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Le problème avec le Président Sarkozy

Par John Lichfield
The Independent, mardi 12 février 2008

article original : "Nicolas Sarkozy: The problem with the president"
Il est entré au Palais de l'Elysée en se pavanant, sur la promesse
de réinventer la France pour le 21ème siècle. Mais après seulement
huit mois, la popularité de Nicolas Sarkozy est en chute libre - et sa vie
privée devient un feuilleton de mauvaise facture.
Est-il apte pour ce job ? Reportage.

Imaginez un instant le Président Charles de Gaulle, portant lunettes noires et col roulé sombre, assis à la terrasse d'un café à Versailles avec sa toute nouvelle femme chanteuse. Imaginez aussi le Général, col de chemise ouvert et en blue-jeans, en vacances en Egypte. Cet homme grand, austère, sauveur de la France, marchant main dans la main avec l'ex-petite-amie de Mick Jagger, le bambin de celle-ci, l'air embarrassé, assis sur ses épaules.

Imaginez un instant le Président Jacques Chirac au Vatican, tripotant compulsivement les touches de son téléphone mobile pendant que ceux qui l'accompagnent sont présentés au Pape. Soit dit en passant, l'entourage présidentiel incluait le comédien français le plus vulgaire et le plus grossier, Jean-Marie Bigard.

Imaginez un instant le Président François Mitterrand recevant des visites ministérielles au Palais de l'Elysée avec les pieds sur son bureau. Pire, imaginez le Président Mitterrand, mielleux et glacial, s'adressant à tous ceux qu'il rencontre par un tutoiement familier, au lieu du vouvoiement respectueux et empreint de dignité.

Durant ses huit mois en tant que chef de l'Etat français, Nicolas Sarkozy a fait toutes ces choses et plus. Confusion des genres et des valeurs, conventions foulées aux pieds, traditions renversées.

L'année dernière, le Président Sarkozy a promis de réinventer la France pour le 21ème siècle, tout en préservant ou en ravivant les "valeurs traditionnelles". Il a commencé par réinventer - certains disent désacraliser - la présidence française.

La monarchie républicaine, distante, discrète, solennelle et hautaine, inventée par Charles de Gaulle est devenue un brouillon incessant de microphones, de yachts de milliardaires, de montres Rolex, de lunettes noires, de téléphones mobiles, de blue-jeans, de shorts, un divorce et maintenant une femme trophée.

M. Sarkozy est devenu une sorte de Président "moi", gouvernant avec un miroir à la main, en recherchant en permanence l'attention et l'approbation du public. Cependant, ces deux dernières semaines, des événements ont commencé à échapper au contrôle d'un homme qui est prêt à tout pour toujours donner l'impression qu'il se maîtrise.

Si vous avez raté les tout derniers épisodes du feuilleton Sarkozy, en voici un bref résumé :

Moins de quatre mois après la rupture spectaculaire de son second mariage, le président qui veut restaurer les "valeurs catholiques" s'est marié avec une chanteuse pop magnifique, de gauche et libertaire. Sa nouvelle femme, Carla Bruni, a dit une fois que la "monogamie l'ennuyait à mourir".

Selon un magazine de centre-gauche respecté, Le Nouvel Observateur, le Président Sarkozy a envoyé un texto à son ex-femme Cécilia huit jour avant le mariage, proposant de "tout laisser tomber" si elle revenait. M. Sarkozy a porté plainte contre ce magazine pour "faux", mais aussi pour "avoir reçu des biens volés". Alors, ce message, était-il faux ou a-t-il été ''volé" ?

Le contrôle que le Président Sarkozy exerce sur son propre parti de centre-droit - quasiment total il y a encore deux mois - est menacé. Une fois encore, le mélange de la politique et de ses affaires familiales en est la cause. Le Président a essayé de parachuter son attaché de presse en chef, David Martinon, à la mairie de son ancien fief de Neuilly-sur-Seine, un ghetto pour millionnaires juste à la sortie ouest de Paris. M. Martinon, un ami proche de la deuxième (ex) femme de M. Sarkozy s'est avéré être un candidat nul et impopulaire pour la mairie. Hier, il a été obligé de se retirer après la révolte des autres candidats de centre-droit, dont Jean Sarkozy, 22 ans, le fils du premier mariage du Président.

