-ci, avec les Etats-Unis comme partenaire dominant en lieu et place de la Grande-Bretagne. Les USA font pression sur l'Irak pour promulguer cette "alliance stratégique", en partie comme condition préalable à leur soutien à la suppression du statut de l'Irak sanctionné par le Chapitre 7 de la Charte de l'ONU[1]. Cela n'a rien d'un traité. Il a été structuré comme une alliance, en partie pour éviter de soumettre ses termes à l'approbation du Sénat des Etats-Unis et en partie pour en obscurcir la portée. Bien que ce projet n'ait pas circulé en dehors des cercles officiels, ces fuites soulèvent de sérieuses inquiétudes quant à son importance à long-terme pour la souveraineté et l'indépendance de l'Irak. Bien sûr, les termes de cette alliance seront édulcorés par des promesses d'aide militaire et économique, mais, pour l'essentiel, ils ne sont pas différents des obligations inscrites dans les imbroglios désastreux du précédent traité passé avec l'Irak.

L'administration Bush a fixé au 31 juillet la date limite pour la signature de cet accord. Selon le plan actuel, le projet d'accord devra être porté devant le parlement irakien pour approbation. Toutefois, le parlement [irakien] est redevable aux partis politiques qui dominent la coalition actuelle et il n'y aura probablement pas de débat d'importance sur le sujet. La direction religieuse chiite à Nadjaf, surtout le Grand Ayatollah Sistani, ne s'est pas encore clairement prononcée contre cet accord, bien que ses porte-parole aient fixé des limites qui doivent être respectées par les négociateurs. La hiérarchie religieuse de Nadjaf est probablement la seule institution qui puisse encore bloquer cet accord. Mais il n'est pas clair si la direction politique ou religieuse est prête à s'opposer aux Etats-Unis. Le Président Bush, qui garde un oeil sur l'Histoire, cherche à sauver son expédition en Irak en soutenant que l'Irak est à présent pacifié et qu'il est un allié loyal envers les Américains au Moyen-Orient et dans la Guerre contre la Terreur.

Ce n'est que maintenant que les Irakiens se sont réveillés à la possibilité que l'Irak pourrait être signataire d'un traité de sécurité à long-terme avec les Etats-Unis, le prix à payer pour retrouver sa souveraineté complète. Les Irakiens doivent connaître ses détails et ses implications. Comment une telle alliance entraverait-elle la liberté de l'Irak dans le choix de ses partenaires commerciaux, militaires et politiques ? L'Irak sera-t-il obligé de soutenir ouvertement ou en secret toutes les politiques américaines au Moyen-Orient ? Ce sont des questions dont la nature est vitale et qui ne peuvent être écartées par les platitudes du gouvernement irakien relatives à la "protection des intérêts irakiens". Un traité d'une telle importance singulière pour l'Irak ne peut pas être complètement passé en revue avec moins de quelques semaines de débat. Dans le cas contraire, l'alliance stratégique proposée sera très certainement un élément de division dans la politique irakienne. Il aura le même effet désastreux que le traité passé avec la Grande-Bretagne il y a près de quatre-vingts ans.

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]

Note :
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[1] Le Chapitre VII de la Charte des Nations-Unies

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Le plan secret pour maintenir l'Irak sous contrôle américain, par Patrick Cockburn