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Traité de Lisbonne

Après le non irlandais, l'Europe lutte
pour préserver ses projets de réformes

Par John Lichfield à Paris et Vanessa Mock à Bruxelles
The Independent, samedi 14 juin 2008

article original : "Europe struggles to keep reform plans alive after Irish reject treaty"


Les supporters du Non regardant les résultats du référendum irlandais
sur le Traité de Lisbonne dans un bar près du siège de l'UE à Bruxelles
(François Lenoir/Reuters)

Les dirigeants politiques de toute l'Europe essayaient désespérément la nuit dernière de maintenir dans les rails les projets de réformes de l'UE après le rejet massif du Traité de Lisbonne par les électeurs irlandais.

Les gouvernements français et allemand ont mené les appels aux 26 autres pays européens pour qu'ils persévèrent sans tenir compte de la ratification du traité. Mais les hauts fonctionnaires de Bruxelles ont reconnu que sept années de négociations douloureuses pour simplifier et rationaliser la gouvernance de l'UE — à moins que l'Irlande puisse être persuadée d'organiser un deuxième référendum l'année prochaine — n'avaient abouti à rien.

Le président de la Commission Européenne, José Manuel Barroso, a appelé le gouvernement irlandais pour lui suggérer des "solutions" possibles, lors d'un sommet de l'UE à Bruxelles la semaine prochaine. Il a dit : "Je pense que le traité est vivant. Dix-huit Etats membres l'ont déjà approuvé et la Commission Européenne pense que les ratifications restantes doivent se poursuivre."

Cependant, un autre commissaire européen de premier plan, s'exprimant en privé, a dit : "Il n'y aura pas de deuxième vote en Irlande. Cela signifie que le traité est mort. Cela fait partie d'un désenchantement général vis-à-vis de l'UE. Nous aurions eu des résultats similaires s'il y avait eu des référendums dans les autres Etats de l'Union."

Un groupe de pays, menés par la France, qui assumera la présidence de l'UE le mois prochain, espère pouvoir minimiser l'importance du Non irlandais. Si d'autres pays ratifient le traité, soutiennent-ils en privé, l'Irlande sera obligée d'organiser un deuxième vote. D'autres pays pourraient tomber d'accord, disent-ils, sur des déclarations garantissant le respect de la neutralité irlandaise ou sur le statut de faibles taxes sur les entreprises de l'Irlande. L'électorat irlandais pourrait voter "oui" dans un deuxième référendum, comme il l'a fait pour le Traité de Nice en octobre 2002.

Et si l'Irlande refuse ? Légalement, pour être appliqué, le nouveau traité doit être ratifié par les 27 Etats membres. Les officiels dans certaines capitales, notamment à Berlin, soutiennent que l'Irlande, avec 4 millions d'habitants, est trop petite pour interrompre les projets des gouvernements qui représentent près de 500 millions de personnes. Dublin devra être forcé d'accepter une sorte de statut européen semi-indépendant, comme celui de la Norvège.

Les officiels à Bruxelles disent qu'ils doutent que cela puisse marcher. En tout cas, disent-ils, pourquoi l'Irlande devrait-elle être menacée d'une expulsion de fait lorsque la France et les Pays-Bas ont échappé à toute menace après leur rejet populaire en 2005 ? D'un autre côté, disent les officiels, il serait dangereux de se moquer totalement du vote populaire.

Les capitales de l'Union sont confrontées à une énigme déprimante. Les peuples de l'Union Européenne — même ceux qui ont manifestement bénéficié de cette entreprise, comme les Français, les Néerlandais et les Irlandais — se sentent menacés, plutôt qu'inspirés ou protégés, par leur qualité de membre d'une UE élargie.

Le Traité de Lisbonne, comme il est parfois soutenu, n'est pas un projet pour des Etats-Unis fédérés d'Europe. A certains égards, il a enterré définitivement cette idée. Ce traité est une tentative absurdement complexe d'essayer de faire mieux fonctionner — ou simplement fonctionner — un système absurdement complexe, conçu pour six pays, avec 27 pays.

En vérité, ont reconnu les officiels, les gouvernements de l'Union n'ont que quatre options.

La première est qu'ils peuvent se mettre d'accord pour renégocier (une nouvelle fois) ce traité afin de prendre en compte les objections incompatibles de l'électorat irlandais. Sur le plan pratique, c'est une option injouable.

Deuxièmement, ils peuvent faire avancer leurs propres processus de ratification. Lorsque les 26 autres pays auront signé, ils pourront se tourner vers l'Irlande et demander un second référendum. Quelques concessions de rhétorique pourraient être accordées à Dublin dans les annexes ou dans les déclarations. Troisièmement, on peut demander à l'Irlande, en tant qu'unique non-signataire, de quitter l'UE.

Quatrièmement, l'UE peut oublier toute l'affaire (pour l'instant) et poursuivre avec ses règles existantes.

Des voix s'élèveront — y compris peut-être en Grande-Bretagne — pour suggérer que l'UE se concentre désormais sur les problèmes pratiques qui concernent directement ses citoyens — le climat, la mondialisation, l'immigration, le terrorisme — plutôt que de continuer à discuter d'elle-même.

Ceci pourrait être le résultat de fait, quel que soit ce que les gouvernements disent dans les prochains jours et semaines. On peut douter que les anciennes règles de l'UE permettent de progresser sur les questions pratiques.

Brown jure d'aller de l'avant

Gordon Brown [le Premier ministre britannique] rejettera toute pression pour stopper la discussion au parlement sur le Traité de Lisbonne, à la suite de son rejet par l'Irlande.

Le Non irlandais est un véritable casse-tête pour M. Brown, qui a adopté une approche sobre pour ratifier le traité, dans une tentative d'éviter de s'aliéner l'opinion publique et les journaux britanniques eurosceptiques.

L'ironie, c'est que son approche "ultra-prudente" a presque marché. La Loi mettant en application la réforme des institutions européennes doit terminer son examen au parlement la semaine prochaine. Mais la question européenne s'est ravivée hier, alors que les Tories et les Démocrates Libéraux ont vivement conseillé au gouvernement d'y réfléchir à nouveau.

Mais les ministres ont dit que (l'Amendement de) la Loi sur l'Union Européenne serait voté en troisième lecture devant la Chambre des Lords mercredi prochain et recevrait l'Accord Royal.

Qu'est-ce que le Traité de Lisbonne?

* Le Traité de Lisbonne remplacerait le projet avorté de constitution, rejeté par les électeurs français et néerlandais en 2005.

* La charte de 50 articles contient une liste de droits bien établis, incluant la liberté de parole et de religion. La Grande-Bretagne et la Pologne ont obtenu des dérogations.

* L'UE aurait un président et un chef de politique étrangère qui contrôleraient le budget d'entraide de l'UE et son vaste réseau de diplomates et de fonctionnaires.

* La Commission Européenne serait réduite de 24 à 18 membres à partir de 2014. Les Commissaires seraient sélectionnés selon un système de rotation parmi les Etats et siègeraient pour des mandats de cinq ans.

* Le Parlement Européen gagnerait plus de pouvoir pour influencer ou rejeter la législation de l'UE. Le nombre de députés européen serait fixé à 751, au lieu de 785 aujourd'hui.

* Pour rationaliser la prise de décision à 27 Etats, les décisions seraient prises à la majorité plutôt qu'à l'unanimité dans 50 domaines, incluant la coopération judiciaire et policière ; la Grande-Bretagne et l'Irlande ont négocié des dérogations sur ces deux points.

Traduction [JFG-QuestionsCritiques]