La grande question
Quelle est la nouvelle stratégie française de défense et devons-nous faire de même ?
Par Anne Penketh, rédactrice en chef - Diplomatie
article original : "The Big Question: What is the new French defence strategy, and should we follow suit?"
The Independent, mercredi 18 juin 2008
Pourquoi parlons-nous de cela ?
Parce que Nicolas Sarkozy, le Président français, a dévoilé hier, pour la première fois en 14 ans, les plans pour restructurer la stratégie de défense et de sécurité de la France. Les réformes françaises arrivent après le 11/9 et elles répondent aux défis stratégiques et aux nouvelles menaces provenant de la mondialisation, comme les attaques informatiques. Le livre blanc est scruté minutieusement parce que la France et la Grande-Bretagne sont les deux plus grandes puissances militaires en Europe, avec la capacité d'envoyer des forces armées expéditionnaires loin de leurs frontières sur une période prolongée.
Qu'y a-t-il dans cet ensemble de mesures ?
Il veut rationaliser les forces françaises pour les rendre plus flexibles en terme de déploiement rapide "depuis l'Atlantique jusqu'à l'Océan Indien", et il appelle à une réduction de 54.000 employés dans le personnel de la défense. Mais selon cette réforme, la France serait capable de projeter 30.000 soldats avec 70 avions de combat, pendant une période allant de six mois à un an. Il y a aussi un nouvel accent porté sur les renseignements et les alertes avancées concernant les menaces, pour se préparer à d'éventuelles attaques par des armes de destruction massive (nucléaires, biologiques et chimiques) ou par des missiles balistiques, à un moment où plus de pays, comme l'Iran, développent des missiles à longue portée.
M. Sarkozy avait beaucoup à dire sur la défense européenne et sur son intention de faire revenir la France dans le commandement militaire intégré de l'Otan. Il a dit que les partenaires européens de la France étaient troublés par les intentions françaises parce qu'elle était restée sur la touche depuis 1966, bien qu'elle soit l'un des plus gros contributeurs de l'Otan en troupes et l'un de ces membres fondateurs. M. Sarkozy a souligné qu'il restait engagé à l'indépendance de la France, en disant que la France n'abandonnerait pas le commandement de ses propres forces en temps de paix et que ses forces nucléaires resteraient sous contrôle national. Liant son initiative relative à l'Otan à une plus grande intégration européenne, il a réaffirmé son engagement à construire une défense européenne et il a appelé les Européens à être capables de projeter un total de 60.000 personnels militaires en même temps hors des frontières du bloc.Quelles sont les grandes menaces ?
M. Sarkozy a identifié le terrorisme comme étant la plus grande menace de la France. "Aujourd'hui, la menace la plus immédiate est celle d'une attaque terroriste", a-t-il dit. "Grâce à l'efficacité de nos forces de sécurité, la France n'a pas été attaquée ces dernières années. Mais la menace est là, elle est réelle et nous savons qu'elle pourrait prendre demain une nouvelle forme, même plus sérieuse, par des moyens nucléaires, chimiques et biologiques".
Mais il a ajouté que l'Iran est "aujourd'hui, la plus grande menace du monde", disant que la France agirait avec ses partenaires afin de "faire tout pour résoudre la crise iranienne".Quelle est la réaction à cette réorganisation ?
Certaines personnes on dit que c'était une "révolution" française, à cause des idées audacieuses. Mais même avant que le président ne s'adresse à 3.000 militaires hauts-gradés à Paris, il avait été critiqué pour "dévaluer" l'armée française.
Lors de son discours, le président de centre-droit a pris de plein fouet cette critique et il a fermement nié que c'était son intention, promettant qu'il n'y aurait pas de réductions budgétaires durant son quinquennat. La portée principale du livre blanc a été divulguée ces derniers jours et M. Sarkozy, à de précédentes occasions, en a dressé les contours des points principaux, y compris le renforcement de la dissuasion nucléaire française, l'établissement d'une base militaire française dans les Emirats Arabes Unis et la renégociation de la défense avec les Etats africains.
