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La Grande Question :

Les Etats-Unis ont-ils l'intention d'attaquer l'Iran
ou n'est-ce qu'une rodomontade ?

Par Marie Dejevsky
The Independent, le 1er février 2007

article original : "The Big Question: Does the US intend to attack Iran, or is it only sabre-rattling?"

Pourquoi cette question est-elle soulevée maintenant ?

Le Président Bush et d'autres responsables étasuniens ont récemment, de façon alarmante, fait monter d'un cran leur rhétorique anti-iranienne. Cette nouvelle attaque verbale a commencé avec le discours à la nation de M. Bush, le 10 janvier de cette année, lorsqu'il a rejeté le plan du Groupe d'Etude sur l'Irak et, en particulier, sa recommandation de parler avec l'Iran. Il est allé plus loin dans ses propos, la semaine dernière, lors de son discours sur l'Etat de l'Union, accusant l'Iran de financer le terrorisme.

A présent, le coordinateur sur l'Irak du Département d'Etat fait le tour de l'Europe en fulminant contre ce que les Etats-Unis voient comme les méfaits de l'Iran dans la région. Aux Etats-Unis, des spots télé viennent renforcer cette rhétorique, décrivant l'Iran comme une menace nucléaire et exigeant des sanctions plus sévères de la part de l'ONU. Ce qui frappe est à quel point le langage émotif et incontrôlé désormais dirigé contre l'Iran fait écho aux tirades qui ont précédé la guerre contre l'Irak.

Qu'ont les Etats-Unis précisément contre l'Iran ?

Les questions sont si nombreuses qu'il est difficile de savoir par où commencer. La toute première accusation formulée par les Etats-Unis concerne le prétendu soutien de l'Iran aux militants chiites en Irak. Washington soutient que l'Iran les finance et les arme. Les Etats-Unis s'opposent aussi à ce qu'ils considèrent comme étant un soutien en Syrie et au Liban au Hezbollah - dont Israël a sous-estimé la force lorsqu'il a envahi le Liban l'été dernier. Derrière ces accusations se trouve une plus grande inquiétude : que l'Iran ressorte comme le premier bénéficiaire de l'échec étasunien en Irak ; et que la propagation déstabilisante de son influence doit être stoppée à n'importe quel coût.

Mais n'y a-t-il pas d'autres sources d'hostilité ?

Deux autres questions sont tapies en toile de fond. La première, pour laquelle les Etats-Unis ont récemment été satisfaits de faire cause commune avec les Européens et l'ONU, est la crainte que l'Iran se serve d'un programme légitime d'énergie nucléaire comme d'une couverture pour développer l'arme atomique. L'autre est le ressentiment profond qui subsiste depuis la crise des otages en 1979, lorsque les gardiens de la révolution prirent d'assaut l'ambassade des Etats-Unis à Téhéran et gardèrent 52 citoyens américains en captivité pendant 15 mois. Malgré des ouvertures occasionnelles des deux côtés qui ont eu lieu depuis, les relations diplomatiques n'ont toujours pas été restaurées. L'élection en 2005 du populiste anti-occidental, Mahmoud Ahmadinejad, a contrarié tout espoir d'une réconciliation prochaine.

Les Etats-Unis ont-ils déjà dépassé le stade de la rhétorique ?

Oui et non. Au-delà de la rhétorique, ils déplacent deux groupes de porte-avions vers le Golfe Persique dans une démonstration de force militaire. L'injection prévue de 21.000 soldats américains supplémentaires en Irak - la soi-disant stratégie du "déferlement", qui doit prendre effet dans les trois prochains mois - est aussi vue par certains comme le préliminaire à l'utilisation de l'Irak comme base pour des attaques contre les installations nucléaires iraniennes ou même pour un assaut plus concerté. D'autres voient ce "déferlement" comme étant dirigé contre l'influence iranienne croissante en Irak. Les responsables américains confirment ceci en partie, en disant qu'ils se réservent le droit d'attaquer des cibles iraniennes à l'intérieur de l'Irak, mais qu'ils n'iront pas au-delà. C'est ce qu'ils disent, en ce moment, à la Grande-Bretagne et aux autres alliés européens.

Comment l'Iran a-t-il réagi ?

Sa priorité, aussi loin qu'on peut en juger pour l'instant, est de ne pas sembler capituler devant la pression des Etats-Unis. Aussi bon rhétoricien que n'importe qui dans l'administration étasunienne, le Président Ahmadinejad, jusqu'à présent, n'a pas fait de quartier. Toutefois, la réponse iranienne, dans son ensemble, a été plus déroutante. L'Iran n'a exercé aucunes représailles pour l'arrestation à Arbil, au nord de l'Irak, de cinq Iraniens par les forces américaines. La semaine dernière, dans une déclaration qui a semblé faire la nique aux Etats-Unis et à l'Onu, un parlementaire iranien a dit que l'Iran avait pris livraison de 3.000 centrifugeuses, pour être utilisées dans l'enrichissement d'uranium. Toutefois, le chef de l'agence à l'énergie nucléaire iranienne l'a réfuté, bien qu'il n'y ait aucune indication que l'Iran se pliera aux exigences onusiennes pour la suspension de son programme nucléaire.

