accueil > archives > éditos


Turquie

Gul promet de préserver la laïcité de l'Etat lorsqu'il sera président

Par Peter Popham

The Independent, le 15 août 2007
article original : "Gul pledges to preserve secular state as president"

La crise politique turque est entrée dans une nouvelle phase décisive avec la décision d'Abdullah Gul, un homme politique aux origines islamistes dont la femme porte le voile, de faire une seconde tentative pour devenir le président du pays.

Allié du Premier ministre Tayyip Erdogan, qui a lui aussi émergé de la politique basée sur l'Islam, l'affable et charismatique M. Gul a été empêché d'atteindre son but en avril dernier, après que les députés laïcs sont restés absents du parlement pour empêcher la formation d'un quorum - placé à un niveau plus élevé que lors des précédentes élections. Le coup de grâce est arrivé lorsque l'armée a rédigé un post ténébreux sur internet pour bien faire comprendre qu'elle désapprouvait M. Gul.

La mise en garde était claire : comme cela s'est passé il y a 10 ans, lorsqu'un gouvernement dont M. Gul était ministre fut écarté par l'armée, les militaires se préparaient à nouveau à jouer leur rôle habituel de gardiens de la république laïque.

Mais il semble que MM. Erdogan et Gul et leur Parti pour la Justice et le Développement (AKP) aient été plus futés qu'eux. Lors d'une élection générale rapide le mois dernier, l'AKP a remporté une victoire écrasante, accroissant leur part des voix de 34 à 57 %, ce qui leur permet de former le premier gouvernement à un seul parti depuis des dizaines d'années. Avec de nouveaux alliés au parlement, ils n'auront aucun problème pour atteindre un quorum pour le scrutin présidentiel. On s'attend à ce que M. Gul remporte une victoire facile au troisième tour du scrutin qui aura lieu le 28 août, où une majorité simple suffira pour l'emporter.

La Turquie et ses soldats farouchement conservateurs devront alors essayer de s'habituer à la vision d'un chef d'Etat recevant le salut des généraux de l'armée avec sa femme voilée, Hayrunisa, à ses côtés. En tant que symbole d'affiliation religieuse, les voiles ont toujours été tabous dans les clubs militaires et les cérémonies.

Lors d'une conférence de presse, hier, M. Gul a essayé de rassurer le monde sur ses bonnes intentions laïques. "Protéger la laïcité est l'un de mes principes de base", a-t-il déclaré. "Personne ne devrait s'en inquiéter. J'engloberai l'ensemble de mon peuple."

Mais le principal parti d'opposition, le Parti Populaire Républicain (CHP), a mal pris le renouvellement de la candidature de M. Gul. Onur Oynen, un député CHP, a déclaré : "Ce nom ne suggère pas la réconciliation mais l'insistance obstinée. Nous trouvons que cela est mauvais… Leur insistance sur la nomination de M. Gul, après la crise qu'elle a causée, montre à quel point ils sont déterminés à convertir l'Etat turc moderne en une administration basée sur la religion."

Un autre député CHP, Deniz Baykal, a déclaré : "Avec Gul comme président, la Turquie serait un endroit très différent d'ici 5 à 10 ans. La Turquie deviendrait un pays dans lequel les équilibres politiques changeraient rapidement, dans lequel l'identité proche-orientale deviendrait plus prononcée". Mais un ancien leader du CHP, qui siège désormais au parlement pour l'AKP, Haluk Ozdalga, a déclaré : "L'AKP soutient la démocratie en Turquie, est pour l'expansion de la liberté et des libertés de base, pour l'ouverture de la Turquie vers l'économie mondiale, pour un désir fort d'égalité sociale".

Les années que M. Erdogan a passées en tant que Premier ministre semblent avoir rassuré la masse des Turcs - dont la plupart ne sont pas en faveur d'un gouvernement teinté d'islamisme - sur le fait qu'on peut lui faire confiance, ainsi qu'à son parti, pour apporter la prospérité, la liberté et peut-être la qualité de membre de l'UE. La victoire écrasante du parti a été une mise en garde par le peuple pour que l'armée se montre plus coopérante.

Hugh Pope, analyste supérieur sur la Turquie au sein de l'International Crisis Group, a fait le commentaire suivant : "Gul aura du mal à persuader son peuple qu'il n'a pas un agenda islamiste. Le voile est un tel tabou, c'est un problème pour le système. Mais nous avons eu le même problème il y a cinq ans lorsque Erdogan, dont la femme porte aussi le voile, est devenu Premier ministre. Les gens s'y sont habitués."

L'armée pourrait-elle essayer une nouvelle fois de contrer M. Gul ? M. Pope en doute. "Il est très difficile d'envisager que l'armée puisse maintenir ses objections. Elle respectera sa reconnaissance large de ce qui est légal et maintiendra la république sur sa voie actuelle. Mais M. Gul devra être très prudent : les militaires l'observeront, prêt à sauter sur toute erreur. Nous sommes potentiellement au bord d'une nouvelle vague de réforme - mais il aura besoin de l'aide de l'UE."

Traduction [JFG-QuestionsCritiques]