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Tout laisse penser que l'offre mondiale de pétrole
s'épuisera plus vite que prévu

Par Daniel Howden
The Independent, le 14 juin 2007

article original : "World oil supplies are set to run out faster than expected, warn scientists"


Des scientifiques ont critiqué un rapport majeur sur les réserves mondiales restantes de pétrole, prévenant que la fin du pétrole arrive plus vite que ce que les gouvernements et les compagnies pétrolières veulent bien admettre.

Le Rapport Statistique sur l'Energie Mondiale, publié hier par BP, semble montrer que le monde a encore assez de réserves "prouvées" pour répondre, au rythme actuel, à 40 années de consommation. Cette affirmation, basée sur des chiffres officiels rapportés, a une fois de plus fait reculer la date où l'on estime que le monde sera asséché.

Cependant, des scientifiques, emmenés par le Oil Depletion Analysis Centre [le centre d'analyse sur la diminution du pétrole], dont le siège est à Londres, disent que la production globale de pétrole doit atteindre son apogée dans les quatre prochaines années avant d'entrer dans un déclin rapide qui aura des conséquences massives pour l'économie mondiale et la manière dont nous vivons.

Selon la théorie du "pic pétrolier", notre consommation de pétrole rattrapera, puis dépassera la découverte de nouvelles réserves et nous commencerons à épuiser les réserves connues.

Colin Campbell, le chef du centre sur la diminution, a déclaré : "C'est une théorie assez simple que tout buveur de bière peut comprendre. Au début, le verre est plein et à la fin il est vide. Et plus vite vous le buvez, plus vite il est vide".

Le Dr Campbell est un ancien géologue en chef et ancien vice-président d'une kyrielle de majors pétrolières comprenant BP, Shell, Fina, Exxon et ChevronTexaco. Il explique que le pic de pétrole standard — celui qui est facile et peu coûteux à extraire — a déjà été atteint et qu'il a été dépassé en 2005.

Même lorsque vous prenez en compte le pétrole lourd plus difficile à extraire, les réserves dans les profondeurs de l'océan, les régions polaires et le liquide prélevé du gaz, le pic arrivera aussi tôt que 2011, déclare-t-il.

Ce scénario est platement réfuté par BP, dont le chef économiste, Peter Davies, a écarté les arguments des théoriciens du "pic pétrolier".

"Nous ne croyons pas qu'il y a une contrainte absolue de ressource. Lorsque le pic pétrolier arrivera, il est juste probable qu'il proviendra du pic de consommation, peut-être à cause des politiques relatives au changement climatique comme de la culmination de la production."

Ces dernières années, le fossé autrefois considérable entre la demande et l'offre s'est réduit. L'année dernière, ce fossé a quasiment disparu. Les conséquences d'une pénurie seraient immenses. Si la consommation commence à excéder la production ne serait-ce que de la plus petite quantité, le prix du pétrole pourrait dépasser les $100 le baril. Une récession globale s'ensuivrait.

Jeremy Leggert, à l'instar du Dr Campbell, est un défenseur des ressources naturelles devenu géologue dont le livre "Half Gone: Oil, Gas, Hot Air and the Global Energy Crisis" [A moitié disparus : le Pétrole, le Gaz, les Paroles en l'Air et la Crise Energétique] a amené la théorie du "pic pétrolier" vers un public plus large. Il compare la réticence de l'industrie et du gouvernement à faire face à la fin imminente du pétrole au déni du changement climatique.

"Cela me rappelle la manière dont personne, pendant des années, ne voulait écouter les scientifiques qui alertaient sur le réchauffement planétaire," dit-il. "Nous prédisions des choses qui se sont passées à peu près exactement ainsi. Ensuite, comme aujourd'hui, nous nous sommes demandés ce qu'il faudrait pour que les gens écoutent."

En 1999, les réserves pétrolières de la Grande-Bretagne dans la Mer du Nord ont atteint leur pic, mais pendant deux années après que cela est devenu visible, affirme M. Leggert, ce fut une hérésie pour quiconque dans les cercles officiels de le dire. "Ne pas répondre à la demande n'est pas une option. En fait, c'est un acte de trahison," dit-il.

Une chose sur laquelle la plupart des analystes pétroliers sont d'accord est que la diminution des champs de pétrole suit une courbe en cloche prévisible. Ceci n'a pas changé depuis que le géologue de Shell, M. King Hubbert, a établi un modèle mathématique en 1956 pour prédire ce qui arriverait à la production pétrolière américaine. La Courbe de Hubbert montre qu'au début la production de tout champ de pétrole croît en flèche, puis atteint un palier avant de tomber dans un déclin irréversible. Sa prédiction selon laquelle la production des Etats-Unis atteindrait son pic en 1969 fut tournée en ridicule par ceux qui prétendaient qu'elle pouvait croître indéfiniment. En l'occurrence, elle a atteint son pic en 1970 et a décliné depuis lors.

Dans les années 70, Chris Skrebowski était un planificateur sur le long-terme pour BP. Aujourd'hui, il édite la Petroleum Review et il est l'un des initiés de cette industrie qui sont de plus en plus nombreux à s'être convertis à la théorie du pic. "Au début, j'étais extrêmement sceptique," admet-il aujourd'hui. "Nous avons assez de capacité pour répondre à la demande sur les deux prochaines années et demie. Après cela, la situation se détériorera."

