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Le roi du Bhoutan renonce à la monarchie absolue

Par Matthew Rosenberg à Thimphu, Bhoutan
The Independent lundi 24 mars 2008

article original : "King of Bhutan gives up his absolute monarchy"


Le Roi Jigme : Il restera chef de l'Etat après les élections (AFP/GETTY)

Le royaume himalayen du Bhoutan, une terre qui a fait de la promotion du bonheur son objectif suprême, met fin aujourd'hui, avec ses premières élections parlementaires, à plus d'un siècle de pouvoir royal. Et personne, à part le Roi qui renonce à son pouvoir, ne semble heureux de cela.

Les candidats disent d'eux-mêmes avec fierté qu'ils sont monarchistes. Les employés des partis décrivent ce vote comme "brisant le cœur". Les électeurs s'inquiètent de ce que le Pays du Dragon-Tonnerre va devenir, lorsque qu'il échangera son Précieux Dirigeant pour des politiciens.

Le Bhoutan est depuis longtemps un résistant excentrique à la modernité : une terre montagneuse où régnaient des rois bouddhistes - internet et la télévision n'ont été autorisés qu'en 1999. C'est peut-être son Bonheur National Brut [BNB], une philosophie politique englobant tout ce qui cherche à équilibrer le progrès matériel avec le bien-être spirituel, qui rend le Bhoutan le plus célèbre.

A certains égards, cette élection n'est pas différente. Contrairement à un si grand nombre d'autres pays, où le bouleversement a aidé à accoucher de la démocratie, le Bhoutan n'a jamais été plus pacifique ou prospère : il ne vote que parce que le roi a dit qu'il devait le faire.

"Personne ne veut de cette élection", a déclaré Yeshi Zimba, l'un des candidats, alors qu'il faisait campagne en porte-à-porte dans la capitale, Thimphu. "Jusqu'à maintenant, Sa Majesté nous a guidés et les gens demandent, 'Pourquoi changer maintenant ?'" Après l'élection, le Roi Jigme Keshar Namgyal Wangchuck, 28 ans, restera chef de l'Etat et gardera probablement beaucoup d'influence. Mais les dirigeants élus seront en charge des affaires, un fait qui inquiète beaucoup de personnes ici, qui ont vu les démocraties désastreuses du Népal et du Bengladesh, de même que la politique souvent corrompue et chaotique dans l'Inde voisine.

"Les gens regardaient ce qui se passaient en Asie du Sud en disant : 'Non merci'," a dit Kinley Dorji, qui dirige le quotidien d'Etat Kuensel. "Mais Sa Majesté a dit que l'on ne peut pas laisser un pays si petit et si vulnérable entre les mains d'un seul homme qui a été choisi en fonction de sa naissance et non par le mérite".

Les Bhoutanais n'en sont pas si sûrs et les deux partis politiques s'accrochent tous deux étroitement à la vision du roi, encourageant le bonheur national brut et les dirigeants figurants qui ont servi tous deux comme Premiers ministres sous l'autorité du roi. Dans un camp, se trouve Sangay Ngedup, 58 ans, le frère de l'une des quatre femmes du roi. Dans l'autre camp, Jigmi Thinley, 56 ans, un homme qui a aidé à mettre du corps autour du concept royal de bonheur national brut.

"Pourquoi avons-nous besoin de ces personnes et de leurs querelles ?" a demandé Kinzang Tshering après avoir écouté le discours de l'un des candidats. "Ils nous disent qu'ils sont meilleurs que l'autre. Comment pourrais-je savoir lequel est le meilleur des deux ? Je pense que Sa Majesté est meilleure".

Le scrutin pour les 47 sièges de l'Assemblée Nationale est la dernière étape d'un lent engagement avec le monde, que le Bhoutan a commencé au début des années 60. A l'époque, le Bhoutan était une société médiévale, sans routes pavées, sans électricité et sans hôpitaux. Les marchandises étaient plutôt troquées qu'achetées et pratiquement aucun étranger ne pouvait y entrer.

Mais à travers l'Himalaya, d'autres royaumes bouddhistes isolés, tels que le Tibet et le Sikkim passaient sous la domination de puissances étrangères et le Bhoutan - pris en sandwich entre l'Inde et la Chine - a décidé qu'il avait besoin de changer pour survivre. "Dans le passé, la stratégie était de se cacher dans les montagnes", a dit M. Dorji. Plus maintenant. Ce pays d'environ 600.000 habitants a désormais une économie monétaire. Il y a même des chances qu'il rejoigne bientôt l'Organisation Mondiale du Commerce et des milliers de touristes y sont accueillis chaque année, bien qu'en excursions coûteuses et lourdement surveillées.

Le Bhoutan garde un grand nombre de ses particularités. L'escalade est interdite pour préserver les forêts primaires que les lois dictent de recouvrir 60% du pays. Les Bhoutanais doivent se déplacer en public dans leurs robes nationales ; une robe colorée tombant jusqu'aux genoux pour les hommes et une veste de soie brodée avec une jupe portefeuille pour les femmes.

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]