L'analogie avec un feuilleton est à peine tirée par les cheveux. Avec des conflits quasi quotidiens impliquant les anciennes femmes et les confidentes des anciennes femmes et les fils des mariages précédents, le Palais de l'Elysée a commencé à ressembler au ranch de la famille Ewing à Dallas. Au début, même certains ennemis politiques de M. Sarkozy trouvaient que des aspects du style Sarko, informel et plein d'égards pour lui-même, étaient rafraîchissants. Il y en avait qui soutenaient que cette nouvelle approche faisait partie d'une tentative calculée pour changer la façon dont la France pense d'elle-même : pour créer le culte de la réussite, pour casser les anciennes barrières étouffantes entre le peuple français et son élite au pouvoir.

A présent, de nombreux supporters du Président Sarkozy, ainsi que ses alliés nominaux, craignent que le style Sarko ne soit pas du tout un style, mais au contraire une absence de style ; une vulgarité de nouveau-riche ; un mépris de l'importance de la tradition ; une croyance arrogante que celui qui est au pouvoir est plus important que la fonction.

Jean-Louis Debré, le président du conseil constitutionnel français, qui fait partie d'une dynastie politique dotée de qualifications gaullistes et conservatrices impeccables, a fait sensation en disant publiquement ce que beaucoup de politiciens de droite disent en privé : que le Président Sarkozy, en tant que chef d'Etat, pas simple chef de gouvernement, manque de "bienséance" et de "dignité".

"A partir du moment où le peuple vous a confié une certaine mission, il y a certaines manières que vous devez observer", a déclaré M. Debré, membre de l'aile chiraquienne ultra-conservatrice du parti de droite de M. Sarkozy. "L'autorité de l'Etat et la légitimité que vous a conférée le peuple impliquent un certain sens des convenances, une certaine dignité du pouvoir … Vous devez faire attention de ne pas désacraliser votre fonction officielle".

En début de mois, un grand nombre de remarques déplaisantes ont été attribuées à l'ancienne femme du Président, Cécilia, par sa biographe Anna Bitton. Elle a dépeint son ancien mari comme étant un "sauteur" en série et un homme qui "n'aime personne, pas même ses enfants". Elle s'est plainte que M. Sarkozy a réagi à leur divorce, en octobre dernier, en organisant des "soirées karaoké" avec des "minettes" jusqu'à quatre heures du matin.

Des attaques de la part d'une ex-femme contre un ex-mari devraient peut-être être traitées avec prudence. Toutefois, un commentaire relativement sobre de la deuxième Mme Sarkozy a été, probablement, le plus éloquent : "Nicolas ne donne pas l'impression d'être un Président de la République", a-t-elle dit. "Il a un réel problème de comportement. Il a besoin que quelqu'un lui dise".

Par "quelqu'un", il faut lire : une série de sondages d'opinion désastreux. Dans une nouvelle enquête menée hier par Ipsos, qui sera publiée intégralement jeudi, le taux d'approbation du Président plonge à 39% - un plongeon de 10 points en un mois. Seul le Président Chirac a plongé plus vite et plus bas. Un sondeur a dit que beaucoup d'électeurs commencent à se demander si le Sarkozy de l'élection présidentielle de l'année dernière - énergique, volontaire, au franc parler - avait été, tout simplement, un "imposteur".

Le Président perd du terrain, en particulier parmi les conservateurs de la société de plus de 60 ans, précisément l'électorat qui lui a donné une victoire imposante contre la candidate socialiste, Ségolène Royal, en mai dernier. Si l'élection avait été organisée seulement auprès des électeurs âgés de 18 à 60 ans, Royal aurait gagné.

Un jeune député UMP, le parti de M. Sarkozy, a déclaré à The Independent : "Le point de vue de mes électeurs les plus âgés peut se résumer ainsi : 'Nous pouvions avaler son divorce, même si c'était le deuxième, et même si cela est arrivé aussi vite après avoir été élu président. Mais se remarier, moins de quatre mois après un divorce, est la sorte de chose que vous détesteriez voir faire par votre propre fils, à plus forte raison le Président de la République'".

L'effondrement brutal de M. Sarkozy dans les sondages est attribué, selon les instituts de sondage, à une réaction chimique dangereuse entre deux négatifs. Premièrement, il y a la déception que le Président Sarkozy n'a pas réussi à transmettre le "choc de confiance" qu'il avait promis et qui aurait donné un coup de fouet à l'économie et au revenu disponible. Deuxièmement, il y a un dégoût croissant pour le style de vie clinquant et show-biz du Président, ainsi que la façon désinvolte dont il traite la fonction présidentielle. Les Français accordaient à M. Sarkozy, il y a encore cinq mois, 60% d'opinions favorables. Ils commencent à se demander, selon les mots d'un sondeur d'opinion, s'il n'est pas que "bla-bla et bling-bling". Speedy Sarkozy est-il en danger de sortie de route ?

