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Diplomatie parallèle

Les Etats-Unis et l'Iran mènent des discussions 'secrètes' sur le programme nucléaire

Par Anne Penketh, rédactrice en chef - Diplomatie

The Independent, lundi 14 avril 2008
article original : "US and Iran holding 'secret' talks on nuclear programme"

Pendant ces cinq dernières années, l'Iran et les Etats-Unis ont mené des discussions secrètes sur le programme nucléaire iranien et la relation au sens large entre les deux ennemis jurés, par une voie "diplomatique parallèle".

L'un des participants, l'ancien diplomate américain de premier plan, Thomas Pickering, a expliqué qu'un groupe d'anciens diplomates et d'experts américains avaient rencontré des universitaires et des conseillers politiques iraniens "dans beaucoup de lieux différents, mais pas aux Etats-Unis ou en Iran".

"Certains de ces Iraniens étaient liés à des institutions officielles à l'intérieur de l'Iran", a-t-il dit dans une interview téléphonique depuis Washington. Ce groupe a été organisé par l'Association Onusienne des USA (UNA-USA), une organisation pro-ONU. Son travail a été facilité par l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, un groupe de réflexion financé par le gouvernement suédois et présidé par l'ancien inspecteur en chef de l'ONU pour l'armement en Irak, Rolf Ekeus.

Tandis que la question nucléaire était au "premier plan", a dit M. Pickering, "nous discutions des problèmes intérieurs dans les deux pays et d'un grand nombre de sujets" affectant les relations entre les Etats-Unis et l'Iran. Bien qu'aucun membre du groupe ne fût issu des gouvernements américain ou iranien, il a dit que "chaque camp gardait ses officiels informés". L'administration Bush "ne nous a pas découragés", a-t-il ajouté.

M. Pickering a refusé d'aller plus avant dans les détails de crainte de compromettre les rencontres futures du groupe, constitué d'environ une douzaine d'Américains et d'Iraniens, bien que le nombre de participant varie. Les discussions par la voie officieuse ont souvent apporté une impulsion cruciale pour résoudre les conflits les plus intraitables du monde. Elles ne deviennent généralement publiques qu'en cas d'accord, comme on l'a vu avec l'Irlande du Nord ou les accords d'Oslo au Proche-Orient, ou d'échec, comme dans le cas d'une voie officieuse israélo-syrienne.

La révélation de l'existence d'une voie officieuse Iran/Etats-Unis coïncide avec la récente publication par trois de ses membres américains, dont M. Pickering, de propositions destinées à surmonter l'impasse entre l'Iran et l'Ouest sur les ambitions nucléaires de Téhéran. Cette initiative porte sur la question critique du droit iranien à enrichir l'uranium sur son sol, tout en apportant des garanties que le carburant nucléaire ne sera pas détourné pour des objectifs militaires.

M. Pickering a parlé d'une réaction "plutôt positive" à ce plan, qui envisage un consortium international pour gérer conjointement l'enrichissement de l'uranium sur le sol iranien.

Toutefois, l'administration Bush n'a pas réagi et reste attachée à sa politique actuelle de sanctions, destinées à forcer l'Iran à stopper l'enrichissement d'uranium, en ligne avec les exigences de l'ONU, tout en offrant l'occasion d'enrichir l'uranium à l'extérieur du pays par l'intermédiaire d'un consortium russe. Un porte-parole des Affaires Etrangères britanniques a dit que la Grande-Bretagne avait "conscience" de ces propositions mais n'avait pas donné de réponse officielle. Le gouvernement iranien, selon M. Pickering, a laissé savoir qu'ils "n'y répondraient pas à moins que cela soit proposé officiellement".

Dans les cercles du contrôle de l'armement, ce plan a gagné de l'influence "parce qu'il est tellement respecté", a dit George Perkovich du Carnegie Endowment for International Peace, en parlant de M. Pickering, qui est un ancien sous-secrétaire d'Etat. Cette initiative, co-signée par le président de l'UNA-USA William Luers, un ancien diplomate, et Jim Walsh, expert nucléaire au Massachusetts Institute of Technology, a été dévoilé pour la première fois fin-février dans la New York Review of Books, où il a généré un débat supplémentaire.

M. Pickering dit qu'avec ses collègues ils ont décidé d'agir maintenant parce que la politique des Etats-Unis était "bloquée", à la lumière du refus iranien de céder à l'exigence de l'ONU de stopper l'enrichissement d'uranium, malgré l'imposition de sanctions économiques. Les perspectives de pourparlers en face-à-face entre les Etats-Unis et l'Iran sont par conséquent bloquées, dit-il, soutenant que cette affaire est urgente parce que l'Iran continue d'installer des centrifugeuses à son usine principale d'enrichissement de Natanz.

Mais d'autres experts font remarquer qu'avec 3.000 centrifugeuses à Natanz qui tournent à seulement à 20% de leur capacité à cause de problèmes techniques, l'Ouest peut prendre son temps.

James Acton, spécialiste nucléaire au Département des Etudes sur la Guerre du King's College de Londres, a dit que le défi consisterait à empêcher l'Iran d'obtenir une arme nucléaire par une voie clandestine, grâce au savoir-faire technique qui serait obtenu de la part de partenaires étrangers.

M. Pickering a dit : "Cela peut être faisable si les gouvernements souhaitent le faire, techniquement et financièrement. Mais cela nécessitera beaucoup de négociation".

Certains analystes font remarquer qu'un progrès était peu probable tant que George Bush est à la Maison-Blanche et que Mahmoud Ahmadinejad est à la présidence de l'Iran, où des élections sont programmées pour l'année prochaine. "Pourquoi l'Iran essayerait-il d'y parvenir maintenant ? Ils ont l'impression d'avoir gagné, il n'y a pas assez de sanctions et il n'y a pas de menace de guerre", a dit M. Perkovich.

Prendre l'Iran au mot ?

L'initiative Luers-Pickering-Walsh, en accédant à la demande principale des Iraniens d'avoir un programme d'enrichissement de l'uranium sur le sol iranien, donne à l'Iran l'occasion de prouver que ses intentions nucléaires sont pacifiques. Les activités d'enrichissement auraient lieu sous la supervision d'un consortium international géré conjointement [avec les Iraniens]. Ce plan est le plus détaillé de la sorte depuis 2005. Les conditions qui devraient être négociées avec l'Iran incluraient :

* une résolution du Conseil de Sécurité de l'ONU autorisant cet arrangement et spécifiant que si l'Iran rompt cet accord, les Etats membres seraient autorisés à prendre une action punitive ;

* l'Iran aurait l'interdiction de produire de l'uranium hautement enrichi, qui est du carburant de qualité militaire, ou de retraiter le plutonium, qui peut constituer une voie alternative à la production d'une bombe ;

* l'Iran mettrait en application les mesures d'inspection contraignantes du Protocole Additionnel du Traité de Non-Prolifération nucléaire [qu'il a signé] ;

* l'Iran s'engagerait à construire des réacteurs à eau-légère "sûrs".

Traduction [JFG-QuestionsCritiques]