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Elections présidentielles 2007

Compte à rebours :
La France cherche son sauveur

Par John Lichfield

The Independent, le 16 avril 2007
article original : "Election countdown: France searches for its saviour "

Alors que les Français s'apprêtent à voter dans une élection
présidentielle vitale, il y a un air de découragement


Cette semaine, la France se retrouve face à un choix capital — et elle le sait. Lors de l'élection présidentielle calamiteuse de 2002, le pays s'est endormi au volant. Il ne s'est pas beaucoup intéressé à la campagne et il s'est réveillé après le premier tour du scrutin pour se retrouver moralement dans le fossé.

Il y a cinq ans, le leader de l'extrême droite, Jean-Marie Le Pen, s'est faufilé au deuxième tour, en partie parce que tant de personnes ne sont pas allées voter et en partie parce que tant d'électeurs de gauche se sont dispersés sur les petits candidats. Cette fois-ci, le pays est bien réveillé. L'inscription sur les listes électorales est en augmentation de 4 %. L'intérêt pour la campagne est élevé.

La France sait que cette élection est décisive. Une "nouvelle" génération de quinquagénaires promet d'abandonner la pagaille des deux dernières décennies et — enfin — de réconcilier une nation divisée, capricieuse et angoissée par un 21ème siècle menaçant.

Tous ces candidats — Nicolas Sarkozy au centre-droit, Ségolène Royal au centre-gauche et Français Bayrou au centre-centre — sont des initiés qui courent comme des outsiders. Ils promettent tous d'adopter une approche plus pragmatique, non idéologique aux problèmes de la France caractérisés par une croissance faible et une dette élevée, un taux d'emploi faible et un chômage élevé, des impôts élevés et une faible compétitivité. À leurs manières différentes, ce sont tous des "Blairistes".

Mais aucun d'eux n'a enflammé l'imagination d'un pays qui voulait désespérément qu'un nouveau Messie démocratique fût à portée de main. L'avide M. Sarkozy effraye les gens, même à droite. La dilettante Mme Royal déçoit les gens, même à gauche. Le sympathique M. Bayrou ne réussit pas à galvaniser les gens, même au centre. Les sondages d'opinion (qui ont été faux, auparavant) suggèrent que Mme Royal — après deux mois peu assurés, janvier et février — s'est stabilisée à la deuxième place. Les sondages suggèrent qu'elle et celui qui fait la course en tête, M. Sarkozy, se qualifieront dimanche prochain pour le second tour du 6 mai. Les sondages suggèrent que M. Sarkozy devienne alors le nouveau Président de la République, même s'il y a clairement une vague croissante de sentiment anti-Sarko dans le pays.

M. Le Pen, à l'âge de 78 ans, n'a pas disparu. Il est toujours aussi efficace, aussi spirituel, aussi éloquent, aussi répugnant et aussi venimeux qu'il a toujours été. Il reste obsédé par le passé et en particulier la Deuxième Guerre Mondiale.

Si quelqu'un a la tentation de croire en un Le Pen "plus gentil et adouci", qui a débuté la campagne, il suffit qu'il jette un œil sur les commentaires que le "Chef" a faits hier à la radio. Il a déclaré qu'il "regrettait" la décision du Président Chirac de reconnaître officiellement que l'Etat Français collaborationniste avait joué un rôle dans l'extermination des Juifs en 1940-44. Les sondages d'opinion suggèrent que M. Le Pen n'atteindra pas une deuxième fois le second tour. Ces sondages se sont déjà trompés — en particulier sur Le Pen.

Pendant la semaine à venir, The Independent entreprendra un Tour de France pour essayer de jauger l'humeur de la nation avant le premier tour de scrutin de dimanche prochain.

La France est un pays vaste — quatre fois la surface de l'Angleterre. C'est un pays disparate et souvent divisé. Les modèles de vote dans les élections nationales montrent des différences aiguës entre le nord et le sud, l'est et l'ouest. C'est un pays qui a déjà changé — à la fois pour le meilleur et pour le pire — plus qu'il n'est généralement admis. C'est un pays qui obtient beaucoup de bons résultats, mais parfois aussi des résultats très mauvais.

Les Français — complices de leurs candidats présidentiels — ont parfois des difficultés à discerner les choses. Ce pays a parfois du mal à voir la "vraie" France de 2007, au lieu de la France "virtuelle" de sa propre imagination. Cette France "imaginée" est parfois bien plus sombre et plus lugubre que la réalité pleine d'espoir. Dans d'autres cas, les candidats colportent la vue idéalisée d'une France sortie tout droit d'un livre d'images, qui n'existe pratiquement pas. C'est l'un des thèmes de la première étape de notre tour dans la Normandie rurale. Le reste de notre tour essayera de parler des divisions régionales et sociales mais aussi des thèmes nationaux.

Dix-huit mois après les émeutes qui ont secoué les banlieues multiethniques de la plupart des villes françaises, quel est l'état des relations raciales en France ? Est-ce qu'une Intifada islamiste bouillonne dans des endroits aux noms bucoliques comme Fontenay-sous-Bois ? La "banlieue" parisienne est la scène de notre deuxième étape, demain.

Mercredi, nous serons à Forbach, une ancienne ville minière à la frontière franco-allemande pour regarder le vote de la classe ouvrière blanche. Pourquoi Forbach — où il n'y a pas de crimes ou une grande communauté d'immigrés — a voté à près de 50% pour Le Pen en 2002 ?

À Grenoble, jeudi, nous nous intéresserons à la classe moyenne française. Pendant de nombreuses années, le "modèle français" — de bonnes écoles, un bon système de santé, une protection élevée de l'emploi — a favorisé les "initiés" de la classe moyenne, en particulier ceux qui sont employés par l'Etat. À présent, leurs revenus réels déclinent et leurs enfants ne peuvent plus mettre un pied sur le premier barreau de l'échelle.

À Toulouse, vendredi, nous regarderons le vote des jeunes et l'attirance française pour les extrêmes, à gauche, mais aussi à droite. Samedi, de retour à Paris, nous essayerons de tirer des conclusions et peut-être — bêtement — de prédire l'issue de l'élection.

Traduction [JFG-QuestionsCritiques]