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Des Israéliens pétitionnent pour empêcher le film
sur les attentats-suicides de gagner un Oscar

Par Donald Macintyre à Jérusalem

The Independent, publié : le 4 mars 2006


Une des rares accusations qui n'a pas été lancée contre Paradise Now, le film réalisé par un Palestinien en lice pour l'Oscar du meilleur film étranger demain soir, est qu'il est ennuyeux.

De la séquence d'ouverture, dans laquelle Suha, une jeune femme de retour d'exil à l'étranger, est confrontée au regard hostile et implacable du soldat israélien qui fouille dans son sac au barrage d'Hawara, à l'extérieur de Naplouse, jusqu'à la dernière scène lorsque l'écran devient blanc plutôt que de montrer l'explosion suicide dans un bus de Tel-Aviv, qui conduit l'histoire, le film captive exactement comme le film noir que son réalisateur, Hany Abou-Assad, voulait qu'il soit.

Beaucoup de scènes, certaines lancinantes, d'autres sombrement tragi-comiques, vous restent dans la tête : le moment où Saïd rencontre son agent de la faction militante non-nommée et qu'on lui dit que la mission d'attentat-suicide est pour le lendemain ; le soulagement qui traverse le visage de Khaled lorsqu'il pense qu'ils ont avorté la mission ; le rire des soldats israéliens dans le bus dans la séquence de fin.

Mais justement, c'est parce que même les critiques les plus durs contre Paradise Now reconnaissent qu'il est si bien fait que cela a déclenché une campagne pour son retrait de la nomination aux Oscars. Lors d'un événement mondain organisé par le Israeli Project, un groupe de pression financé largement par les Etats-Unis, l'Académie des Oscars a reçu une pétition de 33.000 signatures contre cette nomination. Yossi Zur, l'Israélien qui a organisé la pétition, n'était pas là pour la remettre en mains propres parce que demain sera aussi l'anniversaire de son fils de 16 ans, Asaf, un étudiant en science informatique, qui a été tué en compagnie de 16 autres personnes par de vrais kamikazes palestiniens, qui sont montés dans le bus qui le ramenait de son école à Haïfa pour renter chez lui.

Et le numéro d'hier du magazine Variety contenait une pleine page de publicité placée par le Israeli Project, intitulée "La fin non projetée de Paradise Now", avec une page de scénario décrivant l'attentat-suicide de Haïfa en 2003 pour remplacer celui qui n'est jamais montré dans le film. Le fait que le film se garde de montrer le carnage laissé par l'attentat-suicide - comme il se garde de montrer des bains de sang de part et d'autre du conflit - est une des raisons qui a mis ses opposants en colère.

"Les victimes n'ont pas la parole", a déclaré Calev Ben David, de l'Israeli Project. "Imaginez un film sur le 11/9 qui ne montrerait pas les conséquences, qui se terminerait sans les avions s'encastrant dans le World Trade Center. Aurait-il été nominé ?" Cette semaine, Ben David a présidé une conférence de presse donnée ici par M. Zur et deux autres pères, dont l'un, Yosi Mendellevitch, dont le fils Yuvi, 13 ans, fut tué dans l'attentat à la bombe de Haïfa, a dit que le film était une "dangereuse propagande" et du "terrorisme artistique" qui "contribuerait réellement à l'industrie de la mort".

Amir Harel, le producteur israélien de ce film, a déclaré qu'il "peut comprendre et sympathiser avec la douleur et le chagrin des familles" mais il a dit que de telles accusations sont "irrecevables" pour un film "qui rejète le terrorisme comme solution au conflit israélo-palestinien". La réaction de satisfaction, exprimée souvent par les quelques 20.000 Israéliens qui ont déjà vu le film, suggère à n'en pas douter une réalité plus complexe que les simples accusations qu'il "justifierait" les attentats-suicides.