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Il n'y avait rien de mal, en principe, avec un changement de style présidentiel. Le vieux numéro Mitterrand-Chirac - Je-suis-tout-puissant-mais-pas-toujours-responsable - était usé. A la fois Mitterrand et Chirac soutenaient les traditions pompeuses et bienveillantes de la présidence française, mais - ainsi que M. Sarkozy est prompt à le faire remarquer - les deux ont teinté la fonction d'autres manières. Le Président Mitterrand entretenait en secret une seconde famille. Le Président Chirac manipulait les protections juridiques de sa fonction pour éviter une enquête judiciaire pour mauvais usage des fonds publics.

Il y a quelque chose de plutôt vulgaire concernant M. Sarkozy, mais sa vulgarité et son énergie sont inséparables. Bien qu'il ait été un politicien depuis la vingtaine, il a passé ses années de formation comme maire de la banlieue pour millionnaires citée plus haut, Neuilly-sur-Seine. Il ne fait pas partie de la classe dirigeante française traditionnelle : supérieure sans effort et discrète, soutenue par le "vieil argent" ou les certitudes administratives du système des grandes écoles.

Le Président Sarkozy représente une Nouvelle France des médias et de la publicité, des produits de luxe et du "nouvel" argent. La société dans laquelle il se meut est tape-à-l'œil, se met en avant et est pleine d'énergie et d'idées, bien que pas toujours bonnes. Ce n'était pas un hasard - bien qu'on puisse penser que c'était une provocation - que les témoins à son mariage venaient du monde du luxe, de la haute-couture et de la pop-musique.

Certains analystes politiques, comme Pierre-Henri Tavoillot, conférencier en philosophie politique à la Sorbonne, expose que la présidence "bling-bling" de Sarkozy est en partie incontrôlée (il est tout simplement comme cela) et en partie calculée. M. Sarkozy est obsédé, dit-il, par le besoin de briser le carcan de la "médiocrité démocratique". Il veut paraître ordinaire et en même temps extraordinaire. Il veut être un pragmatique, un politicien volontariste avec un style de vie de pop-star. Il croit que c'est la façon de rester populaire dans un monde dans lequel les politiciens sont condamnés à paraître médiocres ou impuissants ou les deux. M. Sarkozy déteste la suggestion selon laquelle, en termes généraux, les politiciens nationaux sont souvent dépourvus pour contrôler les événements. Il a un besoin quasiment psychotique d'avoir réponse à tout et une politique et une idéologie pour tout.

Ses collègues politiciens de centre-droit pensent détenir la clé de cette partie de la personnalité de M. Sarkozy. Il est déterminé à être perçu comme "l'anti-Chirac". Là où son ancien mentor était à moitié détaché, Sarkozy veut être impliqué. Là où la figure paternelle qu'il a abandonnée n'avait aucune philosophie politique claire, Sarkozy veut être un penseur politique (même s'il ne semble jamais penser la même chose pendant très longtemps). Là où le président dont il a déjoué les manœuvres était vieux et démodé, Sarkozy veut être une icône pop du 21ème siècle.

Mais où va le Président Sarkozy ? Jusqu'ici, les réformes innovatrices qu'il a beaucoup vantées ont été plutôt modestes. Sans être décontenancé par le manque de résultats concrets, le Président Sarkozy a fait une série de déclarations "visionnaires" radicales : sur l'Afrique, sur la religion et les valeurs sociales, et sur la nécessité d'une "nouvelle politique de civilisation", qui détrônera la croissance et la réussite matérielle comme moteurs de la vie et de la politique occidentales. Il y a beaucoup de choses intelligentes dans ces déclarations et aussi beaucoup de choses dérangeantes et confuses.

Après huit mois au pouvoir, nous ne sommes aucunement plus proches de répondre aux questions soulevées par sa campagne présidentielle. Le Président Sarkozy, l'homme salué de façon simpliste par la presse britannique et américaine de droite comme le Margaret Thatcher gaulois, reste un interventionniste et un protectionniste de cœur.

Deux jours après son mariage, il se tenait à l'extérieur d'une aciérie menacée en Lorraine, promettant aux ouvriers que l'Etat français à court d'argent ne laisserait jamais leur aciérie - ou toute autre aciérie - fermer. Plus tard, le même jour, il s'est envolé pour Bucarest, ne passant que quelques heures en Roumanie, irritant ses hôtes, et il s'est de nouveau envolé pour rentrer. Le lendemain, il s'est avéré qu'il n'y avait aucune base légale sur laquelle le Président Sarkozy pouvait s'appuyer pour renflouer une aciérie en faillite appartenant à une société qui fait des profits.

