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Comment Sarkozy répondra-t-il à la démonstration de force des travailleurs ?

Par John Lichfield, à Paris
The Independent, le 1er février 2009

article original : "John Lichfield: How will Sarkozy respond to workers' show of strength?"

Manifester contre une récession peut sembler très français. Tout de même, on peut pardonner aux dirigeants syndicaux britanniques, qui sont plus actifs, d’avoir regardé avec envie l’autre côté de la Manche jeudi dernier.

Quelques 2,5 millions de personnes ont défilé dans les rassemblements syndicaux contre la crise mondiale et elles exigent plus d’efforts de la part du gouvernement de Sarkozy pour défendre les emplois et donner un coup de pouce aux salaires.

Question : pourquoi les syndicats français sont-ils aussi puissants et actifs ? Réponse (ou du moins une réponse possible) : ils sont actifs parce qu’ils ne sont PAS puissants.

Voici une des grandes énigmes de la vie publique française. La France a le plus faible pourcentage de travailleurs syndiqués en Europe. Tout juste 9 % de ses 25 millions de salariés sont syndiqués (seulement 6% dans le secteur privé), contre 29 % en Grande-Bretagne et 27 % en Allemagne.

Les syndicalistes français n’appartiennent pas à une seule fédération, comme le TUC [Trade Union Congress], en Grande-Bretagne. Ils sont divisés entre huit fédérations qui se détestent mutuellement et qui ont des perspectives politiques et des stratégies industrielles différentes, allant de la fédération catholique modérée, la CFTC, au syndicat férocement anticapitaliste SUD.

Plusieurs syndicats détestent l’idée même de concurrence en tant que principe économique, mais ils sont engagés avec enthousiasme dans une concurrence politique perpétuelle les uns contre les autres pour apparaître plus efficaces ou plus militants que leurs rivaux.

On comprend mieux les syndicats français si on ne les comparent pas à des syndicats par secteur économique sur le modèle britannique, mais comme des partis politiques du monde du travail. Leur influence ne dépend pas seulement du nombre de leurs syndiqués mais du nombre de salariés qui votent pour eux dans les élections professionnelles et du nombre de personnes qui suivent leurs appels à la grève ou à manifester.

Dans ces rivalités qui font des relations industrielles françaises une telle fosse aux ours, en particulier dans le secteur d’Etat, ce n’est pas la « force » ou la solidarité des syndicats qui compte, mais leur fragmentation.

Donc, la manifestation de jeudi dernier a été tout d’abord une démonstration de force politique de la part d’un mouvement syndicaliste tentaculaire. Elle a également été un acte de réveil politique de la part d’une Gauche qui a été humiliée par un président de droite, qui vole allègrement ses idées et débauche ses politiciens.

C’était aussi une démonstration de force interne de la part des fédérations, alors qu’elles approchent des élections professionnelles, en mars prochain. Les banderoles de la manifestation à Paris réclamaient des salaires plus élevés, le remplacement de tous les contrats temporaires par des emplois à durée indéterminée et l’abolition immédiate du capitalisme.

Ce qui est préoccupant pour M. Sarkozy, c’est que ces manifestations se soient produites avant que la récession mondiale n’ait commencé à faire vraiment mal. Encore plus préoccupant, les fédérations modérées lui réclament d’injecter dans la balance économique plus de milliards pour la « demande », en permettant de larges augmentations de salaire.

La stratégie du président, avec son paquet anti-crise de 26 milliards d’euros, a été de donner un coup de fouet à « l’offre » par les travaux publics et, par exemple, le financement du crédit pour l’achat de voitures ou d’avions. Peut-il se permettre de donner un coup de pouce à la fois à l’offre et à la demande ? A en juger par les manifs de jeudi, peut-il se permettre de ne pas le faire ?


Traduction [JFG-QuestionsCritiques]