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Le président français veut imposer
la 'Sarkonomie' à une UE méfiante

Par John Lichfield à Paris

The Independent, le 7 juillet 2007
article original : "French leader foists vision of 'Sarkonomics' on wary EU"

Alors que les Français s'apprêtent à voter dans une élection
présidentielle vitale, il y a un air de découragement


Le Président Nicolas Sarkozy, le "sauveur" autoproclamé de l'Europe, affrontera un déluge de réclamations à la réunion des ministres des finances européens, à laquelle il participera lundi à Bruxelles.

M. Sarkozy sera le premier chef d'Etat à participer à une réunion de l'Eurogroupe, la rencontre mensuelle des ministres des finances des 13 pays qui utilisent l'euro.

Il a l'intention de défendre en personne la "Sarkonomie" — sa vision interventionniste de la politique économique et monétaire acceptée conjointement par les gouvernements de l'Union Européenne et de l' "Euroland". Toutefois, il devra affronter les récriminations du gouvernement allemand, de la Commission Européenne et des autres pour sa décision de récidiver sur les promesses de réduction de la dette française faites à ses collègues membres de l'Euro.

Paris a annoncé cette semaine que la France n'essayerait même pas d'atteindre l'objectif fixé par l'Euroland d'une réduction, en 2008, de 25% du déficit de son budget. M. Sarkozy a décidé de faire passer rapidement les réductions d'impôt qu'il a promises, sans une réduction équivalente de la dépense publique.

Selon de hauts fonctionnaires, à Bruxelles et à Berlin, ses deux politiques se contredisent l'une l'autre.

Voici ce qu'a dit un officiel de la Commission : "Le Président Sarkozy appelle à un gouvernement économique en Europe et, en même temps, il rompt les engagements pris par la France vis-à-vis de ses partenaires, sans aucune considération pour les implications plus larges pour la zone euro."

Le ministre allemand des finances, Peer Steinbrück, a déclaré que si la France refusait d'honorer les promesses sur sa dette, "il y aura un problème, pas seulement du point de vue de l'Allemagne, mais aussi avec la Commission et les autres Etats membres."

Depuis l'ébauche d'accord sur une "réforme" allégeant le traité de l'UE, lors du sommet de Bruxelles il y a deux semaines, le Président Sarkozy a fait une série de discours et de déclarations en France, revendiquant l'essentiel du mérite d'avoir "sauver" l'Europe. Il a aussi déclaré que le traité proposé ouvre la voie à sa propre vision interventionniste — certains disent "protectionniste" — d'une économie européenne gérée conjointement par les gouvernements de l'UE.

Dans un discours prononcé à Strasbourg lundi dernier, il a parlé d'un petit changement, mais hautement controversé, qu'il a élaboré dans le préambule du traité. La référence à une "concurrence libre et non faussée", en tant qu'objectif de l'UE, a été retirée à l'instance de M. Sarkozy.

Cette semaine, le Président Sarkozy a dit à son audience à Strasbourg que ce changement signifiait que l'UE pouvait désormais agir "contre le dumping, créer un système de préférence commerciale communautaire et mettre en place une politique industrielle européenne".

Tout ceci est nouveau — et c'est un chiffon rouge — pour la Commission Européenne et pour beaucoup d'autres dirigeants européens, dont Gordon Brown.

En décidant de se rendre en personne à une réunion relativement technique comme celle de l'Eurogroupe, le Président Sarkozy exprime un point de vue politique. Il pense qu'une partie beaucoup trop grande de la prise de décision économique et monétaire dans l'UE a été laissée aux "techniciens" de la Banque Centrale Européenne ou mise sur "pilotage automatique" selon le dogme "libéral". Bien que considéré en France comme étant plus "anglo-saxon" et déterminé par le marché que ses prédécesseurs, le Président Sarkozy croit aussi passionnément que la politique et les politiciens devraient contrôler les bureaucrates, les techniciens et même les marchés.

La "Sarkonomie" nécessite que les décisions — sur la politique industrielle ou les taux de change et d'intérêts — soient prises avec au moins une expression significative de la volonté politique des Etats membres de l'UE.

Le président Sarkozy soutiendra donc probablement que la "contradiction" entre son désir d'un "gouvernement économique" européen et sa rupture unilatérale des règles européennes sur la dette n'est aucunement une contradiction. Les Allemands et autres font toutefois remarquer que M. Sarkozy essaye d'avoir le beurre et l'argent du beurre. La France bénéficiera de la stabilité monétaire et de la croissance générée par les efforts de réduction de la dette entrepris par les Allemands et les autres. La France n'aura pas à souffrir des conséquences douloureuses immédiates d'une réduction des dépenses publiques ou d'une augmentation de la fiscalité.

Traduction [JFG-QuestionsCritiques]

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Pour comprendre les véritables enjeux économiques européens, on lira avec intérêt l'excellent article de Micha Panic (ancien chef économiste de la Banque d'Angleterre) : "L'Europe a-t-elle besoin de réformes néolibérales ?"