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Au Brésil, les guerres meurtrières pour la terre
placent les chefs indigènes dans la ligne de tir

Par Natalia Viana
The Independent le 23 juillet 2007

article original : "Brazil's deadly land wars put indigenous leaders in firing line"


A Coronel Sapucaia, dans l'Etat frontalier du Mato Grosso do Sul, le leader indigène brésilien, Ortiz Lopes, a été appelé à sa porte. Il était 6h30 du matin. Selon sa femme, le chef du peuple harcelé Guarani-Kaiova, a entendu une voix qu'il ne connaissait pas appeler son nom derrière sa porte. Il n'a eu que le temps de demander qui c'était avant de recevoir une balle mortelle et le tireur à livré son message : "Les fermiers m'ont envoyé pour régler ton compte".

M. Lopes était très connu dans la région pour les efforts qu'ils menaient dans la revendication des terres qui avaient appartenu aux Guarani. Sa mort, au début du mois, a été la dernière dans ce qui est devenu une année sanglante dans les Etats frontaliers brésiliens du Mato Grosso et du Para. Alors que le meurtre, l'année dernière, de la nonne américaine Dorothy Stang a réveillé la mémoire du meurtre du leader syndical Chico Mendes et a attiré l'attention mondiale sur ces conflits terriens meurtriers, les 20 morts, jusqu'à présent, de cette année au seul Mato Grosso sont passés largement inaperçus.

Les Guarani ont été expulsés de leur terre, dans les années 70, par des éleveurs de bétail. Aujourd'hui, 35.000 d'entre eux survivent sur une petite parcelle dans une municipalité voisine. Les hommes ont essentiellement des emplois mal payés dans des plantations de canne à sucre. Selon le Conseil Indigène Missionnaire (CIMI), une organisation liée à l'Eglise catholique, les conditions épouvantables dans lesquelles ils vivent ont conduit à l'un des taux de suicide et d'alcoolisme les plus élevés du pays.

M. Lopes avait déjà échappé à une tentative de meurtre et il avait reçu des menaces de mort répétées. En janvier dernier, lui-même et un groupe de familles ont occupé le ranch Madama, qui a été installé sur une terre qui, selon eux, aurait été prise illégalement. Les contestataires ont été violemment évincés et ont été accusés de squatter. Durant cette opération, Xurete Lopes, âgée de 70 ans, leur guide spirituelle, a été tuée. Personne n'a été poursuivi pour sa mort. En mai, les Guarani sont retournés sur la même parcelle et, devant des agents fédéraux agissant comme témoins, ils ont exposé officiellement leurs revendications sur la terre contestée. A présent, M. Lopes est enterré dans une petite concession funéraire près de sa guide spirituelle.

Sa mort n'est pas un événement isolé. Selon CIMI, plus de meurtres ont eu lieu au Mato Grosso depuis le début de cette année que tout au long de l'année 2006.

La Commission Pastorale de la Terre, une organisation qui surveille les conflits terriens, a dénombré 39 assassinats au Brésil en 2006 pour des conflits terriens et 72 autres tentatives de meurtre. Qu'ils visent un membre du mouvement des sans-terre, un leader syndical ou un leader indigène, les meurtres politiques au Brésil suivent le même modèle. En général, les victimes exigent une portion de la terre qu'ils prétendent avoir été achetée illégalement ou saisie par un fermier. Souvent, ils occupent la terre revendiquée avant d'être expulsés violemment. Les menaces de mort s'ensuivent, tandis que les tribunaux font traîner les règlements des conflits.

En tout, ces dix dernières années, les conflits terriens ont été liés à 1.464 meurtres, mais seuls 71 assassins et 19 commanditaires ont été déclarés coupables.

Les analystes pointent du doigt le gouvernement fédéral qui ignore ce problème et encourage ainsi une culture d'impunité pour les meurtriers.

Selon Darci Frigo, le directeur de Terra de Direitos (Terre des Droits), les origines de ces assassinats est la criminalisation des mouvements syndicaux au Brésil. "Ce qui se passe est que ces leaders sont démoralisés dans l'arène publique : ils sont accusés de crimes qu'ils n'ont pas commis".

Cette affirmation est soutenue par Hina Jilani, le représentant spécial des Nations-Unies des défenseurs des droits de l'homme, qui a noté, dans un rapport récent, que "les défenseurs des droits de l'homme ont été sujets à des poursuites judiciaires injustes et calomnieuses, à des arrestations répétées et à la diffamation comme moyen de rétorsion par l'Etat, ainsi que par des puissantes et influentes entités non étatiques". Ce rapport attire l'attention sur "la responsabilité de l'Etat, qui doit garantir aux défenseurs des droits de l'homme de ne pas être laissés isolés dans leur lutte ou leur soutien à la justice sociale contre les entités sociales puissantes et influentes et les intérêts économiques".

Malheureusement, alors que le meurtre de M. Lopes le souligne, c'est exactement l'inverse qui se produit.

Natalia Viana est une journaliste brésilienne.

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]