Les amis du Président Sarkozy et ses alliés politiques espèrent que son mariage le calmera et que sa vie privée ne fera plus la une des journaux. (On peut toujours l'espérer, avec une magnifique chanteuse pop pour femme !). Ils pensent que la présidence française de l'UE durant le deuxième semestre alimentera son besoin boulimique de travail et de capter l'attention. Après avoir découvert qu'il ne peut pas atteindre des résultats immédiats, le Président Sarkozy est à présent prêt, disent-ils, à entrer dans un passage plus réfléchi et plus calme de sa présidence. Sa séparation de Cécilia a salement déstabilisé un homme qui est agité en temps ordinaire, disent-ils. L'idylle avec Carla - véritable, insistent-ils, quoi que le Nouvel Observateur puisse prétendre - l'aidera à adopter une approche plus retenue et plus réfléchie.

L'un des premiers signes apparents, disent les officiels, est la nouvelle idéologie du Président, la "politique de civilisation" - un appel pour une approche plus écologique et moins dirigée par les marchés du futur de la planète et de l'humanité. (Est-ce aussi le premier signe de l'influence de sa nouvelle femme de gauche ?) Cette politique est loin d'être aveugle. Elle s'adresse, de façon assez futée, à l'esprit de l'époque de la fin des années 90. Dans toute l'Europe, même de l'autre côté de l'Atlantique, l'humeur du public se tourne lentement contre la tyrannie de la croissance et des marchés en faveur de valeurs plus douces et plus vertes.

"Nous ne pouvons pas espérer changer nos manières de faire les choses et notre façon de penser si nos définitions de la richesse restent les mêmes", a dit le Président Sarkozy le mois dernier. "Il nous faut prendre en compte la qualité, pas seulement la quantité, pour promouvoir une nouvelle sorte de croissance".

Le problème est que le Président Sarkozy avait auparavant promis d'être le "président du pouvoir d'achat". Il avait auparavant promis de faire "travailler la France plus pour gagner plus". Il avait auparavant promis de faire de la France le "pays avec la plus forte croissance de l'UE". Un homme politique qui se définit par des yachts de milliardaires, des montres Rolex, des bagues de fiançailles Dior et des femmes trophées n'est peut-être pas le mieux placé pour prêcher que le bonheur ne peut pas être réalisé par les possessions matérielles.

Les contradictions ont toujours fait partie du logiciel Sarko. Ce qui paraissait autrefois original et rafraîchissant, une capacité à être à cheval sur les limites normales du parti et de l'idéologie, commence désormais à sembler tout simplement superficiel : un talent publicitaire pour pirater et exploiter les questions les plus vives.

Lorsqu'il a rendu visite au Pape en décembre, le Président Sarkozy a prononcé un discours complexe et très profond qui résonne toujours, cinq semaines après, dans la politique française. Dans une rupture délibérée avec l'idéologie d'une république "profane" ou séculière, qui a dominé la politique française tout au long du siècle dernier, M. Sarkozy a déclaré que la France avait besoin de "réflexion morale, inspirée par les convictions religieuses".

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Une autre "imposture" ? Les amis et la famille du Président Sarkozy disent qu'il est fondamentalement un homme non-religieux. Il va très rarement à la messe. Deux heures avant son appel aux valeurs catholiques, il tripotait son téléphone mobile devant le Pape. Il a amené avec lui un comique grossier - et catholique dévot - à Rome en tant que partie de sa délégation officielle.

Les politiciens du parti de M. Sarkozy - même son honorable Premier ministre qui a une patience à toute épreuve, François Fillon - luttent pour suivre les zigs et les zags du "Sarkozisme". Les inconstances du Président et ses emphases sont souvent attribuées à ses deux conseillers non-élus les plus influents, Henri Guaino, son "conseiller spécial" qui écrit ses discours et Claude Guéant, le secrétaire-général de l'Elysée. Ils sont connus pour être "la tête et les jambes" de Sarkozy. Ils sont devenus une sorte de gouvernement séparé, interférant - parfois avec des résultats malheureux - dans la politique intérieure et étrangère.

Tous deux sont eurosceptiques, se méfient des marchés et sont des nationalistes français. Tous deux viennent de la vieille tradition gaulliste d'une sorte de conservatisme paternaliste et interventionniste. Leur influence rend furieux les politiciens élus du parti de M. Sarkozy. De même que sa politique "d'ouverture" de son gouvernement aux politiciens du centre-gauche et à des politicien(ne)s inexpérimenté(e)s d'origine nord-africaine et africaine. La politique "d'ouverture" raciale aurait déjà due être prise depuis longtemps. Elle représente l'accomplissement le plus important à ce jour du Président Sarkozy.

