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Victorieux mais vilipendé : Israël a « détruit son image et son âme »

Par Kim Sengupta à Jérusalem et Donald Macintyre à la frontière égyptienne de Gaza
The Independent, dimanche 18 janvier 2009

article original : "Victorious, but vilified: Israel has 'destroyed its image and its soul'"

Après trois semaines de carnage à Gaza, les premiers signes de tentative de cessez-le-feu se sont produits hier soir. Mais, alors qu’Israël déclare victoire sur le champ de bataille, le lourd héritage de ces 22 derniers jours que ce pays devra porter est que sa réputation a rarement sombré aussi bas.

Hier, les Nations-Unies ont appelé à une enquête pour crimes de guerre après que deux enfants, âgés de cinq et sept ans, ont été tués. L’ONU soutient qu’un char israélien a frappé une école abritant quelques-uns parmi les plus de 40.000 réfugiés déplacés de l’intérieur.

« Ces deux petits garçons sont aussi indiscutablement innocents qu’ils sont morts », a déclaré John Ging, le chef de l’Agence des Nations-Unies pour les Réfugiés Palestiniens (UNRWA) à Gaza. A Jérusalem, Chris Gunness, le porte-parole de l’ONU, a ajouté : « Il doit y avoir une enquête pour déterminer si un crime de guerre a été commis ».

M. Gunness a utilisé un langage exceptionnellement sévère. Mais cet appel est arrivé au point culminant, non seulement d’un nombre croissant de victimes civiles, mais également d’une série d’attaques contre des installations de l’ONU, et, dans certains cas, contre les personnes qui se trouvaient sous sa protection à ce moment-là. La plus mortelle de ces attaques fut le pilonnage de l’école de l’UNRWA de Fakhura, à Jabalya, où 43 Gazaouis déplacés de l’intérieur ont été tué le 6 janvier.

Et encore, la semaine dernière, une attaque a été lancée, laquelle a été – ou aurait dû être – tout aussi embarrassante sur le plan diplomatique. Alors même que le Secrétaire Général de l’ONU, Ban Ki-moon se trouvait dans la région pour des discussions avec les ministres israéliens, une attaque à été lancée contre la principale installation de l’UNRWA, blessant trois personnes et mettant le feu au carburant et à la nourriture qui se trouvaient dans le dépôt. M. Ging a déclaré que cela avait été causé par du phosphore blanc, qui envoie un panache dense de fumée noire et qui est devenu l’image du jour dans les reportages télévisés.


Des travailleurs des Nations-Unies et des pompiers palestiniens tentent d'éteindre les incendies et de
sauver les sacs de secours alimentaire au siège de l'UNRWA après un bombardement israélien le 15 janvier

Tandis que Ban Ki-moon déclarait que le ministre israélien de la défense avait fait ses excuses pour une « grave erreur », les porte-parole du gouvernement ont immédiatement suggéré – exactement comme ils l’avaient fait dans l’affaire de Jabalya, bien que des officiels de l’UNRWA disent que cela avait été rétracté dans des conversations en privé – qu’il y avait eu des tirs de la part d’activistes depuis ou autour de l’installation de l’ONU. M. Ging a dit que cette affirmation était « absurde », ajoutant que l’ONU avait alerté les Israéliens que cette installation courrait le risque d’un pilonnage et qu’elle leur avait fourni ses coordonnées GPS pour prévenir une attaque.


Pendant ce temps, un bombardement israélien a fait sauter un immeuble dans la ville de Gaza, qui abritait les bureaux
de Reuter et plusieurs autres organismes de presse, blessant un journaliste d'une chaîné de télévision d'Abou Dhabi.

On a commencé à voir se dessiner un modèle : après chaque épisode de « dommages collatéraux », les organisations internationales accusaient l’armée israélienne de viser des immeubles et des zones de civils ; ensuite, les Israéliens répondaient qu’ils avaient simplement riposté aux combattants du Hamas qui utilisaient ces endroits pour lancer des attaques. Aucune discussion n’a eu lieu pour savoir si l’usage de la force par l’armée israélienne était proportionnée ou non.

Mais, tandis que la préoccupation internationale grandissait à propos du nombre croissant de morts à Gaza, le gouvernement israélien a continué de recevoir un fort soutien majoritaire de ses citoyens. Un point de vue commun exprimé par de nombreux Israéliens était que le Hamas avait causé tout ça lui-même en continuant de tirer des roquettes dans le sud d’Israël pendant les huit dernières années.

Dès la nuit dernière, l’humeur des Israéliens semblait être en train de changer. Avec les élections qui approchent et, ce qui est peut-être encore plus décisif, un nouveau président des Etats-Unis sur le point de prendre ses fonctions mardi prochain, la ministre des affaires étrangères Tzipi Livni et M. Barak étaient tous deux – bien que tardivement – prêts à appeler à une halte, au début de la semaine dernière. Seul, le Premier ministre Ehoud Olmert, apparemment désireux d’exorciser les échecs au Liban en 2006, semblait poursuivre cette guerre avec enthousiasme. Peu d’Israéliens ont pour l’instant rappelé la remarque presciente de l’un des pères du sionisme moderne, Chaim Weizmann : « Le monde jugera l’Etat juif par la manière dont il traitera les Arabes ».

Pour de nombreux Israéliens, le coût de cette guerre est devenu clair lorsqu’un médecin parlant l’hébreu, Izz el-Deen Aboul Aish, qui avait été fréquemment interviewé à la télévision en prime-time par un journaliste de premier plan, Shlomi Eldar, a téléphoné à ce journaliste en direct pour annoncer que ses trois filles avaient été tuées. « Mon Dieu ! Mes filles, Shlomi », ont pu entendre les téléspectateurs lui dire. « Personne ne peut venir jusqu’à nous, s’il vous plaît ? » Alors que M. Eldar obtenait des autorités qu’elles permettent aux services de secours de se rendre auprès de cette famille sinistrée, les commentateurs se sont bien rendu compte que le même désastre accablait des centaines d’autres familles qui n’avaient pas d’accès direct à la télévision israélienne.

Ari Shavit, un des principaux éditorialistes du quotidien « Haaretz », était depuis le début un fervent défenseur de cette « guerre juste ». Dès vendredi dernier, il écrivait : « Pilonner une installation des Nations-Unies est quelque chose qui ne doit jamais se produire, mais le faire le jour même où le Secrétaire Général de l’ONU est en visite à Jérusalem défie tout entendement. Le niveau de pression que les Forces de Défense d’Israël ont exercé sur Gaza a peut-être coincé le Hamas, mais il détruit Israël. Il détruit son âme et son image. Il a détruit Israël sur les écrans de télévision du monde entier, il l’a détruit dans les salles à manger de la communauté internationale… »

Traduction [JFG-QuestionsCritiques]