Deux députés socialistes ont démissionné lundi de la commission qui présentait le livre blanc, accusant M. Sarkozy de céder aux exigences du Président George Bush en confirmant que la France rejoindrait le commandement militaire intégré de l'Otan. L'Assemblée Nationale doit discuter le mois prochain de ce document.La Grande-Bretagne devrait-elle suivre l'exemple français ?
En fait, les Français suivent la direction de la Grande-Bretagne et, selon les experts de la défense, le livre blanc est attendu depuis longtemps. Le Royaume-Uni a fixé la norme en matière de stratégie de défense, il y a 10 ans, avec une révision en 1997-98 qui a été adaptée depuis lors.
Les Français essayent de rattraper la Grande-Bretagne en appliquant cette nouvelle stratégie, à la fois aux menaces intérieures et aux menaces internationales, avec plus d'argent allant vers la défense intérieure. La France a réalisé sa faiblesse dans la première Guerre du Golfe en 1991, lorsqu'elle a été incapable de projeter le même nombre de forces en Irak que la Grande-Bretagne. Le prédécesseur de M. Sarkozy, Jacques Chirac, n'avait pas mis en place de réformes militaires à grande-échelle après avoir annoncé la professionnalisation complète des forces armées en 1996. A présent, M. Sarkozy examiné les structures militaires de manière approfondie, pour rendre les forces armées plus flexibles et plus mobiles.
Mais cela impliquera de réduire le personnel de défense, passant d'un total actuel de 320.000 à 266.000. Sur les six ou sept ans à venir, l'armée de terre sera réduite de 17%, l'armée de l'air de 24% et la marine de 11%.Comment les deux pays se comparent-ils ?
La France a toujours légèrement plus de forces armées et a la plus grande armée d'Europe, même si l'on prend en compte les réductions prévues. En 2007, la France avait 255.000 hommes et femmes dans le service d'active, comparé à 180.000 pour le Royaume-Uni.
En termes de dépenses de défense, la France dépensait 2,4% de son PIB, comparé à 2,5% pour la Grande-Bretagne. Cette réorganisation donne donc à la France plus d'espace pour manœuvrer en termes d'investissements.
En fait, les deux pays, qui sont des puissances de taille moyenne - M. Sarkozy a décrit la France comme une "puissance diplomatique et militaire majeure" -, coopèrent très étroitement sur les questions militaires et ont beaucoup de respect l'un pour l'autre.
Dans son discours, M. Sarkozy a mentionné spécifiquement les accords franco-britanniques de Saint Malo. Le président a cependant fait remarquer que, comparée à la puissance militaire des industries militaires américaines, l'Europe restait une naine.Quelque chose d'autre ?
Il y a une similarité entre les deux pays, que M. Sarkozy a soulevée lorsqu'il a parlé de la qualité médiocre de certains équipements militaires, et qui trouvera un écho chez les soldats britanniques.
Alors qu'il parlait de la nécessité d'investir dans un équipement moderne qui fonctionne, il a révélé que seul un char Leclerc sur deux fonctionne, que les avions de ravitaillement avaient 45 ans, que certains chars légers avaient 28 ans et que certains hélicoptère Puma avaient 30 ans.
Les soldats britanniques se sont plaint d'avoir été envoyés au combat avec des fusils SA80 défectueux, tandis que les chars Challengers déployés dans le Golfe connaissent une pénurie en pièces détachées.La France et la Grande-Bretagne sont-elles sur la même longueur d'onde en matière de défense ?
Oui...
* Elles ont beaucoup de choses en commun, parce qu'elles sont toutes deux des puissances de taille moyenne en Europe
* Leurs armées sont tout à fait capables et coopèrent bien
* Elles se sont déjà mises d'accord pour prendre un commandement conjoint sur la politique de défense européenneNon...
* Elles ne coopéreront jamais étroitement parce qu'elles sont rivales
* Les menaces auxquelles sont confrontées les puissances insulaires et les puissances continentales sont trop différentes
* La France a sorti son livre blanc pour concurrencer le Royaume-Uni, pas pour l'imiter
Traduction [JFG-QuestionsCritiques]