De la même manière, les politiciens UMP - et pas seulement ceux qui se sentent lésés de postes ministériels - se plaignent que "l'ouverture" de M. Sarkozy a conduit à une extraordinaire concentration du pouvoir entre les mains d'un seul homme. En faisant la promotion de ministres venus de nulle part ou bel et bien du camp de la gauche, le Président Sarkozy a exclu ou diminué d'autres politiciens de droite qui avaient construit des bases de pouvoir bien à eux.

Voici un autre paradoxe. En marginalisant le Premier ministre, François Fillon, le Président Sarkozy a rendu la présidence plus puissante que jamais. En même temps, il est accusé d'affaiblir la puissance sacrée et symbolique de la fonction, avec son comportement décontracté et parfois irréfléchi.

"En sautant d'un dossier à un autre, de Disneyland au Vatican, du monde de la politique à la grande vie, il semble n'avoir aucune préoccupation pour la réputation de sa fonction", a déclaré Jean-Pierre Le Goff, un sociologue qui vient de publier un livre sur le morcellement de la France moderne (La France morcelée, publié par Gallimard). Sarkozy a été élu sur une promesse de restaurer les repères moraux de la France, prétendument sapés progressivement depuis la révolution estudiantine de mai 68.[1] A la place, M. Le Goff dit que le comportement étrange du Président a creusé le "sentiment de désorientation déjà profond" de la nation.

Lorsque M. Sarkozy était populaire, son bourbier de contradictions était pardonné par ses propres supporters et, jusqu'à un certain point, par la presse française. Depuis son effondrement dans les sondages d'opinion, c'est termine.

Depuis la création d'une présidence exécutive en 1958, le boulot du Premier ministre français est d'être impopulaire et de protéger la réputation du président. L'hyperactif M. Sarkozy a renversé les rôles. Il plonge dans les sondages ; son Premier ministre calme et réfléchi, François Fillon, monte. Ceci est sans précédent dans la politique moderne française.

Une partie de l'UMP - le parti que M. Sarkozy a brillamment dérobé au nez (pas si considérable) et à la barbe du Président Chirac - est en révolte ouverte. Avec les élections municipales qui approchent en mars, un grand nombre de candidats de centre-droit se démènent pour retirer les couleurs et le symbole de l'UMP de leurs écrits et de leurs sites internet. Cela a commencé avant même la calamité ridicule de la candidature de M. Martinon, inspirée par Sarko, à Neuilly, le propre fief du Président.

Cela s'est produit auparavant, il faut le reconnaître, par une route très différente. Un président français cherche à être tout pour tout le monde sans faire grand chose. Il finit par devenir impopulaire auprès de presque tout le monde. Le Président Sarkozy, l'anti-Chirac, pourrait bien être plus comme Jacques Chirac qu'il ne le croit. Mais tout n'est pas perdu. Le Président dispose de plus de quatre ans pour calmer les excès de son style clinquant. Il y a une différence, lui disent les Français, entre être jeune, informel, énergique et rafraîchissant, et être inconvenant et agaçant.

Ainsi que le commentateur politique français le plus lisible, Alain Duhamel, le fait remarquer, l'approche de Sarko ne laisse aucune place pour les indécis : "Soit vous le vénérez, soit vous le détestez". Si sa politique de réformes commence à réussir, si l'économie française se redresse (avec un grand "si"), M. Sarkozy pourrait redevenir rapidement populaire.

Tous les yeux seront tournés sur lui et la nouvelle Mme Sarkozy, lorsqu'ils feront leur première grande visite d'Etat, le 26 mars, en Grande-Bretagne. Des deux, c'est peut-être la Première Dame de France qui risque le moins de dire ou de faire quelque chose de déconcertant ou d'embarrassant. Une présidence Sarkozy ratée serait une calamité - et pas seulement pour la France. Il s'est vendu aux Français comme étant l'antidote énergique, pragmatique et démocratique vis-à-vis des extrêmes, à la fois de droite et de gauche. A part peut-être le Premier ministre, François Fillon, il n'y a aucune alternative évidente à M. Sarkozy dans le reste du paysage démocratique modéré français - à droite comme à gauche.

Louis XV, l'avant dernier roi avant la Révolution Française, est supposé avoir dit "Après moi, le déluge". Si M. Sarkozy échoue, dans un déluge de clinquant, la France se retrouvera face à une perspective aussi sombre. Après Président-Moi, le déluge?

Traduction [JFG-QuestionsCritiques]

[1] Lire : "Sarko et les fantômes de mai 68", par Diane Johnstone.