Que peut vouloir dire cette réponse sur le régime iranien ?

Tandis que les Etats-Unis semblent cultiver une ambiguïté délibérée vis-à-vis de l'Iran - parlant très fort tout en brandissant un tout petit bâton - la réponse de l'Iran suggère que le régime est divisé sur la façon de parer à la pression étasunienne et internationale. Fait décisif, M. Ahmadinejad semble avoir perdu de l'autorité. Il est arrivé au pouvoir sur un programme de réforme économique radicale destiné à étouffer la frustration de la multitude de pauvres en Iran. Cela fait presque deux ans [qu'il dirige le pays] et il n'a pas tenu ses engagements et beaucoup de ses anciens électeurs sont démoralisés. Apparemment affaibli à l'intérieur, M. Ahmadinejad ne peut pas risquer en plus de paraître faible à l'extérieur. La tentation de fanfaronner doit être très forte. Cependant, les risques associés à une telle position, ont été illustrés bien trop crûment par Saddam Hussein.

Quels sont les risques pour les Etats-Unis ?

La rhétorique belliqueuse de Washington, combinée à un pouvoir fragile à Téhéran, crée une atmosphère fébrile dans laquelle l'un ou l'autre camp pourrait réagir de façon excessive. Toute attaque par les Etats-Unis contre des cibles iraniennes en Irak pourrait rapidement escalader en une confrontation plus grande. Il n'est pas difficile d'imaginer un scénario dans lequel les troupes américaines poursuivent les Iraniens de l'autre côté de la frontière et une chose en entraîne une autre. La manque de relations diplomatiques entre les deux pays est une complication supplémentaire, puisque les pourparlers sont menés au moyen d'intermédiaires et sont sujets à de mauvaises interprétations.

La ligne officielle des Etats-Unis à ce stade est qu'ils n'attaqueront pas l'Iran à l'intérieur de ses frontières. Mais tout ce que l'on peut dire d'autre sur George Bush, il ne peut pas être décrit comme opposé à un tel risque. Qu'il ordonne l'usage de la force et les enjeux pourraient être encore plus élevés qu'en irak ! Au pire, les Etats-Unis seraient enlisés dans une autre guerre coûteuse et probablement ingagnable, l'Iran s'enhardirait à accélérer son programme nucléaire et les Etats-Unis devraient céder à l'Iran l'hégémonie régionale.

Où situer Israël dans ce scénario ?

Israël est considéré par certains comme une puissance qui pourrait faire le sale boulot de M. Bush en Iran. Sa destruction en 1981 du réacteur nucléaire irakien Osirak est cité comme un précédent. Toutefois, cela ignore le fait que les installations nucléaires iraniennes sont très dispersées et que l'Iran est plus puissant que l'Irak ne l'était à l'époque. Cela présuppose aussi que l'armée israélienne est une machine aussi efficace qu'elle l'était alors, chose que la guerre au Liban a mis en doute.

Il est vrai qu'Israël a adopté une position belliqueuse contre l'Iran, en grande partie à cause de la menace d'Ahmadinejad de "rayer Israël de la carte". Le Premier ministre israélien, Ehoud Olmert, a déclaré dernièrement qu'Israël ne permettrait pas au monde d'être "indifférent aux appels à la destruction d'Israël". Cependant, M. Olmert est un autre dirigeant sous pression, qui a ses propres raisons de tenir un discours excessif.

Y a-t-il une accusation valable pour une attaque militaire des Etats-Unis contre l'Iran ?

Oui...

* L'Iran a défié l'AIEA et l'ONU ; il viole clairement ses obligations légales internationales

* Un Iran nucléaire déstabiliserait une région qui est déjà hautement volatile et encouragerait d'autres pays à acquérir des armes nucléaires

* L'Iran, avec sa variété particulière d'Islam militant, est une menace, non seulement pour les Etats-Unis, mais pour les intérêts occidentaux au sens large et il devrait être réfréné

Non...

* En tant que signataire du Traité de Non-Prolifération, l'Iran a le droit de développer l'énergie nucléaire ; il réfute le fait qu'il ait l'intention de construire une arme [atomique]

* L'Iran a des intérêts légitimes stratégiques et de sécurité en Irak et a le droit de les défendre

* Jetez un coup d'œil aux conséquences désastreuses de l'intervention unilatérale des Etats-Unis en Irak !

Traduction [JFG-QuestionsCritiques]