Ce que personne, même pas BP, ne conteste est que la demande est en hausse. La croissance rapide de la Chine et de l'Inde, à la hauteur de la dépendance du monde développé sur le pétrole, signifie que beaucoup plus de pétrole devra provenir de quelque part. Le rapport de BP montre que la demande mondiale de pétrole a cru plus vite ces cinq dernières années que dans la deuxième moitié des années 90. Aujourd'hui, nous consommons en moyenne 85 millions de barils par jour. Selon les estimations les plus conservatrices de l'Agence Internationale à l'Energie ce chiffre montera à 113 millions de barils/jour d'ici 2030.

Les deux-tiers des réserves mondiales de pétrole se trouvent au Proche-Orient et la demande croissante devra être pourvue par des augmentations massives de l'offre en provenance de cette région.

Le Rapport Statistique de BP est l'estimation la plus utilisée dans le monde sur les réserves de pétrole, mais, ainsi que le Dr Campbell le fait remarquer, c'est seulement un résumé des estimations hautement politiques fournies par les gouvernements et les compagnies pétrolières.

Ainsi que le Dr Campbell l'explique : "Lorsque j'étais le patron d'une compagnie pétrolière, je ne disais jamais la vérité. Cela ne fait pas partie du jeu."

Une étude sur les quatre pays qui ont les réserves les plus importantes — l'Arabie Saoudite, l'Iran, l'Irak et le Koweït — révèle des inquiétudes majeures. Au Koweït, l'année dernière, un journaliste a découvert des documents suggérant que les réserves réelles du pays étaient la moitié de celles rapportées. L'Iran, cette année, est devenu le premier des grands producteurs à introduire le rationnement pétrolier — une indication de l'opinion de l'administration [américaine] sur le chemin que prennent les réserves pétrolières.

Sadad al-Huseini en sait probablement plus sur les réserves de l'Arabie Saoudite que n'importe qui d'autre. Il a pris sa retraite de chef exécutif de la corporation pétrolière du royaume il y a deux ans et son point de vue sur la possibilité de progression de la production pétrolière saoudienne se modère. "Le problème est que l'on est passé de 79 millions de barils par jour en 2002 à 84,5 millions en 2004. On grimpe de deux à trois millions [barils/jour] chaque année", a-t-il déclaré au New York Times. "C'est comme l'ensemble d'une nouvelle Arabie Saoudite tous les deux ans. Cela ne peut pas durer indéfiniment."

L'importance de l'or noir

* Une réduction aussi petite que 10 ou 15% pourrait paralyser les économies dépendantes du pétrole. Dans les années 70, une réduction de seulement 5% a causé une augmentation de prix de plus de 400 %.

* La plupart des équipements agricoles sont soit fabriqués dans des usines alimentées en énergie pétrolière soit utilisent le gazole comme carburant. Presque tous les pesticides et de nombreux fertilisants sont fabriqués à partir du pétrole.

* La plupart des plastiques, utilisés partout, des ordinateurs et des téléphones mobiles jusqu'aux pipelines, les vêtements et les tapis, sont fabriqués à partir de substances pétrolières.

* Le secteur manufacturier nécessite des quantités énormes de carburants fossiles. La construction d'une seule voiture aux Etats-Unis nécessite, en moyenne, au moins 20 barils de pétrole.

* La plupart des équipements pour l'énergie renouvelable nécessitent de grandes quantités de pétrole pour leur fabrication.

* La production de métaux — en particulier l'aluminium —, de cosmétiques, de teintures pour les cheveux, d'encres et de nombreux antidouleur, tous reposent sur le pétrole.

Les sources d'énergie alternatives

Le charbon

On estime qu'il y a encore 909 milliards de tonnes de réserves prouvées de charbon dans le monde — assez pour durer au moins 155 ans. Mais le charbon est un carburant fossile et une énergie sale qui ne peut qu'accroître le réchauffement planétaire.

Le gaz naturel

Les champs de gaz naturel en Sibérie, en Alaska et au Proche-Orient devraient durer 20 ans de plus que les réserves mondiales de pétrole, mais, bien qu'il soit plus propre que le pétrole, le gaz naturel est encore un carburant fossile qui émet des polluants. Il est aussi coûteux à extraire et à transporter parce qu'il doit être liquéfié.

Les éléments combustibles de l'hydrogène

Les éléments combustibles de l'hydrogène nous fourniraient une source d'énergie permanente, propre et renouvelable, puisqu'ils combinent chimiquement l'hydrogène et l'oxygène pour produire de l'électricité, de l'eau et de la chaleur. Toutefois, la difficulté est qu'il n'y a pas assez d'hydrogène pour tout le monde et que les quelques moyens propres de le produire sont coûteux.

Les biocarburants

L'éthanol provenant du blé et du maïs est devenu une alternative au pétrole en vogue. Cependant, les études suggèrent que la production d'éthanol ait un effet négatif sur l'investissement énergétique et sur l'environnement, à cause de l'espace nécessaire pour faire pousser ce dont nous avons besoin.

L'énergie renouvelable

Les nations dépendantes sur le pétrole se tournent vers les sources d'énergie renouvelable, telles que l'hydroélectricité, le solaire et l'éolien, pour fournir une alternative au pétrole. Mais la probabilité est mince que les sources d'énergie renouvelable puissent produire suffisamment d'énergie.

Le nucléaire

Les craintes que l'offre mondiale d'uranium s'épuise ont été dissipées par des réacteurs améliorés et la possibilité d'utiliser le thorium comme combustible nucléaire. Mais une augmentation du nombre de réacteurs à travers le monde accroîtrait le risque d'un désastre ou que ces substances dangereuses atterrissent entre les mains de terroristes.

Traduction [JFG-QuestionsCritiques]