Gabon
Ce népotiste corrompu qui a dirigé le Gabon pendant 40 ans
par Daniel Howden
article original : "The corrupt nepotist who ruled Gabon for 40 years"
The Independent, 10 juin 2009La mort du Président Omar Bongo dans un hôpital espagnol, hier, met fin à une
certaine ère de l’histoire africaine. Reportage sur un homme qui a accumulé
les richesses avec la même détermination qu’il s’est accroché au pouvoir
Omar Bongo maîtrisait si bien l’art de se maintenir au pouvoir qu’à la fin de sa vie il n’y avait personne dans son pays disposant de suffisamment d’autorité pour annoncer sa mort. Il a fallu plus de 24 heures pour que la mort du président du Gabon, âgé de 73 ans, soit confirmée, durée pendant laquelle il y a eu pas moins de trois réfutations officielles de la part de cette nation ouest-africaine.
En fin de compte, c’est Jean Eyeghe Ndong, le Premier ministre gabonais, qui a eu le dernier mot hier après-midi. Il a confirmé que le président était mort d’un arrêt cardiaque dans un hôpital de Barcelone. C’était juste quelques heures après que ce même officiel avait tenu une conférence de presse dans cette clinique pour déclarer qu’il avait vu son président « en vie et qu’il allait bien ».
Ce dirigeant africain qui est resté le plus longtemps au pouvoir aurait probablement apprécié cette confusion. Ce fut certainement un hommage à sa capacité extraordinaire d’écarter les rivaux et de s’assurer qu’aucun concurrent, tant individuel qu’institutionnel, ne pouvait construire une base de pouvoir pour le défier. « Le plus grand héritage d’Omar Bongo est la stabilité politique qu’il a réussi à accomplir et à maintenir durant son exercice du pouvoir », a déclaré Tara O’Connor, la directrice générale d’Africa Risk Consulting. « Contrairement à ses voisins, le Congo-Brazzaville et la Côte d'Ivoire, où la résistance des élites à la démocratie à fini par provoquer la guerre civile, le Président Bongo a relevé ce challenge et a par la suite coopté avec art ses opposants aux plus hauts postes du gouvernements. »
Albert Bernard Bongo est né en 1935. Il était le 12ème fils d’un fermier qui est mort lorsqu’il avait sept ans. Son site internet officiel vante qu’il « n’est pas arrivé au monde dans un lit d’hôpital et qu’il n’avait ni couffin ni nourrice. » En 1973, six ans après sa prise du pouvoir sur le Gabon en tant que premier dirigeant post-indépendance, il s’est converti à l’islam, prenant le nom d’El Hadj Omar Bongo. A sa mort, son nom était Omar Bongo Odimba, après qu’il eut ajouté un nom traditionnel pré-colonial, revendiqué pour souligner son identité africaine.
Il y avait peu de chose que cet homme, qui portait des chaussures à talons compensés pour cacher sa petite taille, n’aurait fait pour prendre l’avantage. Et cela n’a pas joué une mince part dans le fait que lorsqu’il est mort, il était l’un des hommes les plus riches du monde.
Bien qu’aucun chiffre clair de sa fortune n’ait été confirmé, l’étendue des richesses qu’il avait pillées a commencé à émergé, grâce à un procès en France contre l’ancien maître du Gabon. M. Bongo était l’un des trois dirigeants africains accusés cette année de détournements de fonds par l’organisme de surveillance français, Transparence Internationale. Egalement sous investigations se trouvent le dirigeant de la République du Congo, Denis Sassou Nguesso, un proche allié et beau-père de M. Bongo, et Teodoro Obiang Nguema de la Guinée Equatoriale. Ce trio a été accusé de piller les coffres de leurs Etats. Leurs portefeuilles étendus de propriétés françaises, valant plusieurs fois les revenus officiels de leurs Etats, ont été cités comme preuve de corruption.
Tout au long des quarante années où il a été aux affaires, qui ont débuté avec la mort de son prédécesseur Léon M’Ba en 1967 dans un hôpital français, l’ancien officier Bongo a fait montre d’une compréhension aiguë de l’importance des relations avec Paris. « Le Gabon sans la France est comme une voiture sans chauffeur. La France sans le Gabon est comme une voiture sans carburant », est la façon dont l’ancien lieutenant de l’armée de l’air française aimait décrire le lien entre les deux pays.
Lorsque le géant pétrolier français ELF cherchait une base pour ses opérations dans les années 70, M. Bongo s’assura que ce soit vers le Gabon que la France se tournât en premier. Le procès à Paris de l’ancien président d’ELF, Loïc le Foch-Prigent, a révélé l’étendue de la corruption et les contrats secrets lors du boom pétrolier qui a suivi, lorsque la compagnie reçut l’autorisation d’opérer comme un « Etat dans l’Etat », d’une manière annonciatrice des derniers contrats avec le Nigeria de compagnies pétrolières telles que Royal Dutch Shell. Le président gabonais a ignoré les révélations qui ont été faites sur les énormes versements de pots-de-vin vers ses comptes personnels, les réfutant comme étant un « problème français ».
