Damas est-elle la clé ?
Beyrouth attend que les maîtres syriens
envoient le Hezbollah dans la bataillePar Robert Fisk
publié dans The Independent le 13 juillet 2006
Il s'agit de la Syrie. Ce fut le message effrayant livré hier par Damas lorsque la Syrie a autorisé ses alliés du Hezbollah à traverser la ligne bleue onusienne au sud-Liban, pour aller tuer trois soldats israéliens, en capturer deux autres et exiger la libération de prisonniers libanais des geôles israéliennes.
En quelques heures, un pays qui avait commencé à croire dans la paix - il n'y avait plus un seul soldat syrien sur son sol - s'est retrouvé une fois encore en guerre.
Israël tient le gouvernement libanais impuissant pour responsable - comme si le cabinet sectaire et divisé de Beyrouth pouvait contrôler le Hezbollah. C'est le message de la Syrie. Fouad Siniora, l'aimable Premier ministre libanais, a pu penser qu'il dirigeait le pays, mais c'est le Président Bashir el-Assad, à Damas, qui peut encore apporter la vie ou la mort à une terre qui a perdu 150.000 âmes en 15 années de conflit civil.
Et il y a un pari sur lequel reposera certainement la Syrie : Malgré toutes les menaces israéliennes d'infliger la "souffrance" au Liban, cette guerre deviendra incontrôlable, à moins - comme cela est arrivé si souvent par le passé - qu'Israël appelle lui-même à un cessez-le-feu et libère des prisonniers. C'est alors que les "gros bras" internationaux arriveront et se dirigeront vers la véritable capitale libanaise, Damas - et non pas Beyrouth -, et appelleront à l'aide.
Voilà probablement le plan. Mais marchera-t-il ? Israël a menacé les toutes nouvelles infrastructures du Liban et le Hezbollah a menacé Israël de prolonger le conflit. Et c'est là que réside le problème : Pour régler son compte au Hezbollah, Israël doit envoyer ses troupes au Liban, mais alors, plus de soldats israéliens mourront.
Mais oui ! Lorsqu'un seul char Merktava a traversé la frontière hier matin, il a sauté sur une mine du Hezbollah et trois Israéliens supplémentaires ont été tués.
Il est certain que l'attaque du Hezbollah a rompu les règles des Nations-Unies au sud-Liban - Geir Pedersen, le responsable onusien dans ce pays l'a qualifiée de "violation violente" de la Ligne Bleue - et qu'elle ne pouvait que déchaîner la force aérienne, les chars et les canonnières d'Israël sur ce pays frêle et dangereux. À Beyrouth, beaucoup de libanais ont été indignés par les bandes de supporters du Hezbollah qui ont roulé dans les rues de la capitale en brandissant des drapeaux du parti pour "célébrer" l'attaque sur la frontière.
Les membres chrétiens du gouvernement libanais ont exprimé leur frustration croissante vis-à-vis des actions de la milice chiite. Cela prouve à quel point l'administration de Beyrouth est impuissante !
À la tombée de la nuit, les raids aériens d'Israël avaient commencé à s'étendre dans tout le pays. Les premiers civils furent tués lorsqu'un chasseur bombarda un petit pont routier à Qasmiyeh. Mais iront-ils plus loin pour inclure une cible en Syrie ? Cela constituerait, jusqu'à présent, la plus grave escalade et obligerait les Etats-Unis ainsi que les diplomates de l'O.N.U. à appeler à cette "retenue" si familière et érodée.
Et c'est un échange de prisonniers qui y mettra un terme. En janvier 2004, par exemple, Israël a libéré 436 prisonniers arabes et rendu les corps de 59 libanais pour qu'ils soient enterrés, en échange d'un espion israélien et des corps de trois soldats israéliens. Il y a plus longtemps, en 1985, trois soldats israéliens, capturés en 1982, furent échangés contre 1.150 prisonniers libanais et palestiniens. Donc, le Hezbollah sait - et les Israéliens le savent - comment on joue à ce jeu cruel. Mais il y a une question plus importe : Combien devront-ils mourir avant que l'échange ne commence ?
Une autre chose est claire : Pour la première fois, Israël est confronté à deux ennemis islamistes - l'un au sud-Liban et l'autre à Gaza - plutôt qu'à des guérillas nationalistes. Le porte-parole du mouvement palestinien Hamas a nié hier au Liban qu'il y avait une coordination avec le Hezbollah. Ceci peut très bien être vrai, littéralement, mais le Hezbollah a programmé son attaque lorsque les sentiments arabes se sont aigris à la suite des sanctions internationales placées sur le gouvernement démocratiquement élu du Hamas et, ensuite, la guerre de Gaza. Le Hezbollah fera porter le chapeau de la colère à Gaza, dans l'espoir d'échapper à une condamnation pour la capture et la mort d'Israéliens, hier.
Et il reste une petite question sinistre. Dans le passé, lorsqu'il y avait des passages violents de cette sorte, la puissance de la Syrie était contrôlée par Hafez el-Assad, l'un des Arabes les plus habiles de l'histoire contemporaine. Mais il y a ceux - dont des politiciens libanais - qui pensent que Bashir, le fils, n'a pas la sagesse de son père et manque de compréhension dans l'exercice du pouvoir. Il s'agit d'un pays, rappelez-vous, dont le propre ministre de l'intérieur s'est prétendument suicidé l'année dernière et dont les soldats durent quitter le Liban en plein soupçon que la Syrie avait organisé le meurtre de Rafik Hariri, l'ancien Premier ministre libanais. Tout ceci peut sembler à présent académique. Mais Damas reste, comme toujours, la clé.
Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]