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Elections présidentielles 2007

Tour de France, 6ème étape :
Paris

Par John Lichfield

The Independent, le 21 avril 2007
article original : "Tour de France, Stage 6: Paris"

Liberté, Egalité, Fraternité ou Brutalité ?
Les candidats n'arrivent pas à inspirer les électeurs indécis


Selon Charles de Gaulle, le processus de sélection d'un président pour la France est quelque chose de mystique, presque romantique, pas seulement une question de démocratie.

Avant que le pays ne fasse son choix, De Gaulle disait qu'il devait y avoir une "rencontre" entre un homme et le peuple français. Il ne tenait pas compte de la possibilité que l'homme choisi pourrait, un jour, être une femme.

Après des mois et des mois — trop nombreux — de campagne, la France n'a pas encore découvert son Prince (ou sa Princesse) Charmant. Le pays se retrouve demain en face d'un choix tourmentant et crucial. Le pays veut désespérément croire en un nouveau messie ou, du moins, en un nouveau dirigeant honnête et compétent qui peut pousser le pays, sans trop de douleur, dans le 21ème siècle. Aucun des principaux candidats — appelons-les M. Liberté, Mme Egalité, M. Fraternité et M. Brutalité — n'a réussi à conquérir le cœur ou l'esprit du pays.

Il y a cinq ans, c'est un esprit noir de rejet de tout le processus politique qui a conduit à la calamité morale du dirigeant d'extrême droite, Jean-Marie Le Pen, atteignant le second tour. Cette année, l'humeur est beaucoup plus saine — à en juger par le Tour de France de 2.600 kilomètres que The Independent a fait cette semaine. Des verts pâturages de la Normandie aux Alpes, de l'ancien cœur industriel déprimé de Lorraine à Toulouse, qui débordant de jeunesse et est en plein essor, il y a de la frustration mais aussi un nouveau réalisme. La détermination à se rendre aux urnes est forte. [Dans l'ensemble, les Français] reconnaissent que le renouveau des institutions et de l'économie françaises doit commencer par un engagement populaire avec la politique démocratique, pas par un rejet facile du "système".

Les questions principales sont économiques : des revenus faibles et l'érosion du pouvoir d'achat (même pour les classes-moyennes) ; le chômage ; la dette nationale ; la crainte de la concurrence mondiale ; la reconnaissance que le modèle français étatique doit changer ; que la peur doit changer.

Le problème est qu'aucun des principaux candidats — avec la possible exception du candidat centriste, François Bayrou — n'a soulevé de réel enthousiasme, même dans leurs propres camps.

Nicolas Sarkozy — M. Liberté — propose un grand nombre de réformes intelligentes pour réconcilier la France avec l'économie de marché, encourager l'entreprise et — par-dessus tout — accroître la faible proportion des effectifs français au travail.

Mais Nicolas Sarkozy, 52 ans, fait peur aux gens. Il en a trop fait avec le discours du type dur sur la criminalité et l'immigration pour récupérer les voix de l'extrême droite. La France espère que son président sera une présence calme et rassurante. M. Sarkozy a donné l'impression d'être un homme coléreux et qui s'énerve facilement, qui pourrait générer de l'opposition dans la rue et des émeutes renouvelées dans les banlieues pauvres multiethniques.

"Le problème avec Sarkozy c'est qu'il est un Américain," a dit un psychologue qui était descendu dans le même hôtel que moi, à côté de Toulouse. "Il pense qu'il sait comment parler au peuple français mais il ne sait pas. Il est bien trop … enfin … américain."

La rumeur, pendant la campagne, d'une rupture — pour la seconde fois — du mariage puissant de M. Sarkozy avec Cécilia n'est en général pas encore connue en province. Cette rupture, si elle est confirmée, ne lui causera pas de tort au premier tour, demain, mais pourrait influencer le deuxième tour du 6 mai.

Ma voisine parisienne, Bénédicte, une électrice naturelle de droite, déclare : "Les Français pardonneront à un homme politique d'avoir des aventures mais pas à celui dont la femme le quitte pour un autre homme."

Ségolène Royal — Mme Egalité — a des idées intelligentes pour moderniser la gauche française. Elle veut mettre fin à la guerre stérile entre les patrons égoïstes et les syndicats égoïstes. Elle veut reconquérir le patriotisme et la rigueur sociale comme questions de gauche. Sa campagne a été un désordre dilettante. Elle a échoué à transmettre le meilleur d'elle-même : son endurance, son sens de l'humour, l'originalité de certaines de ses idées. La France a surtout vu une femme plutôt raide, sur la défensive.

Mme Royal, 53 ans, avait une occasion énorme, étant donnée la répugnance qu'inspire M. Sarkozy. Elle n'en a pas tiré la quintessence. Elle ne s'est pas non plus complètement effondrée, comme certains experts le présidaient. "Le problème avec Ségolène est qu'elle est un imposteur," disait Catherine Cuenca, une ancienne électrice de gauche avec laquelle j'ai discuté à Grenoble. "Elle prétend être proche des gens mais ça ne marche pas. Elle est juste une autre version de l'élite de droite et de gauche qui a dirigé la France depuis trop longtemps."

François Bayrou — M. Fraternité — a mené une campagne très intelligente. Il est le candidat le plus présidentiable et le plus sympathique. Il veut diriger une coalition centriste des pragmatiques et des bien intentionnés, à droite et à gauche, pour une réforme graduelle consensuelle. Le problème est que la France sort de 25 années de tentatives de réformes consensuelles qui ne l'ont en fait conduite nulle part.

Pourtant, demain, M. Bayrou, à 55 ans, pourrait créer la surprise. Lors de mes voyages, j'ai rencontré peu de personnes qui le rejetaient activement et beaucoup pensaient voter pour lui. Michael, un adolescent au chômage en Lorraine, a dit : "Je ne sais pas trop quoi penser de lui mais je ne peux pas sentir les autres."

Parmi les candidats capables d'atteindre le second tour, il reste Jean-Marie Le Pen (M. Brutalité). Il a commencé sa campagne en parlant de ses "valeurs républicaines" et l'a terminée en attaquant Sarkozy parce que ses deux grands-parents étaient hongrois et que l'un d'entre eux était juif. De nombreux facteurs — le discours très ferme de M. Sarkozy, la promesse d'une forte participation — suggèrent que M. Le Pen, à 78 ans, ne créera pas un séisme en France et dans le monde en atteignant le second tour une deuxième fois.

Toutes les prévisions sur cette élection, fascinante et exaspérante à la fois, risquent d'être fort ridicules. Mais nous allons quand même nous risquer à en faire une. J'ai sollicité l'aide de Thierry Flandin, le conseiller régional de centre-droit de la petite ville de Donzy, dans l'ouest de la Bourgogne. Donzy est l'instantané politique de la France : cette ville vote presque toujours comme l'ensemble du pays. "Il y a une indécision énorme jusqu'à la ligne d'arrivée," a-t-il déclaré. "Mais mon sentiment est que Ségolène arrivera à atteindre le second tour, en compagnie de Sarkozy."

M. Flandin prédit que les quatre premiers candidats finiront dans l'ordre suivant : Sarkozy, Royal, Bayrou et Le Pen.

Traduction [JFG-QuestionsCritiques]