Avant le procès actuel porté par Transparence Internationale, une enquête de police concernant l’immobilier possédé par le président et sa famille a découvert 33 propriétés à Paris et sur la Côte d’Azur estimées à 220 millions d’euros. Il y a dix ans, une enquête du Sénat américain concernant des opérations bancaires à Citibank a évalué que le président (gabonais) détenait 150 millions d’euros dans ses comptes personnels et a conclu qu’il ne pouvait y avoir « aucun doute que ses avoirs financiers trouvaient leur origine dans les finances du Gabon ».
Au moyen d’un débours astucieux de sa vaste fortune, amassée à partir du pétrole, ce fils de fermier a maintenu des amitiés avec des politiciens français de toutes les couleurs politiques, qui l’ont maintenu au pouvoir pratiquement jusqu’à la fin. « Il était une grande figure de l’Afrique », un « homme qui avait de l’influence », a déclaré le ministre français de la défense Hervé Morin lorsqu’il a appris son décès. Cette relation spéciale était toutefois devenue tendue sous la présidence de Nicolas Sarkozy, dont le gouvernement envisage actuellement de démanteler sa base militaire de Libreville, forte de 1.000 hommes.
Cette relation glaciale a trouvé une démonstration dans la décision, le mois dernier, de cet autocrate malade de se faire soigner à Barcelone, plutôt que dans un hôpital français. Au milieu des rumeurs selon lesquelles il était atteint du cancer, les officiels gabonais ont insisté sur le fait qu’il faisait un « check-up de routine ». Même après sa mort, le Premier ministre de ce pays ouest-africain a insisté pour dire que M. Bongo était mort d’un « arrêt cardiaque », ne mentionnant aucunement son cancer.
A Libreville, l’une des blagues favorites était que la façon la plus rapide de devenir millionnaire consistait à établir un parti d’opposition. L’expérience de Pierre Mamboundou, dirigeant de l’Union du Peuple Gabonais – lequel, jusqu’à récemment, était considéré comme le principal challenger du président – est la preuve qu’il s’agit de bien plus qu’une simple boutade. M. Mambountou, ce vétéran qui a mené deux courses à la présidentielle acharnées contre M. Bongo et en fin de compte infructueuses, avait la réputation de ne pas mâcher ses mots et de dire ce qu’il pensait. D’ailleurs, il se préparait à aller en prison à cause de la force de ses convictions. Depuis 2006, il est devenu silencieux sur le plan politique et il a révélé récemment que Bongo lui avait proposé de lui donner 21,5 millions de dollars pour développer son électorat.
Si cette affaire illustre la carotte utilisée par ce fils de fermier, alors Joseph Rendjambe révèle, lui, l’usage du bâton. Ce leader de l’opposition est mort dans des circonstances mystérieuses en 1990, l’année même où le président a finalement cédé à la pression de renoncer à un Etat monopartiste et d’introduire une démocratie multipartite. Sauf qu’il n’y avait personne pour conduire l’opposition. La mort de Rendjambe déclencha des émeutes qui secouèrent le Gabon pendant des semaines et présentèrent une rare menace pour le régime.
La réalité des années Bongo signifiait que tandis que le Gabon évitait la pire des instabilités qui ont touché l’Afrique de l’Ouest, il a aussi manqué les occasions de se transformer en un pays dont la richesse par habitant aurait pu être la même qu’au Portugal. Une petite élite favorisait l’idée que le Gabon en vienne à donner naissance à une classe moyenne, mais beaucoup dans les zones rurales n’ont pas bénéficié de l’argent du pétrole. Tandis que ce pays a près de 1.500 km de pipelines, il a moins de 1.000 km de routes pavées.
Le décès d’un des “Grands Hommes” parmi les plus mémorables de l’Afrique a provoqué la confusion et la peur à Libreville, où de nombreuses boutiques et entreprises ont été fermées depuis que des reportages sont sortis en premier dans la presse française dimanche soir. Pour la vaste majorité des 1,4 millions d’habitants de cette minuscule nation, ce fils de fermier de petite taille fut le seul président qu’ils ont connu, ayant été aux commandes pendant 41 ans. « Nous avons fermé le restaurant depuis l’annonce de sa mort », a dit un serveur. « Les gens ont peur ».Traduction [JFG-QuestionsCritiques]
Le Président Omar Bongo (à gauche) et son homologue du Congo-Brazzaville
Denis Sassou Nguesso passent en revue une garde d’honneur à l’aéroport de Libreville. (GETTY)
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Des propriétés enregistrées sous les noms du Président Bongo et de son fils, faisant partie
de ce que l’on dit être un empire immobilier de plus de 135 millions d’euros. (Reuters)