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Les préjugés destructeurs des nouveaux membres de l'UE

Par Marie Dejevsky
The Independent, mardi 2 Septembre 2008

article original : "Mary Dejevsky: The destructive prejudices of Europe's new members"


Quoi que l'on pense du conflit en Géorgie — et les opinions sur ceux qui ont tort et ceux qui ont raison ne pouvaient être plus polarisées — il y a un aspect sur lequel un large accord pourrait sûrement être de mise. Cette petite guerre endiablée, avec ses implications beaucoup plus étendues, était une occasion idéale pour l'Union Européenne de montrer de quoi elle était capable sur le plan diplomatique. Les pays de part le monde ont réclamé de l'UE qu'elle adopte un rôle plus actif de médiateur, où il y avait mieux à faire pour commencer qu'en Ossétie du Sud — danger potentiel élevé, mais aussi potentiellement soluble, non ?

En fait, les premiers gestes de l'UE ont été positifs — ainsi vont les réponses internationales. La présidence française de l'UE a obligé Nicolas Sarkozy et son ministre des affaires étrangères, Bernard Kouchner, à réagir au nom de l'Europe. Politiciens à la fois exhibitionnistes et interventionnistes, ils ont fait un début admirablement rapide, renonçant à leurs sacro-saintes vacances aoûtiennes en échange de quelques tours de navette diplomatique. En quelques jours, un accord en six points a eu lieu, validé par la signature des deux camps. Ce début était prometteur : un message simple, une diplomatie active et une conscience réaliste de ce qu'il était possible de faire sur le terrain.

Auquel stade tout s'est désagrégé et une pression s'est élevée derrière la rhétorique — sauf que cette fois-ci, ce n'étaient pas juste la Russie et la Géorgie qui criaient, mais leurs fans respectifs, ce qui voulait dire presque tout le monde contre les Russes. Et la voix de la raison de l'UE, ainsi que l'exemplifiaient ses médiateurs, M.M. Sarkozy et Kouchner, fut rapidement noyée par une querelle plus diffuse : non pas la petite question de savoir comment résoudre le problème de l'Ossétie du Sud, mais la grande question de savoir quoi faire avec la Russie.

La raison pour laquelle le centre d'intérêt s'est déplacé était que les Européens de l'est et du centre — qui sont devenus membres à part entière de l'UE en 2004 — ne pouvaient voir la guerre en Géorgie qu'à travers le prisme de leur expérience amère. Pour eux, ce n'était qu'un autre exemple de l'intimidation russe, façon soviets, et un drapeau rouge qu'ils pouvaient agiter à la " vieille " Europe pour illustrer la justesse de leurs craintes.

Bon, je ne cède à personne la réjouissance que j'ai éprouvée avec la chute du Mur de Berlin, libération de l'Europe de l'est et du centre et la mort du communisme soviétique. Ces " nouveaux " pays européens sont des États-nations à part entière avec un sens rétrouvé de leur propre identité. Il suffit de vous rendre dans n'importe lequel de ces pays et je vous mets au défi de ne pas ressentir et partager leur pure joie d'être à nouveau eux-mêmes. Vu l'histoire et la géographie, leur préoccupation vis-à-vis de la menace perçue venant de l'Est peut se comprendre. En recherchant non seulement la qualité de membre de l'UE, mais celle de l'Otan, ils défendaient leurs intérêts vitaux tels qu'ils les percevaient. Leur entêtement a payé.

Le problème est que, tandis que la " vieille " Europe a laissé ses anciennes inimitiés à la porte lorsqu'ils ont rejoint l'UE — c'était tout le sens de l'élargissement —, trop de ces pays de la " nouvelle " Europe voyaient l'UE, de même que l'Otan, comme des moyens de poursuivre leurs anciennes querelles depuis une nouvelle position de force. Les récentes récriminations dans la " nouvelle " Europe sur qui a fait quoi sous le communisme démontre tout ce qu'il reste encore à résoudre. Pour ces pays, la perspective d'une nouvelle Guerre Froide est omniprésente, tout simplement parce que, pour eux, l'ancienne Guerre Froide n'est pas encore terminée.

En 2000, Les craintes de Jacques Chirac sur l'élargissement de l'UE lui ont attiré des reproches de condescendance et pire. Le point de vue britannique et étasunien officiel était préféré ; c'est-à-dire que ces pays formeraient un " pont " vers la Russie. Pourtant, avec le temps, M. Chirac semble avoir plus raison que tort. L'opposition populaire européenne à la guerre d'Irak a été moins efficace qu'elle aurait pu l'être, à cause des divisions entre la " vieille " Europe et la " nouvelle " Europe, qui furent parfaitement bien exploitées par les Etats-Unis. Au fur et à mesure que l'Irak devenait une question moins importante, les efforts de l'UE pour parvenir à une relation réaliste et mutuellement bénéfique avec la Russie ont été régulièrement contrecarrés par un chœur de " nouveaux " Européens mettant en garde contre le pire.

L'UE a de nombreuses raisons de réviser ses relations avec la Russie, dont la plupart sont antérieures au récent conflit sur l'Ossétie du Sud. Un intérêt mutuel — oui ! Mutuel — relatif à des approvisionnements énergétiques fiables en est un. Les relations de Moscou avec les populations russes vivant dans l'UE en est un autre ; et la démarcation permanente des frontières post-soviétiques, qui nécessite une résolution de ce que l'on appelle les " conflits gelés ", tels que l'Ossétie du Sud, en est un troisième.

Que ces discussions sur toutes ces questions soient colorées par l'expérience très particulière des " nouveaux Européens " explique en grande partie pourquoi aucune solution n'est atteinte ! Hélas, cet échec est à présent de l'eau trouble sous un élargissement prématuré qui s'est avéré être plus un blocage qu'un pont.

Traduction [JFG-QuestionsCritiques]