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Elections présidentielles 2007

Tour de France, 2ème étape :
Fontenay-sous-Bois

Par John Lichfield, à Paris

The Independent, le 17 avril 2007
article original : "Tour de France, Stage 2: Fontenay-sous-Bois"

Les banlieues se préparent à voter :
'Nous haïssons Sarkozy parce qu'il nous hait'


Sur la colline qui surplombe Fontenay-sous-Bois, il y a un parc où les enfants jouent au soleil. Des enfants blacks, blancs et beurs se poussent les uns les autres — comme le font les enfants français — pour être sur la photo. Les parents indulgents, assis sur les bancs, sourient devant l'impatience de leurs enfants.

Nous sommes dans les banlieues de Paris tristement célèbres. De nombreuses personnes intelligentes dans la capitale, à 15 km, vous diront que la vie ici — dans le monde exotique et dangereux au-delà du Périphérique — est un cauchemar quotidien fait de crimes, de guerre des gangs, de voitures qui brûlent, de chômage, d'animosité raciale et de révolution islamiste.

Regardez et réfléchissez, encore une fois ! "Voilà pourquoi je suis en colère contre [Nicolas] Sarkozy," dit Djamila Riale, une professeure d'anglais de 39 ans, née en Algérie, assise là avec sa mère et sa fille. "Dans notre immeuble, il y a des Arabes, des Chypriotes, des Français et des Turcs. Il n'y a aucune haine. Aucune tension raciale… Il n'est pas correct de dire des gens des banlieues que ce sont des racailles, comme Sarkozy l'a fait. Il a construit toute sa campagne politique sur un mensonge."

M. Sarkozy, le favori de droite dans l'élection présidentielle française, dirait à Mme Riale qu'il ne les a jamais traités tous de racailles. Il aurait raison. En octobre 2005, il a appelé "racailles" les gangs violents des banlieues.

Fin octobre 2005, les banlieues de Paris ont explosé en quatre semaines d'émeutes. La violence s'est répandue dans les banlieues pauvres multiraciales de presque toutes les villes de France.

Le Tour de France de The Independent avant le premier tour de l'élection présidentielle nous a conduit dans les banlieues Est de Paris. Fontenay-sous-Bois est une étendue assez représentative de l'entassement de verdure et de béton, de gens qui travaillent dur et d'îlots de misère et de violence qui entourent la capitale française. Il y a des lotissements pavillonnaires, essentiellement occupés par des blancs. Il y a les cités, occupées par toutes sortes de personnes : des basanés, des noirs et des blancs, immigrés et nés en France.

Cela fait neuf ans que je me rends de temps en temps à Fontenay-sous-Bois que je visite avec mon ami Amar, un travailleur social. La première fois, nous y avions rencontré un gang de casse-cou âgés de 14 et 15 ans. L'un des membres de ce gang s'appelait Rujd Brahim, un jeune garçon charmant et souriant d'origine tunisienne. Hui ans plus tard, nous l'avons rencontré à nouveau dans un bar. À présent, c'est un jeune homme charmant et souriant de 23 ans.

M. Brahim dit que lui et sa famille et ses amis sont déterminés à voter. (Cette année, il y a eu une augmentation de 9 à 10 % des inscriptions sur les listes électorales dans les banlieues). Pourquoi ce soudain enthousiasme ? "Nous voulons voter contre Sarkozy. Parce qu'il ne nous aime pas et parce que nous le haïssons."

Amar dit que l'usage de mots comme racaille a identifié Sarkozy dans la tête de beaucoup de personnes dans les banlieues comme un homme d'extrême droite. La période de Sarkozy en tant que Ministre de l'Intérieur a vu l'abandon de la police de proximité et l'utilisation de la police dans les banlieues comme troupes de choc. Un "raid" de la police dans une autre banlieue, Clichy-sous-Bois, en octobre 2005, a conduit à ce que deux jeunes soient électrocutés dans un transformateur électrique. Les émeutes commencèrent cette nuit-là.

"Il y a eu une explosion de haine, à cause de la frustration, à force de voir leurs grands frères et leurs pères au chômage, parce que l'on sait que leur avenir est bloqué," dit Amar.

"Ce n'était pas le rejet de la France, ni une révolution islamiste. La seule chose que ces gosses voulaient était d'être reconnus pour ce qu'ils sont : français."

Le camp de Sarkozy insiste sur le fait que de nombreux électeurs des banlieues pauvres, basanés ou noirs et respectueux des lois — les premières victimes de la criminalité des jeunes — soutiennent son approche intransigeante sur la violence des banlieues. "Je n'ai pas rencontré une seule personne ici d'origine immigrée qui pense comme cela," dit Amar. "Pas une seule." Avant de quitter le parc, nous rencontrons le maire adjoint communiste de Fontenay, Pascal Clerget, 43 ans, qui joue avec son enfant. Il dit qu'il n'a pas rencontré une seule personne des cités qui votera pour "Sarko". Les habitants des lotissements, oui, mais pas ceux des tours d'habitation.

"Ce qui m'inquiète," a-t-il dit, "est le nombre de personnes que j'ai rencontrées qui considèrent comme une évidence, qui disent qu'ils sont certains, que si Sarkozy est président, il sera défié dans la rue, que le plus petit incident avec la police conduirait à une nouvelle violence."

Dans le fond, les enfants, blacks, blancs et beurs, continuent de se pousser — gentiment — pour être sur la photo.

Traduction [JFG-QuestionsCritiques]