Ce film a été projeté pour des audiences au-dessus de la moyenne pour un film "arthouse" (art & essai), dans des salles de 150 places, aux cinémathèques de Tel Aviv et de Jérusalem. Pour l'instant, à Naplouse, où le film se déroule et où une grande partie a été tournée, on attend toujours une représentation publique après que les chefs des communautés ayant bénéficié d'une projection privée l'ont déconseillé. Une des raisons invoquées est que Saïd et Suha s'embrassent sur les lèvres ; une autre raison est que des chefs de factions ont objecté que Saïd, le fils d'un collaborateur qui s'engage dans l'attentat-suicide, et Khaled, qui ne le fait pas, n'ont pas été dotés de suffisamment de motivations religieuses et idéologiques, au contraire de ceux personnellement désespérés qui sont dépeints dans le film.

Le dernier groupe, les opposants israéliens, n'auront pas aimé la scène "vidéo martyre" qui, selon Hany Abou Assad, "saisit l'idée du film à son cœur en cassant simultanément l'héroïsme du martyre de même que la monstruosité démoniaque qui le rend humain. Les humains sont souvent banals, mais ils sont aussi drôles et émotionnels", a-t-il déclaré. "Dans la vraie vie il y a souvent de la comédie dans les moments les plus tragiques. Je comprends que le fait d'avoir donné un visage humain aux poseurs de bombe suicides va en déranger certains ; je suis aussi très critique envers ces poseurs de bombes kamikazes".

Une partie de l'impact que ce film exerce sur les Israéliens est qu'il montre, dans des termes qui sont loin d'être exagérés, la dureté quotidienne sous l'occupation. "C'est un film que tous en Israël devraient voir", a dit Vered Borhalevy, professeure de 28 ans, alors qu'elle quittait la projection de mercredi à Jérusalem. "Il vous fait vous identifier avec l'autre côté". A-t-elle été dérangée que l'attentat ne soit pas lui-même montré ? "Vous pouvez voir cela tout le temps [dans les infos télé]. Celui-ci, vous ne le voyez pas". Jochanan Minsker, un architecte de 70 ans, a dit que "la chose la plus terrible" dans ce film était le contraste entre ceux qui vivent dans la "prison" cisjordanienne et la vie - relativement - normale en Israël.

Mais le film a aussi provoqué les Palestiniens. L'étudiante de Jérusalem-Est, Maiada Barkhoum, 24 ans, qui faisait partie de l'audience de mardi à la cinémathèque, est sortie "confuse" par les caractères également fascinants de Saïd et de Suha, qui plaide avec passion dans le film contre les attaques suicides. D'un côté, dit-elle "vous vous devez de sympathiser avec Saïd. Je ne supporte pas ce qu'il a fait mais je peux le comprendre … Je me suis identifiée avec le rôle de Suha. Elle a perdu son amant et elle ne peut rien y faire".

Ce film montre le 'deux poids deux mesures' de l'Académie des Oscars

Si Paradise Now est en compétition pour l'Oscar du film étranger, c'est largement dû au combat qui a été livré pour le compte d'un autre film palestinien, Divine Intervention. L'histoire de deux amants séparés par l'occupation israélienne en Cisjordanie a été écartée de la compétition des Oscars en 2002 parce que les candidatures pour les films en langue étrangère doivent être soutenus par leur pays d'origine, et la Palestine ne comptait pas comme pays. L'Académie a été accusée pour son parti pris anti-arabe et de son double langage éhonté, puisque Porto Rico, Hong Kong et Taiwan ont soumis des candidatures alors qu'ils ne sont pas des pays ayant une représentation complète à l'ONU. En 2000, le film en gallois Solomon and Gaenor fut nominé pour la catégorie du meilleur film étranger, avec le Pays de Galle comme "pays" sponsor, 800 ans après avoir perdu son indépendance. L'Académie a fini par céder, disant qu'elle ferait une "exception".

Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon